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Refondation de l’école et réformes immédiates

lundi 10 septembre 2012, par Chantal Mallet

Je viens de terminer L’école commune et j’espère que ce petit livre (publié à La Dispute par le GRDS) contribuera au débat de l’heure, celui dont nous avons tous besoin.

Sur L’école commune

En tout premier lieu, il est important que les propositions pour une réduction des inégalités scolaires se fondent sur « l’urgence vitale dans le monde actuel d’un contrôle démocratique de la science, de la technique, de la production et des échanges », marquant ainsi que la lutte contre les inégalités ne relève pas de l’ordre moral (d’une forme de générosité des élites envers les couches populaires) mais bien de l’ordre du politique pour ceux qui veulent parier sur un avenir de la démocratie.

En second lieu, j’ai apprécié que vous ayez souligné le rôle crucial de l’école première dans la construction des inégalités scolaires et pointé l’obstacle que constitue la représentation (majoritaire) chez les enseignants d’un déterminisme social de l’échec scolaire.

Ce d’autant plus que j’enseigne en école élémentaire et que je me sens donc doublement concernée par ce débat en tant que citoyenne d’abord et comme professionnelle, soucieuse de meilleures conditions de travail, ce qui impliquerait de pouvoir travailler au sein d’un système scolaire qui me permette de me concentrer sur les apprentissages des fondamentaux et ne m’oblige pas à préparer laborieusement des séances d’EPS et d’arts plastiques que je mène très médiocrement, et dans lequel je puisse faire prévaloir, pour les moins à l’aise, le temps de terminer une tâche sur mon service de récréation !

Contre la politique du « socle commun de connaissances et de compétences » le projet d’une école commune ne peut se mener à bien que si à chaque palier, on s’est donné les moyens de réussir pour chaque élève les apprentissages fondamentaux, d’où l’importance de l’école élémentaire, celle qui met en place les éléments d’une potentielle construction du savoir par le sujet lui-même.

On ne peut que se sentir mal à l’aise face aux procédures d’évaluation du socle commun et des pressions engendrées sur le corps enseignant. Enseignants, nous sommes tous tentés, pour de multiples raisons, de déclarer atteinte telle compétence mathématique à la première réussite opératoire comme dans l’observation de J.Y. Rochex (« Au cœur de la classe ») où une élève se voit gratifiée d’une réussite pour une division dont elle n’a été qu’une simple exécutante .

L’école doit se recadrer sur ce qu’elle est seule à pouvoir faire, aider chaque enfant à entrer dans la culture de l’écrit, celle qui, a contrario de l’oral, permet le « suspens du sens » (B. Lahire) et donc un rapport réflexif au langage. Les choix pédagogiques doivent effectivement découler de ce présupposé en privilégiant bien sûr les pédagogies explicites.

J’adhère donc totalement à ce beau projet de long terme de l’école commune mais aimerais connaître vos positions concernant des réformes plus limitées mais pouvant être mises en acte sur le court terme.
Le critère pertinent pour juger de ces réformes ponctuelles doit bien sûr être l’avantage que peuvent en retirer les élèves les plus en difficulté.
Il me semble, de plus, qu’à condition d’être bénéfique aux plus fragiles, une modification partielle du système peut favoriser une évolution des représentations enseignantes sur les élèves des classes populaires, ce qui peut induire une dynamique positive lors de la phase de débat et de négociation d’une refondation du système éducatif avec tous les partenaires (enseignants, syndicats, parents d’élèves, chercheurs...)

Les rythmes scolaires

Je pense en tout premier lieu à la réforme des rythmes scolaires (journée plus courte et vacances moins longues) qui ne se contente pas d’être plus conforme aux rythmes biologiques de l’enfant mais qui sera surtout bénéfique aux élèves des classes populaires, ceux qui souffrent le plus d’un éloignement prolongé de l’école.

Il faut s’appuyer sur ce constat des enseignants des écoles difficiles : « après les grandes vacances, ils ne savent plus rien » et leurs représenter ce qu’ils gagneraient en sérénité avec des grandes vacances moins longues.
En outre cette réforme présente l’avantage en multipliant les matinées et en réduisant les après-midi de poser des bases structurelles favorisant le temps consacré aux disciplines fondamentales.

De la maternelle à l’école enfantine

Pour avoir pris tout niveau de classe en maternelle et dans des écoles tant du centre ville que de la périphérie, je suis consciente de ce que le travail manuel (coloriage, découpage, collage...) y envahit le temps de la classe et que cela est sans doute pour partie à l’origine, chez mes actuels élèves de CE2 de cet irritant réflexe qui les pousse à se précipiter sur les ciseaux et la colle lorsqu’on leurs distribue une photocopie et de la nécessité de leurs rappeler que l’on va d’abord lire le document !

Mais je suis également consciente de ce que la gestion d’une classe qui immobilise moyens ou grands dans l’espace de la classe 5 heures durant rend inévitable le recours à des tâches plus ou moins occupationnelles comme le coloriage.

La problématique de la maternelle interpelle donc la réforme des rythmes scolaires, et plus encore peut-être, parce qu’il est vital pour une refondation de l’école que le fonctionnement de l’institution n’entretienne plus chez les familles les plus éloignées de l’école, la confusion entre espace de garderie et institution dévolue à la formation. Or, en l’occurrence, contrairement à ce que met en avant un bon sens superficiel : « plus les enfants de milieu défavorisé sont à l’école, mieux c’est », le quantitatif (plus de temps passé à l’école) peut nuire au qualitatif (l’établissement d’un rapport positif au savoir chez de enfants éloignés de la culture scolaire) et ce choix va induire inévitablement des moments où il faudra gérer les comportements sans pouvoir rapporter cette exigence éducative à des enjeux d ’apprentissage.

Une école enfantine qui se soucie des élèves les plus fragiles interpelle également en la sommant de se renouveler la réflexion sur l’hétérogénéité. L’accord est total sur le bénéfice que retirent les plus faibles d’une scolarisation dans des classes où le niveau d’exigences les tire vers le haut.

Au delà du constat factuel et statistique, on doit en retenir l’essentiel : la légitimation du choix de l’hétérogénéité réside dans l’avantage qu’il représente pour les plus fragiles et c’est à cette aune qu’il convient de l’apprécier.

Or, l’école maternelle, y compris si on est avertie (j’étais sociologue avant d’être enseignante) et convaincue que l’on est là pour les plus éloignés de l’école, fonctionne en renforçant, chez ceux dont le niveau de langage est réduit, un sentiment d’infériorité par rapport à ceux dont l’intervention sera approuvée par la maîtresse. Je pense ici aux échanges dialogués autour de la présentation d’un album.

Il ne faut pas méconnaître que la lourdeur des effectifs est avant tout préjudiciable aux plus faibles en les reléguant à des rôles passifs mais ce serait se leurrer que d’imaginer tout régler avec des effectifs réduits.

La formation des enseignants de l’école première

J’ai envie d’émettre quelques réserves à propos de la formation des enseignants du premier degré. Comme vous, j’appelle de mes vœux un cursus qui renforcerait l’histoire et l’épistémologie des savoirs scolaires ainsi qu’un travail sur une didactique de l’erreur.

Je pense que la partition entre P.E littéraires et P.E scientifiques présenterait l’avantage non négligeable de renforcer leur légitimité et assurance professionnelle face à leur hiérarchie pour les situer au même niveau que celles des enseignants du second degré. Pas de réforme réussie de l’école élémentaire avec des enseignants qui craignent l’inspecteur !

Je me demande néanmoins si un enseignant en élémentaire n’est pas plus pertinent en jonglant entre les deux disciplines tant la résolution des difficultés en math passe par une explicitation langagière et qu’inversement les faiblesses dans la compréhension de textes littéraires s’éclairent du constat de carence dans la rigueur logique en maths.

Je ne méconnais pas que, ainsi, nous serions dans la situation (paradoxale ?) d’exiger un cursus plus lourd pour l’élémentaire et je me souviens qu’en poste à l’IUFM, j’avais préparé, pour la commission qui sélectionnait les dossiers de candidature avec déjà le critère d’une probabilité de réussite au concours, un rapport d’où il ressortait que les cursus de sciences économiques et de biologie ( cursus exigeant à la fois des qualités de rédaction et un niveau solide en math) donnaient le plus de chance de réussite au concours.

En conclusion, le fil rouge de toute refondation de l’école, au delà du traitement de chaque point précis, implique que soit pensée la dimension symbolique de l’institution scolaire, celle qui a la charge de tisser un autre lien social que celui du marché et de l’utilitarisme.

Cette école ne peut pas simplement se contenter d’accueillir tous les enfants au même lieu sans s’exposer au risque de générer ou sentiment d’impuissance ou ressentiment voire les deux chez ceux qui, pour une raison ou pour une autre, n’ont pas établi une relation positive au savoir.

Ce qui se joue autour de la construction d’une transcendance du rapport au savoir (et non une transcendance du savoir) c’est bien sûr la volonté d’instaurer une dynamique d’égalité par delà les différences mais aussi de fonder le sentiment d’appartenance à une commune citoyenneté.

Messages

  • Chantal Mallet accompagne l’envoi de son texte de cette remarque par courriel : "Le moment, me semble-t-il, n’a jamais été plus favorable pour pousser le plus loin possible réformes et refondation de l’école". Le ciel l’entende et les luttes fassent que le ciel ne soit pas trop sourd ! Il est vrai que la volonté affichée par Vincent Peillon de revisiter en profondeur le socle commun et de renforcer sérieusement l’enseignement élémentaire peut créer un contexte favorable pour l’ouverture de perspectives beaucoup plus ambitieuses. L’affirmation simultanée par le ministre qu’il n’y a aucune fatalité à l’échec scolaire, et qu’il convient malgré tout de maintenir le principe du socle commun, est en effet profondément contradictoire, le principe du socle commun n’étant rien d’autre, historiquement et pratiquement, qu’une façon de prendre acte de l’inéluctabilité de l’échec scolaire. Une véritable amélioration des apprentissages élémentaires ôterait inévitablement sa raison d’être au socle commun, même revisité. Soyons assurés qu’une entrée massivement réussie dans le lire-écrire-compter amènerait ses bénéficiaires à poursuivre leurs études le plus loin possible !

    Merci de cette contribution de notre collègue à deux questions sur lesquelles le GRDS ne s’est pas encore vraiment aventuré : celle des rythmes scolaires, et celle de l’école enfantine. Notons simplement que sur la première la détermination du ministre à faire avancer le dossier paraît forte, mais qu’il ne soulève pas une question conjointe non négligeable : 144 jours de classe par an c’est moins qu’ailleurs, mais si on réduisait l’écart entre le temps scolaire et le temps de mise en activité intellectuelle effective des élèves, la question ne perdrait-elle pas de son acuité ? Car le problème de cet écart renvoie lui-même à la nature des dispositifs pédagogiques et des pratiques d’enseignement, domaine dans lequel Vincent Peillon ne veut pas se risquer par peur de diviser le milieu enseignant (cf. son entretien dans Télérama du 12 septembre 2012).

    Quant à la formation initiale des enseignants de l’école première il nous paraît essentiel que s’ouvre un débat sans tabou sur la question de la polyvalence, qui constitue aujourd’hui à notre sens un obstacle majeur à la qualité de cette formation. On ne peut pas être spécialiste de tout, et les apprentissages élémentaires requièrent pourtant une maîtrise sérieuse de l’histoire, de l’épistémologie, de la didactique de ce que les maîtres sont appelés à enseigner. Une amélioration massive de la conduite des premiers apprentissages est au prix de la satisfaction de cette exigence. Autant dire qu’il vaut bien mieux recruter des spécialistes des deux langages essentiels dans lesquels les maîtres de l’école élémentaire doivent faire entrer leurs élèves, la langue écrite et les mathématiques, que des économistes ou des biologistes. A condition bien sûr de veiller à la rigueur logique des littéraires qu’on recrute et aux ressources linguistiques des matheux. Mais ces qualités ne font-elles pas partie d’une bonne formation littéraire et d’une bonne formation mathématique ?