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Comment enseigne-t-on à l’école élémentaire ?

"Que font les maîtres ? Pour un bilan de la rénovation pédagogique de l’école", par Houssen Zakaria

mardi 13 novembre 2012, par Bertrand Geay

Une enquête, rare, détaille les pratiques enseignantes aujourd’hui en ZEP et s’efforce de décrypter leurs effets dans les transmissions et apprentissages des savoirs. Passionnant.

Les pratiques enseignantes sont plus souvent la cible de dénonciations à l’emporte-pièce que de travaux scientifiques rigoureux. On sait pourtant qu’elles constituent un enjeu décisif pour la transformation de l’école et la lutte contre les inégalités, tout particulièrement les pratiques des maîtres du premier degré, qui ont fait l’objet de toutes sortes d’injonctions ces dernières années. Le livre d’Houssen Zakaria [1] est une contribution importante à cette indispensable réflexion sur ce que les enseignants de l’école élémentaire font dans leurs classes et sur les effets de ce qu’ils font.

L’auteur s’appuie sur une enquête conduite auprès de 40 enseignants, par entretiens approfondis, et, démarche beaucoup plus rare par son ampleur, dans les 40 classes où ils exercent, par observation directe. Le contexte des Zones d’Education Prioritaire a été choisi comme un analyseur des formes scolaires issues de la rénovation pédagogique des années 1970-80. Car tel est bien l’objectif de l’enquête. Il s’agit d’abord de comprendre de quelle manière les enseignants d’aujourd’hui arbitrent dans les programmes et prescriptions pédagogiques officiels, comment ils « tiennent » la classe et organisent leurs séquences pédagogiques. Il s’agit ensuite d’apprécier l’impact de ces pratiques sur les apprentissages, en particulier pour les élèves socialement les plus éloignés de la culture scolaire. Le constat est alors implacable. Dans leur forme dominante, parce que les enseignants s’efforcent de concilier toute une série d’exigences contradictoires, ces pratiques tendent à privilégier les temps de découverte sur les temps d’exercice, le dialogue participatif à la transmission de définitions rigoureuses, le contournement des difficultés à la démarche progressive et exigeante de confrontation aux savoirs.

L’originalité du propos est de donner à voir de quelle façon les enseignants en viennent à agir spontanément en ce sens, compte tenu du contexte dans lequel se forge cette sorte d’économie de leurs pratiques. Sont fondamentalement en cause les programmes scolaires et les horaires qui leur sont dévolus, l’emprise des modèles éducatifs des classes moyennes, les difficultés à « tenir la classe » découlant des transformations des rapports entre les familles et l’école, la formation des enseignants et finalement la façon dont la rénovation pédagogique des années 1970-80 est demeurée inachevée. C’est en tous les cas dans ce sens qu’il faudrait lire les résultats de ce travail d’enquête. C’est peut-être moins le « constructivisme » ou les « pédagogies nouvelles » qui sont en cause, que la façon dont ils ont inspiré le mode d’ajustement des enseignants aux conditions qui leur ont été faites. Le tableau d’ensemble de l’école primaire d’aujourd’hui serait à nuancer, mais les questions posées font mouche. A lire, donc, par tous ceux qui se préoccupent de changer l’école. Et à discuter collectivement !

(Compte-rendu paru dans L’Humanité du 12 novembre 2012)


[1Houssen Zakaria, Que font les maîtres ? Pour un bilan de la rénovation pédagogique à l’école, Paris, La Dispute, coll. « L’enjeu scolaire », 2012.