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Les programmes de français : de la stabilité au soupçon. 3. 1970 – 2010, illusions perdues

mardi 25 mars 2014, par Agnès Joste et Philippe Le Quéré

Les remises en cause pédagogique, culturelle et politique d’un enseignement socialement marqué du français semblent paradoxalement, au début des années 70, ouvrir une voie de salut à ses professeurs ; pour véritablement démocratiser le français, il suffirait de continuer l’œuvre de purification commencée avec l’éviction du modèle latin : le débarrasser des méthodes traditionnelles en repensant l’abord de la langue et des œuvres sur le mode linguistique et structural, le délivrer des connivences culturelles en objectivant son étude, enfin le purger de l’humanisme disciplinaire et historique en instaurant une démarche d’appropriation individuelle sans médiation ni maître, trop marqués du sceau dominant.
Deux courants concomitants et finalement convergents vont plus particulièrement remettre en cause et déstabiliser les contenus de l’enseignement du français : la contestation du « maître » et la promotion de l’élève par les pédagogies nouvelles, et la critique du corpus littéraire par une association de spécialistes qui étend ses thèses jusqu’aux syndicats. Si l’un et l’autre provoquent des réflexions salutaires, ils crispent aussi un débat qui n’est à l’heure actuelle ni tranché ni apaisé, la baisse régulière du niveau des élèves dans toutes les statistiques montrant bien que ni les horaires, ni les contenus, ni les méthodes ne conviennent.

L’entrée en lice de doctrines porteuses de conflits

Non plus des « maîtres », mais des « animateurs »

Placé devant les changements suscités par la réforme Berthoin et les avancées disciplinaires multiples qui mettaient en évidence les impasses de la routine, des contenus ou des méthodes, le ministre Alain Peyrefitte soutenait un changement général du système éducatif ; il avait nommé Louis Legrand – qui rédigea une première élaboration du plan Rouchette, le « projet d’instructions », et fera en 1981 partie du ministère Savary - à la tête de l’IPN (Institut pédagogique national) en 1966, et mit nettement en selle, au colloque d’Amiens de mi-mars 1968 consacré à la pédagogie du secondaire, la nébuleuse réformiste issue de l’éducation nouvelle : « Nous voulons des maîtres qui soient moins les serviteurs d’une discipline que les serviteurs des enfants, des maîtres qui sachent, certes, de quoi ils parlent, mais aussi et surtout à qui ils parlent [1] ». Il confirmait les « sciences de l’éducation » introduites à l’université l’année précédente, préconisait l’organisation des niveaux en cycles, préfigurait les futurs IUFM, et proposait de voir dans les professeurs non plus des « maîtres » mais des « animateurs » [2].

Ces idées n’étaient pas nouvelles : elles faisaient le fond de nombre de préconisations et d’expérimentations depuis la pédagogie Freinet ou certaines des instructions de Jean Zay en 1938, et même des traditionalistes comme les inspecteurs généraux du Memento de 1953 y faisaient appel, en prônant les exposés oraux et les recherches individuelles. Elles prennent cependant un relief particulier si l’on examine de près leur premier champ officiel d’application systématique avant 1968, les classes « de transition » et « pratiques », où elles se sont développées à l’état pur. Pour la première fois en effet, et contrairement aux principes de Jean Zay qui les couplait à des programmes exigeants, on voit sans masque, dans les textes officiels, que ces pédagogies peuvent s’opposer de front à une acquisition raisonnée des connaissances.

Les textes de 1963 pour les classes de « transition » de 6e et 5e (qui ont accueilli les élèves des anciennes classes de fin d’études du primaire, intégrés au collège par les réformes de 1959-63) prônent des « méthodes actives », des « activités d’éveil », le « travail par équipes » ou par « groupes » (« on devra constituer dans la classe des groupes de travail en tenant compte des niveaux différents de connaissances et des différences d’aptitude, groupes qui ne doivent pas être rigides d’ailleurs ; tel enfant peut être dans le groupe des ‘forts’ en orthographe, dans celui des ‘faibles’ en calcul. ») [3] Les textes de 1963 et 1964 insistent plus généralement sur "l’individualisation des tâches" qui devra "être opérée le plus fréquemment possible". "De préférence, on donnera aux exercices une forme individuelle (par l’utilisation des fiches de travail et du système des ateliers tournants). On pourra ainsi adapter le rythme de la progression aux possibilités de chaque enfant.", et le recours à l’oral : « l’expression écrite risque, chez ces élèves, de ne pas traduire leur niveau réel » [4] ; ceux de 1964 pour les mêmes classes s’appuient explicitement sur les techniques Freinet [5] ; enfin les instructions de 1966 pour les « classes pratiques » (pré-professionnelles) de 4e et 3e utilisent la formule qui fera florès et problème vingt-cinq ans plus tard : « ces classes participent au courant pédagogique qui tend à placer l’élève au centre de l’action éducative. » [6] Le but de l’école devient « l’épanouissement général de l’élève ».

Les savoirs n’y sont pas déconnectés de l’affectivité. Les instructions relatives au « climat » de la classe sont très développées et psychologisées : l’élève « traumatisé » par ses échecs antérieurs rencontrera « l’affection » de son maître, sa bienveillance (« on se gardera de sensibiliser exagérément les élèves par des jugements de valeur rigoureux »), et une « mise en confiance ». La « motivation » est importante et fixe le niveau des acquisitions : « on se règlera sur l’intérêt immédiat (…) des élèves ». Ce qu’on appellera plus tard la « pédagogie de la réussite » est déjà là, et impute l’échec non à l’élève mais au maître : « le zéro en problème ou en dictée dans ces classes signifie seulement que l’exercice a été mal choisi. » Avant même 1968, le maître est d’ailleurs remis à sa place : « La place du maître à son bureau, devant ses élèves et souvent une estrade, est le signe d’un enseignement conceptuel à base d’autorité. On supprimera donc l’estrade. Le maître doit avoir, sur le même plan que l’ensemble de la classe, son coin à lui. » [7]

Il est d’ailleurs peu question de savoirs, encore moins « conceptuels ». Les programmes sont remplacés par un « objectif » rendant les contenus évanescents : « le programme restera conçu en termes très larges, l’objectif minimum d’ensemble pouvant être défini comme le niveau moyen de connaissance et de moyens mentaux du cours moyen 2e année, notamment en ce qui concerne les apprentissages de base : parler, lire, écrire, calculer ». Les disciplines sont peu caractérisées (aucun programme, aucune progression ne sont fixés, les élèves n’ont pas plusieurs professeurs, mais un seul maître) et effacées au profit de travaux par « thèmes » (« la commune – son site, son terroir, sa population, son histoire », « les vestiges du passé,… les musées ») sans organisation prescrite et constamment fondés sur « l’intelligence concrète » et non le « raisonnement formel » ; l’histoire, la géographie et les sciences sont placées au rang d’« éveil » ; les activités sont souvent des enquêtes ; et les horaires hebdomadaires sont absents en 6e et 5e, n’apparaissant qu’en 4e et 3e. Le travail hors classe est réduit : les activités d’éveil ne doivent pas être l’objet « d’une mémorisation systématique et imposée ». Le cycle terminal (4e et 3e « pratiques » pré-professionnelles) a pour objectif moins des connaissances que des « attitudes et qualités », « visant avant tout à la polyvalence et à l’adaptabilité » au monde du travail : « savoir comprendre, retenir, appliquer, un ordre, une consigne, une notice ou un mode d’emploi », « pouvoir donner ou recevoir aisément l’information sous forme orale, écrite ou dessinée. »… Toutes formulations qui préfigurent clairement les « piliers » du « socle commun » et les « compétences » fixées par l’OCDE des années 2000 et passées en loi en France sous le ministère Fillon en 2005…

Dans un premier temps cette pédagogie rencontre une forte opposition, non de la droite qui après 1968 se préoccupe surtout du plan Rouchette et de la rénovation de la langue comme facteurs de désordre, et pas d’élèves en « retard scolaire », « moins doués » ou « sous-instruits » [8], mais de la gauche : Christian Baudelot et Roger Establet posent en principe, dans L’École capitaliste en France (1971), que les classes de transition sont des filières d’exclusion, rendant impossible la « transition » qu’elles sont censées assurer ; il s’agit d’un aller sans retour : « Les méthodes actives ont, entre autres actions, celles d’interdire à ceux qu’elles soumettent la possibilité de se réadapter aux pratiques scolaires plus coercitives du secondaire-supérieur. Elles leur en ferment définitivement l’accès ». Ils condamnent l’esprit de cette « pédagogie de la jachère et du laisser-faire » : « Ce qui se donne comme la pointe de la recherche pédagogique atteste en fait le désintérêt profond manifesté à l’égard de ces élèves qu’on ne cherche qu’à occuper, le plus heureusement possible, le plus utilement parfois : c’est ainsi que l’illusion pédagogique parviendrait presque à faire prendre pour le sommet de l’audace pédagogique des pratiques qui contribuent pour leur part à réaliser la division de classe et préparent à l’exploitation. » Baudelot et Establet ne condamnent pas les méthodes actives en elles-mêmes, mais leur action délétère et leur opposition avec les savoirs construits et l’acquisition réflexive et argumentée des connaissances transmis et pratiqués dans les filières classique et moderne : « Il ne s’agit pas, ici, de mettre en question les pratiques scolaires en tant que telles, mais de montrer que loin de valoir en soi ces pratiques n’ont de sens qu’en tant qu’elles sont incompatibles avec celles du réseau secondaire-supérieur » [9].

Ces analyses pertinentes n’auront aucun effet. Au contraire cette pédagogie, bientôt appelée « pédagogisme » car dévoyée par un effet de radicalisation idéologique, n’aura de cesse de s’imposer et de dénigrer les savoirs, pensant peut-être que son extension à tout le système éducatif ferait tomber l’accusation politique. Pire, elle entrera dans la loi en 1989. Elle avait pourtant été très vite l’objet, en 1973, d’une condamnation officielle en tant qu’impasse scolaire : « À la lumière d’une expérience de plus de huit années, il apparaît que l’absence de programmes n’est pas dépourvue d’inconvénients, en particulier pour l’entrée des élèves dans des sections d’enseignement général ou professionnel ou pré-professionnel. Un texte d’orientation qui propose des contenus sera diffusé prochainement. » [10]

« Nous posons en principe le refus d’une culture-somme » : l’Association Française des Professeurs de Français (AFPF)

En sus ou en complément des Cahiers pédagogiques entrés depuis longtemps dans les projets de réforme et les vues ministérielles, et subventionnés par l’État, se constituait une association de professeurs et universitaires majoritairement de lettres modernes, à l’origine préoccupée de « français langue étrangère » dans le cadre de coopérations internationales pour le développement de la francophonie : l’AFPF (Association Française des Professeurs de Français), qui s’ouvrait également au premier degré et aux établissements privés. Par l’entremise d’un de ses fondateurs éminents, Pierre Barbéris, et quittant sa sphère initiale, l’AFPF chercha à entrer dans les négociations pour peser sur les projets de réforme au ministère, à partir de janvier 1969. [11] Devenue AFEF (passant de « professeurs » à « enseignants » pour intégrer le premier degré), elle noua des liens avec des participants ou des partisans du plan Rouchette de rénovation du français en primaire, comme Jean Repusseau. [12]. Son programme, paru fin 1969 sous le nom de « Manifeste de Charbonnières » [13], empruntait aux préoccupations déjà anciennes des linguistes et plus récentes de la nouvelle critique et des sociologues bourdieusiens, pour redéfinir l’enseignement du français dans le secondaire.

Sur le plan de la langue, ce manifeste reprend explicitement les travaux de la commission Rouchette, issus de la linguistique et de la théorie de la communication [14], en se souciant comme elle de remplacer l’enseignement de la norme par celui de la structure, et en mettant l’accent sur le fonctionnement rationnel de la langue : « Il sera utile de montrer que l’expression de la langue répond à un système aussi rigoureux que celui de la logique ou des mathématiques. Il serait fâcheux que les sciences seules apparaissent aux yeux des enfants comme exactes. »

Si la grammaire revendiquée ici à juste titre est scientifiquement plus exacte et objective, le manifeste y mêle des considérations extérieures et des jugements qui obscurciront pour longtemps le débat : son relativisme (« la linguistique substitue à la notion de faute celle de convenance ») sera exploité plus tard pour discréditer l’enseignement d’un français classique ; et son règlement de compte psychologisant avec la tradition (« elle invite donc les pédagogues à remplacer des techniques au fond répressives par des exercices d’entraînement linguistique ») fera assimiler à tort l’enseignement de la grammaire à une oppression indue.
De même, la vertu de la grammaire comme formation nécessairement précoce de l’expression et de la réflexion est niée, et sa maîtrise repoussée vers un aval inquiétant : « On tient cependant à rappeler que l’étude de la langue - ou mieux, des divers systèmes d’expression - doit être poursuivie tout au long des études et, en particulier, jusqu’à la fin du second cycle du second degré. » Une telle affirmation, au lieu d’être productive, va servir d’autorisation à repousser indéfiniment la maîtrise des fondamentaux. Or s’il est certain que la qualité de la langue écrite doit être sans cesse améliorée, son étude systématique doit être rapidement terminée, car comme le dit Eric Pellet, « la grammaire est (…), avec les mathématiques, la discipline scolaire qui donne le plus tôt accès à l’abstraction » [15], et elle fait partie à ce titre des bases indispensables.

En matière de littérature, la rupture avec les habitudes d’enseignement est totale : « Sans prétendre définir ce que pourrait être aujourd’hui la culture, nous posons en principe le refus d’une culture-somme, ou organisée selon des normes chronologiques et nationales. » [16] Les notions d’histoire littéraire sont donc désormais considérées comme caduques et doivent être remplacées par des « objectifs » : « Pour être efficace, toute réflexion sur le choix des textes et des méthodes nous semble devoir être articulée non sur un programme chronologique (présupposant la culture-somme que nous refusons comme irréaliste) mais sur une progression des objectifs ».

La doctrine est précisée : « Il y a lieu d’opérer un renversement de perspective : au lieu d’organiser la classe de français comme une revue de l’histoire littéraire nationale par la lecture d’œuvres chronologiquement abordées et de morceaux choisis, il nous semble que la fonction principale du professeur de français dans ces classes est de donner une capacité d’accès méthodologique aux grandes œuvres littéraires. »

Ces positions de Charbonnières n’évitent pas le dogmatisme ; elles sentent davantage le règlement de comptes idéologique (la lutte contre « la classe de français comme une revue de l’histoire littéraire nationale » et « le déroulement d’un programme chronologique suivi », « le refus d’une culture-somme, ou organisée selon des normes chronologiques et nationales ») qu’elles n’exposent de solution détaillée en dehors de méthodes. D’ailleurs l’AFEF encore AFPF n’aura pas de propositions prêtes pour la définition des nouvelles épreuves du baccalauréat, élaborées à partir de 1968 [17]. Et dans la commission Emmanuel, elle se gardera de participer en tant que telle aux propositions de programmes et instructions [18].

Elle se radicalisera plus tard pour lutter contre la dissertation à l’examen, et parvenir, en 2000, à refuser d’enraciner la littérature dans le temps et à stigmatiser l’étude d’auteurs « morts ou en bonne voie de l’être » [19]. C’est dire si sa doctrine va créer des tensions. Elle contribuera également à importer un nouveau mode de réforme qui va peser plusieurs dizaines d’années sur l’enseignement du français : les universitaires, majoritaires au sein de cette association, imposeront leurs vues théoriques dans la rénovation de la discipline, au détriment de la pédagogie et des résultats des élèves.

Cependant, les demandes déjà anciennes, notamment aux Cahiers pédagogiques [20], de l’étude d’œuvres complètes et de méthodes efficaces dégagées de la subjectivité morale ou de la connivence culturelle, trouvent là un écho. Ce manifeste rencontre de plus la conviction politique d’une certaine proportion de professeurs soucieux de démocratiser l’école, notamment en la libérant du modèle idéologique dominant porté par le français, et de dispenser un enseignement plus exact de la langue et de la littérature, éclairé par les avancées scientifiques en la matière. Les réformes de 1968-69 vont les entendre.

Après la crise structurelle, intellectuelle et pédagogique : repenser le second cycle

En absorbant de façon volontariste entre 1959 et 1963 les diverses structures antérieures dans un système quasi globalisé, le collège avait trouvé un fonctionnement pour le premier cycle, entraînant dans son sillage, en amont, une redéfinition de l’étude du français en primaire. Le second cycle va, lui aussi, se réformer sous pression de l’aval : il ne donne pas satisfaction à l’université dont l’organisation réclame des étudiants préorientés entre littéraires et scientifiques, alors que le lycée fonctionne sur une autre dichotomie, entre classiques et modernes. Cette répartition va donc voler en éclats en 1965, rencontrant une autre préoccupation : le souci d’enseigner des matières davantage rationalisées, et de valoriser des études scientifiques réclamées par les milieux politiques, économiques et industriels. Les filières classiques A et C et moderne M sont remplacées par trois cursus en 2e : A littéraire, C scientifique, et T technique, subdivisés en 1ère par trois autres séries : B économique, D sciences de la nature, et E mathématiques et technique. Dans cette réorganisation qui est aussi une démocratisation, le statut du français et celui de la filière littéraire vont être bouleversés ; pour la première fois la série A est pensée sans langues anciennes puisque le latin n’est plus la pierre angulaire de la structure : la filière littéraire s’ouvre aux modernes, le latin pouvant y être remplacé par une troisième langue vivante.

Le français au baccalauréat

Sous les mêmes pressions ajoutées à celle du renouveau de la réflexion littéraire, l’examen ne peut rester dans le statu quo ante. Différentes mesures structurelles vont indirectement résoudre la sclérose induite dans les pratiques du second cycle par les types d’épreuves du baccalauréat. Le remplacement en 1962 de la première partie de l’examen, passée en fin de 1ère, par un « examen probatoire », avait de fait exclu le français du baccalauréat, le probatoire étant un diplôme de fin d’études secondaires et non le premier grade de l’université. A son tour, la suppression du probatoire, fin 1964, repousse pendant deux ans l’épreuve de français à la Terminale en l’incluant à nouveau dans le baccalauréat, mais la lourdeur de la certification finale et la confusion avec l’enseignement de philosophie sont tranchées par le ministre Edgar Faure début 1969 : l’épreuve de français du baccalauréat sera passée en fin de 1ère de manière anticipée, comme au temps de la première partie ; elle sera composante intégrale des autres épreuves finales ; et le français devient facultatif en Terminale.
Souhaitables sur le fond, les deux réformes des séries en 1965 et de l’examen en 1969 vont causer indirectement la crise de la filière littéraire, qui actuellement n’a pas fini de peser : après avoir perdu le critère du latin, elle perd celui du français, qui n’est plus le marqueur de la série puisque les épreuves anticipées concernent toutes les séries sur le même modèle, et puisque son enseignement s’arrête avec la classe de 1ère.

Contrairement à la filière scientifique fortement structurée et renforcée en 1ère et en Terminale avant l’examen, la filière littéraire est explicitement coupée, ces deux années cruciales, d’une spécialisation et d’une formation caractéristiques qui en auraient fait le symétrique de la filière scientifique. Dit autrement, la filière littéraire paie de sa disparition la démocratisation du français. Mais à l’époque le risque n’est pas perçu : en 1967-68, les facultés de lettres accueillent 34,3 % des étudiants [21].

Les épreuves anticipées : une révolution copernicienne

La réforme chirurgicale du baccalauréat de français sous la forme anticipée va nécessairement avec une redéfinition des épreuves, pour résoudre simultanément la crise patente de l’examen, qui soucie les réformistes comme les radicaux [22], pris entre deux feux. L’option traditionnelle, maintenant au baccalauréat la composition française sur programme d’auteurs, bloquait toute évolution des programmes et des méthodes, étroitement liés à l’examen. L’option novatrice, voulant désamorcer psittacisme et catéchismes en privilégiant le contact direct avec les œuvres, démunissait les élèves moyens de repères simples et favorisait indûment, en cultivant de préférence les émotions et le goût au détriment des connaissances explicites, les candidats rompus culturellement à la lecture et à l’expression personnelles. [23] L’impasse était donc totale.

L’été 1968, Edgar Faure met en place une commission de rénovation pédagogique, où un groupe issu de l’Inspection générale, des syndicats, des associations de spécialistes et de parents d’élèves se réunit spécifiquement sur les épreuves de l’examen. En novembre le principe de trois sujets proposés aux candidats est maintenu, mais au sein d’une rénovation profonde des supports et des libellés.

Les critiques sur le carcan des programmes sont entendues : « À chaque niveau, les programmes ont pour objet de graduer les efforts et d’éviter les redites. Ils offrent des suggestions assez variées pour qu’il soit aisé d’y puiser, mais n’exigent évidemment pas d’être traités en entier. […] Dans les classes terminales, cette liberté s’est trouvée réduite par l’étroitesse d’une liste d’auteurs liée à l’étroitesse des horaires. L’intérêt immédiat des candidats a souvent conduit à n’étudier que les œuvres susceptibles de fournir matière à l’examen, et à les étudier toutes. Ces considérations n’ont plus à intervenir aujourd’hui, puisque les sujets de baccalauréat de second type ne doivent plus porter de manière exclusive sur une partie limitée du programme. [24] »

On propose tout d’abord un commentaire, sous deux formes : un commentaire de texte littéraire initialement réservé à la filière A, et un commentaire ou une analyse de texte d’idées, essai ou article de presse, d’esprit plus proche des épreuves de français des grandes écoles scientifiques et donc au départ destiné aux filières C, D et E ; et deux sujets de composition française, l’un littéraire sur programme large des « grandes œuvres que le candidat a étudiées ou lues », l’autre détaché de tout programme précis pour faire évoquer par le candidat, « en s’appuyant sur sa propre expérience et sur ses lectures » et sur « son imagination », « un thème intellectuel, moral, social ou esthétique », dans l’esprit d’une « ouverture sur le monde et la vie » issue en droite ligne du discours d’Edgar Faure à l’Assemblée après les événements de 1968.

La caractérisation définitive des sujets, sous le ministère Guichard en 1969 [25], recadre le propos. Le premier sujet s’adresse dorénavant à toutes les filières, et propose un résumé ou une analyse d’un texte d’idées, suivi d’une « discussion » à partir d’une phrase ou d’une idée significative du texte laissée au choix du candidat ; le second est un commentaire composé d’un texte littéraire, guidé par un libellé ; le troisième est un « essai littéraire » qui reprend à peu de choses près le second sujet retenu en 1968, en écartant la « question de cours » et en insistant sur « les réactions authentiques » et le « sentiment sincère » du candidat. La composition française de troisième sujet dans la version antérieure, sur « un thème intellectuel, moral, social ou esthétique », est écartée pour deux raisons : après Bourdieu et les structuralistes, la visée morale qu’elle semble donner à l’enseignement littéraire ne peut plus être acceptée ; et toutes les instances de négociation la trouvent floue et subjective, impossible à préparer, et donc inapte, par sa fragilité conceptuelle, à une épreuve de certification finale. Le débat sur un tel type de sujet, clos à l’époque, resurgira trente ans plus tard, où le flou sera cette fois choisi, avec le sujet « d’invention » introduit en 2001, demandant aux candidats de se projeter dans des scénarios ou des personnages (écrivains, metteurs en scène, éditeurs…) improbables.

L’examen écrit est doublé d’un oral composé d’une explication de texte, sur liste présentée par le candidat des passages et des œuvres étudiés dans l’année, suivie d’un court entretien où le candidat pourra « manifester ses capacités de réflexion et d’expression », ainsi que ses « connaissances générales ». La sclérose des orientations antérieures, faisant de l’histoire littéraire le seul but de l’étude des œuvres, est parée par avance : « L’épreuve ne saurait être une interrogation d’histoire littéraire et ce n’est pas à la mémoire du candidat qu’elle fait appel ». L’explication de textes est ainsi, selon les vieux souhaits de Lanson au début du siècle, mise au premier plan.

La même année, les épreuves de français du baccalauréat de technicien sont alignées sur celles du cycle général et anticipées à leur tour. L’enseignement du français s’en trouve unifié, et affirme sa nature littéraire dans toutes les séries comme le souhaitaient les textes de 1947 soucieux « d’assurer aux élèves de nos Collèges Techniques une culture littéraire qui les mette au contact des chefs-d’œuvre de la littérature classique. » Enfin, dans toutes les séries, l’horaire hebdomadaire du français en 2e et 1ère est augmenté d’une heure, par compensation de la perte du français de Terminale.

Ce tournant est aussi important que celui de 1880, écartant l’imitation pour parvenir à la réflexion personnelle. Un même mouvement, quatre-vingt dix ans après, écarte, dans le même but, une histoire littéraire rigidifiée et impérialiste pour favoriser des « capacités de réflexion et d’expression ».

De nouveaux programmes : la réforme introuvable

Si le désir de mutation se manifestait, pour des raisons soit pédagogiques soit scientifiques, dans les Cahiers Pédagogiques, dans les salles des professeurs les plus impliquées et les recherches universitaires, il n’était transcrit, hors de l’examen, ni dans les faits ni dans les textes. Indispensable, il se trouva placé sous la houlette de deux commissions, l’une traditionnelle suscitée par Georges Pompidou, l’autre mise par Olivier Guichard d’abord sous le signe de la linguistique puis sous celui des enjeux culturels lorsqu’il en choisit le président : la commission Pierre Emmanuel. Sa lettre de mission séparait nettement la double finalité du français, communication pratique et expression esthétique, et reléguait définitivement la grammaire, jugée obsolète à partir du moment où le latin déclinait et était repoussé en 4e : elle n’avait jamais été, aux yeux du ministre, qu’une propédeutique à cette matière condamnée, et non ce qu’y voyait l’inspection générale quinze ans plus tôt, le développement de « l’aptitude à l’analyse et au raisonnement » [26]. Un grand nombre de professeurs du supérieur siégeaient dans cette commission, représentants de la nouvelle critique et de la linguistique, et elle était essentiellement ouverte aux partisans d’une réforme, notamment l’AFPF.

Les travaux avaient à peine commencé que la question politique s’y invita, dans les mêmes termes à peu près que dans la commission Rouchette pour le primaire quasi contemporaine, avec la déclaration d’intention de Pierre Barbéris (président de l’AFPF) pourtant exempte de maximalisme. Les conservateurs, par la voix de l’UNI, dénoncèrent aussitôt une entreprise marxiste de « destruction du patrimoine culturel, ciment de la communauté nationale ». Face à des déclarations enflammées de refus de la « culture bourgeoise » à gauche et dans les syndicats d’enseignants (SGEN, FEN en particulier, SNES dans une moindre mesure), certains – École Émancipée à gauche et Université moderne à droite - jouèrent à fronts renversés, dans une perspective républicaine et égalitaire qui ne voulait pas renoncer à enseigner un français élaboré aux élèves socialement et culturellement démunis, qui sans leurs professeurs n’avaient aucun moyen d’élévation ni d’émancipation.

Mais en dépit des divergences (utilitarisme à droite, où Georges Pompidou allait jusqu’à préconiser une sélection précoce, excluant les élèves « moins doués » de l’étude de la littérature ; promotion à gauche où Pierre Barbéris tenait à la culture générale, la lecture et la littérature pour tous), l’idée de réforme et la diffusion des avancées de la linguistique et de la nouvelle critique progressaient. La réalité de toutes façons s’imposait : avec la réforme des universités en 1968, leur autonomie en matière de formation et l’apparition d’unités de valeur de linguistique française et de théorie du texte, la formation universitaire des futurs professeurs était modifiée en profondeur ; en littérature, les approches méthodologiques et théoriques structuraient l’étude des œuvres. L’agrégation de grammaire, fondée sur la linguistique des langues anciennes et la grammaire française, introduisit la première la linguistique moderne dans ses épreuves de français, en 1970. Au CAPES de lettres modernes de 1972, une citation de Barthes entra dans les sujets [27]. Des professeurs des ENS (Écoles normales supérieures) appartenaient à la nouvelle critique. Enfin des éditeurs de manuels anticipèrent largement sur des instructions éventuelles pour proposer de nouveaux exercices. Les revues pédagogiques spécialisées leur emboîtèrent le pas.

Pendant ce temps les travaux de la commission s’enlisèrent, pris entre les exigences ministérielles de production rapide de textes applicables et la difficulté à dégager les lignes doctrinales essentielles et les finalités de la réforme à mener – l’AFEF n’avait pas de solution alternative à proposer, et démissionna fin 1973. Le ministère suivant, avec Joseph Fontanet, s’irrita de l’absence de production de programmes de second cycle par la commission et en chargea l’inspection générale. L’intérêt de la commission n’était plus évident et elle disparut par consentement mutuel en avril 1974.

L’inspection générale avait rédigé de son côté des programmes de lycée qui intégraient de nouveaux modes d’approche (étude d’œuvres intégrales, recours lâche aux programmes, études thématiques, ouverture vers la linguistique) mais ils en restèrent à l’expérimentation dans quelques établissements. La réforme Haby du collège, avec la suppression des filières, retarda jusqu’en 1981 la parution de programmes nationaux pour le second cycle. Un seul texte officiel, allégeant les programmes comme le souhaitait Georges Pompidou, parut en 1973 ; il réduisait la part de Corneille (une seule tragédie), supprimait Bossuet et Boileau, ainsi que l’obligation de l’étude de deux œuvres complètes par trimestre. La part du XVIIème diminuait encore, mais les modes d’étude n’étaient pas remis en cause. Depuis 1947, il y avait eu au fond peu de changements dans les textes officiels pour le second degré.

Un nouvel examen : des instructions déguisées

La réforme impossible des programmes de second cycle se fit autrement, par le biais des textes définissant, par ajustements successifs qui durèrent dix ans, de 1968 à 1978 (le temps de carence de nouveaux programmes), les épreuves anticipées. Le sujet révolutionnaire de « résumé/analyse-discussion » fit entrer au lycée de véritables préoccupations de langue et d’expression, et renouvela l’approche du texte d’idées. Quant à l’épreuve orale sur liste, c’était la vraie nouveauté ; elle orientait tout le contenu et les pratiques de l’année de 1ère. Mais ces nouvelles épreuves étaient peu caractérisées et furent donc sujettes à des recadrages successifs qui par défaut firent office d’instructions pour le lycée : les deux années de 2e et 1ère se moulèrent sur le baccalauréat et cherchèrent à y répondre. Ce faisant elles évoluaient.

Un programme assimilable

Les épreuves libéraient tout d’abord les professeurs du programme officiel en le déconnectant de l’examen. A l’écrit le programme devient dès 1968 un support et non un savoir obligatoire : « les sujets du premier type reposent sur une étude de texte (appartenant ou pas au programme) » ; l’essai littéraire ne vise pas « de manière exclusive un ouvrage ou un écrivain déterminé », mais « les grandes œuvres que le candidat a étudiées ou lues », puis en 1969 il sort plus nettement encore d’un programme : « les grandes œuvres que les candidats connaissent par leurs études ou leurs propres lectures », formule qui en 1971 est reprise et complétée pour éviter l’équivoque (ce qui montre que l’idée était mal admise par les examinateurs) : ce sujet « permet au candidat d’évoquer librement les textes de son choix ». Les sujets portent sur le roman, la poésie, le cinéma, le théâtre, ou font entrer les candidats dans les débats du moment : « Jean Giraudoux a écrit : ‘Mes camarades avec moi ont quitté leurs bancs d’élèves, les uns vers le droit, les autres vers les lettres, tous persuadés qu’ils connaissaient dans ses plus hermétiques ressorts la littérature française. Ils n’en connaissaient rien. Moi non plus. Les morceaux choisis ne sont qu’une des formes du complot qui travaille depuis des siècles à dissimuler à chaque Français la réalité de cet héritage dont il est, quel qu’il soit, le légataire universel.’ Expliquez cette opinion de Jean Giraudoux sur l’étude de la littérature à travers les morceaux choisis, et dites pourquoi vous la partagez ou non, en analysant des exemples précis. [28] »

A l’oral, l’explication de textes et l’entretien portent sur la liste des œuvres et auteurs étudiés avec le professeur durant l’année. C’est donc lui qui parmi les auteurs et œuvres prescrits délimite pour sa classe le corpus à connaître, et fixe son programme : « Chaque candidat présentera à l’examinateur une liste indiquant les auteurs étudiés et les textes qui ont été l’objet de lectures contrôlées ou d’explications au cours de l’année. [29] ». Il peut ainsi s’adapter à sa classe et choisir les approches, réinstituant un lien organique avec le texte et non avec telle ou telle école littéraire.

Ces nouvelles modalités vont appeler des précisions, soit pour inscrire les nouvelles dispositions dans des mœurs rétives, soit pour limiter une liberté excessive : on y lit en creux les clivages qui traversent les salles des professeurs. Pour l’oral les textes officiels jouent la balance ; ils recommandent en 1976 que « les instructions concernant les épreuves orales soient mises à la disposition des examinateurs », il convient « de les joindre à la convocation » (elles étaient donc peu respectées), mais cherchent en revanche au fur et à mesure à recadrer l’épreuve dans la formation générale prescrite par les programmes de 1965-67 : « il est souhaitable que [la liste] comporte au moins sept ou huit noms d’auteurs d’époques variées » (1976), « il est indispensable que plusieurs genres y soient représentés » (1978), preuve que certaines listes n’étaient pas assez généralistes, soit par tradition soit par novation l’une ou l’autre excessives.

La formation d’un jugement

Les nouveaux sujets mettent l’accent sur la rigueur logique et la qualité de l’organisation de la pensée - toutes qualités peu explicitement cultivées auparavant -, qui vont donner à l’enseignement littéraire un statut plus objectif et plus formateur, et sur la rigueur et la qualité de l’expression : « quel que soit le sujet qu’il a choisi, le candidat doit s’attacher à mettre en valeur l’énoncé de ses idées par la clarté et la solidité de l’organisation, la correction de la langue et du style, la convenance du ton, la qualité de présentation de la copie. »

L’objectivité

Dans le premier sujet, le résumé ou l’analyse d’un texte d’idées contraignent à l’exactitude de la lecture, à la compréhension d’un raisonnement, et au compte rendu précis d’une pensée étrangère et parfois étrange, qui force à l’impartialité ; l’exercice est d’ailleurs issu des épreuves de français des concours scientifiques. Des consignes successives vont codifier ce nouvel apprentissage. Tout d’abord le rendre accessible : en 1971 le choix du texte support est sévèrement recadré, preuve de sujets inappropriés : « on évitera un texte qui pose de manière abstraite de vastes problèmes philosophiques, multiplie les allusions savantes, use indiscrètement d’un jargon spécialisé. (…) On retiendra un texte dont la composition soit claire et ferme – autant que possible sans coupures – un tout cohérent dont la langue et le style soient aisément accessibles. [30] » Les consignes insistent ensuite sur la vertu logique et formatrice de l’exercice : « met(tre) en évidence l’idée principale (…), reconstituer l’organisation interne de la pensée », et sur la distance salutaire qu’il instaure : « La contraction requiert un effort soutenu d’objectivité. Dans cette phase sont exclus les jugements de valeur ou les commentaires personnels, et l’ajout d’une introduction ou d’une conclusion qui ne figurerait pas dans le texte initial. [31] » De plus, cet exercice procure un apprentissage intensif de l’argumentation et un travail de langue (lexique, concision, expression) irremplaçable, qui répond fort à propos à l’accusation d’absence d’enseignement de l’écriture en second cycle.

La suppression inexplicable du résumé en 1994 (après la réforme de 1983, qui supprimait l’analyse et donnait un libellé à la discussion, le premier sujet étant difficile à appréhender) [32] retirera aux professeurs un exercice précieux et captivant, posera des problèmes dans les formations post-bac (classes scientifiques, enseignements para-médicaux) qui intègrent cette épreuve révélatrice dans leurs concours, et détournera bien des élèves du français, qui perdra ainsi une dimension précieuse d’ouverture au monde des idées contemporaines. Quant à ses qualités intrinsèques de respect de la pensée d’autrui, elles pouvaient avantageusement remplacer les discours moralisants de l’idéologie socialisante des décennies suivantes, et « la probité intellectuelle » que les allègements de 1973 avaient supprimée…

L’argumentation

Les instructions affirment et affinent, au fil des BO, la nécessité de plans clairs et d’organisation logique, que ce soit en discussion de sujet 1, commentaire ou essai littéraire. Dès 1968 le principe en est posé dans le commentaire : « Le commentaire vise à mettre en relief les éléments majeurs de l’intérêt et de l’agrément que peut éprouver le lecteur. Il est donc toujours composé. », réitéré en 1969 : « le commentaire écrit doit être construit de façon à faire apparaître méthodiquement les éléments d’intérêt que le candidat découvre dans la page proposée », et répété en 1978 [33], sans doute faute de s’être assez fait entendre auparavant : « La seule astreinte, mais elle est capitale, est que le commentaire soit composé. C’est précisément parce qu’il procède de réactions personnelles qu’il doit leur donner force par une organisation méthodique qui, éliminant les répétitions et le décousu, suscite chez le lecteur une adhésion qui va s’approfondissant. » Ce qui en fait est visé et a du mal à disparaître, c’est la tradition de l’explication linéaire et donc impressionniste. De même, les nouveaux exercices posaient des problèmes de rigueur aux professeurs, tels ces rappels révélateurs à propos de la discussion : « Pour être probante, la discussion doit comprendre une introduction, une démonstration étayée sur des faits et hiérarchisée, une conclusion », et de l’essai littéraire : « L’intérêt des réflexions ainsi formées et des illustrations et des justifications qui les éclairent est mis en valeur par la solidité de la composition. » Privée de ses supports avérés, la tradition peinait.

Le jugement personnel

Les fantômes du développement réflexe, du retour indû d’une histoire littéraire sclérosée, ou de la naissance de nouveaux dogmatismes, rôdent partout dans les textes officiels, qui écartent les questions de cours et insistent au fil des BO sur le jugement personnel : « Loin de faire servir [les œuvres] à l’illustration de « questions de cours » ou à d’ambitieux débats critiques, [l’essai littéraire] fait appel, à partir d’une question simple, aux réactions authentiques que le candidat a éprouvées [34] ». En commentaire, le candidat « n’a pas à faire servir ses observations à l’illustration d’un chapitre d’histoire littéraire », ni en essai à se livrer à un « débat de doctrine portant sur la définition théorique d’un genre, la genèse ou les effets généraux des productions de la littérature ». Corollaire de ce refus de psittacisme, l’avis personnel du candidat est largement sollicité : le sujet d’essai littéraire « pose, éventuellement à partir d’une citation, une question largement ouverte, qui n’appelle pas une réponse unique et prédéterminée. Cette question est formulée de manière que chaque candidat se sente capable de la résoudre pour son propre compte, selon ses propres vues, en tirant parti à sa convenance des lectures qu’il a faites en classe ou hors de la classe et sur lesquelles il peut fonder un jugement motivé. » Quant à la discussion, « offrant au candidat l’occasion de s’exprimer de manière personnelle sur un fait précis, elle exclut les développements généraux et tout faits. »

Ces dernières recommandations datant de 1978, on voit que la préparation de l’examen, en classe, n’avait pas fait, en dix ans, sa mutation. Certes, les sujets étaient exigeants, et le meilleur candidat sera toujours celui qui aura lu et profité de ses lectures. Mais l’accent mis sur des exercices susceptibles d’apprentissage méthodique et sur un corpus plus restreint marquait un progrès démocratique. Et le refus du mot « dissertation » [35], alors même que l’essai littéraire était dissertatif d’essence et de méthode, montrait qu’un mode d’enseignement statufié par le plan pseudo-hégélien devait se terminer.

Le premier cycle inégalitaire de la réforme Haby : des contenus, mais sans horaires

Les réformes Berthoin puis Fouchet avaient restructuré le premier cycle. En ce qui concerne le français, les recherches et expérimentations du plan Rouchette, ainsi que les divers séminaires réunissant enseignants et linguistes entre 1967 et 1970, informels ou sous l’égide de l’IPN (Institut pédagogique national) [36], avaient fait entrer dans les esprits et aussi dans les syndicats (SGEN, et SNES à partir de 1967) une culture linguistique moderne en même temps que la nécessité de revoir l’enseignement de la langue et ses catégories dans les collèges qui allaient accueillir les élèves d’un primaire rénové. Ayant connu auparavant un cursus de professeurs du secondaire, les linguistes universitaires y eurent un rôle clé.

Dans la même période, les horaires du français s’étaient nettement accrus. De 144 heures annuelles en 6e classique, 216 heures en moderne de 1947 à 1959, ils étaient respectivement passés entre 1960 et 1967 à 180 et 228. Après un sommet en 1968-69 pour pallier la disparition du latin, ils revinrent pour tous les élèves, de 1969 à 1977, à 216 heures annuelles, mais avec dédoublements de classes pour la moitié de l’horaire. On peut dire que dans un premier temps, l’ouverture du collège à tous les élèves a été une démocratisation effective, et que la leçon des cours complémentaires avait été entendue : depuis longtemps ils avaient 216 heures annuelles. Le progrès fut le dédoublement systématique qui accrut l’attention individuelle portée aux élèves : avec deux 6e, un professeur certifié avait un service complet.

Mais cette amélioration fut annulée au bout de cinq ans, le temps qu’arrivent au collège des élèves qui n’avaient eu au CP que 10 h hebdomadaires de français au lieu de 15 jusqu’en 1969 [37]. Le français décidément n’avait pas encore droit de cité comme discipline à part entière ; après qu’il eut supplanté le latin, c’est le latin qui, argument à géométrie variable, nuisait au français et, absurdité suprême, à ceux qui n’en feraient pas : comme les élèves n’allaient étudier le latin qu’en 4e au lieu de la 6e, le ministre Guichard amputa allègrement un enseignement primaire du français qui n’en était à son sens que la propédeutique. Résultat : tous les élèves y perdirent des heures précieuses pour la maîtrise de la langue, et plus encore ceux qui ne choisissaient pas le latin en 4e... La réforme suivante au collège, souhaitable sur les contenus, allait à son tour refuser d’en assumer le coût horaire.

La réforme Haby : de nouveaux programmes (1977)

Dans un premier temps, les instructions de 6e et 5e sont revues en 1968 sans montrer d’inflexion notable, sauf en grammaire où les notions sont étroitement associées aux textes, et où pointe un discours a priori raisonnable : « Il s’agit non d’emmagasiner une nomenclature, mais de comprendre clairement les fonctions. [38] » - mais systématisé plus tard jusqu’à la caricature [39].

C’est à partir de 1977 que de nouveaux programmes entrent en œuvre, après la loi Haby qui en 1975 uniformise les trois filières antérieures (classique, moderne et de transition dites I, II et III) et crée le « collège unique ». Les nouveaux textes ont été rédigés par une commission favorable à la modernisation des contenus, à laquelle l’Inspection générale s’est peu à peu ralliée, et chargée de les harmoniser avec la réforme du primaire. Dans la brochure de 72 pages qui les réunit [40], 52 détaillent précisément les objectifs et instructions, se faisant ainsi le pendant des longues prescriptions de Jean Zay de 1938. Elles sont intéressantes également dans la mesure où elles n’ont pas fini, par comparaison, d’éclairer les orientations actuelles : les programmes de 6e et 5e de 1978 se terminent par une liste précise de « capacités » et « connaissances » qui relient encore des savoir-faire à quelques savoirs, mais préfigurent les « compétences » du « socle commun » des années 2000.

L’étude de la langue est rénovée selon les acquis de la linguistique, et rompt avec l’ordonnancement traditionnel par des rubriques significatives : la communication, la phrase, le groupe nominal, le groupe verbal, les fonctions ; l’accent est mis sur un enrichissement plus organisé du vocabulaire (avec le recours aux tables de fréquence et aux « échelles d’acquisition » récemment étalonnées) et sur l’entraînement à l’orthographe. La notion d’énonciation apparaît en 4e et 3e. Les exercices sont de type structural : « déplacement, substitution, réduction, expansion, transformation », l’étude de la syntaxe peut s’appuyer sur des repères de la grammaire générative : « parenthésage, emboîtements, arborescences ». Les instructions justifient et développent l’utilité des « registres de langue » qui avaient tant agité les détracteurs du plan Rouchette. Enfin les longs développements consacrés à l’expression écrite et aux diverses formes de rédaction en rappellent l’importance et le besoin de fréquence (devoirs rendus tous les quinze jours).

Le programme de textes veut maintenant illustrer « une culture accordée à la société de notre temps », délivrée d’une « conception ancienne ». L’étude des textes accueille un programme classique reprenant largement les auteurs des instructions antérieures, mais en œuvres complètes repousse Racine et Corneille à la 4e ou la 3e en continuant ainsi la régression quantitative du XVIIe, et s’ouvre aux œuvres complètes du XXe siècle (poésie, théâtre, roman) en 4e-3e sans prescription d’auteurs ni de titres.

Des « textes non littéraires » qui « apportent leur contenu d’informations » et offrent « des procédés de présentation qui exercent la réflexion », des « textes contemporains (…) non spécifiquement littéraires » ont maintenant droit de cité en classe ; les élèves de 4e et 3e sont certes invités « à interroger sans exclusivité, mais par priorité, les textes littéraires » mais le professeur les ouvre aux « réalités contemporaines » et utilise les « textes non littéraires » « à d’utiles analyses critiques ». D’autres supports, chansons et films, sont admis.

L’histoire littéraire enfin est cantonnée à un rôle d’auxiliaire et non de finalité, étroitement subordonnée aux textes étudiés : « Les élèves devront être munis des repères chronologiques qui situent les créations littéraires parmi les faits de civilisation. »

L’étude inusitée de « thèmes » regroupant des textes littéraires renouvelle leur étude, le thème étant « non un centre d’intérêt, mais un motif de confrontation ». Les exercices, longuement développés, sont ceux de 1938 : lecture dirigée ou expliquée, et s’augmentent d’activités nouvelles : enquêtes, exposés, jeux scéniques, montages poétiques. Enfin l’analyse structurale pointe dans les instructions de « lecture » « chaque année » « de plusieurs œuvres dans leur intégralité » où les élèves de 4e-3e pourront « percevoir la cohérence et la force de ces ensembles, reconnaître, sous des angles variés, les traits dominants qui en caractérisent la singularité. »

La « conduite de la classe »

De longs développements sont consacrés à la « conduite de la classe ». Le principe de l’enseignement du français est le « décloisonnement » entre les diverses activités du cours, mais, contrairement à ce qui se produira pour les « séquences » de 1995, ce décloisonnement est soumis à des « dominantes », « pour éviter la dispersion » et « en fonction de la progression ». Les méthodes sont délibérément actives (exposés, débats, participation, échanges, « libre dialogue », « activités orales méthodiques », « travail individuel, en équipes, travail autonome »…).

Mais dans un collège uniformisé où les pratiques pédagogiques des classes de transition pouvaient s’étendre à l’établissement, des garde-fous récurrents, instruits par l’impasse qu’elles recèlent [41], affleurent dans les instructions : « (Le maître) fait le départ entre les intérêts, dont les élèves ont une conscience plus ou moins vive, et les besoins, dont il est seul juge. Il ne se met pas à leur niveau, mais à leur portée. (…) Il motive en chacun un effort continu de dépassement ». Quant au texte libre de Freinet, il est explicitement condamné au collège comme peu productif : « Il procède d’une décision qui appartient entièrement à l’élève, il n’est soumis à aucune règle de périodicité, à aucune condition [42] ; « Force est de constater que les rédactions qui laissent aux élèves une liberté presque inconditionnelle ne leur apportent pas le même bénéfice qu’un entraînement méthodique ». La mémorisation, discréditée dans les classes de transition, est ici prescrite : « Cette conception dynamique de la grammaire justifie l’attention qu’il convient d’apporter aux formes verbales. L’apprentissage de la conjugaison doit être poursuivi de sorte que son usage devienne réflexe. »

« Des savoirs qui […] conféreront autant de pouvoirs »

Les thèses de Bourdieu maintenant complètement intégrées à la doxa pointent ici ou là, montrant leurs deux volets complémentaires : d’une part la conscience politique des enjeux démocratiques de l’enseignement du français (« (Le maître) se garde de tout laxisme, car le laisser-aller ne profite qu’aux plus favorisés », « l’accroissement des ressources verbales (…), en contribuant à harmoniser les chances, constitue un facteur important de progrès social », « Cet enseignement ménage à tout enfant ou adolescent l’accès à des savoirs qui […] lui conféreront autant de pouvoirs ») ; d’autre part son corollaire, l’exigence démocratique d’« une pédagogie rationnelle et réellement universelle qui […] s’organiserait méthodiquement par référence à la fin explicite de donner à tous les moyens d’acquérir ce qui n’est donné, sous l’apparence du don naturel, qu’aux enfants de la classe cultivée. [43] ». De nombreux passages des textes officiels soulignent le devoir social qui s’impose alors à l’enseignement du français. En orthographe par exemple (dont le texte invite à rationaliser l’enseignement en soulignant « l’existence des constantes dans un grand nombre de mots, que l’on peut grouper en séries… [44] »), linguistique et politique se rejoignent : « Son respect est la condition de toute bonne communication écrite. […] Dans une société démocratique, tous les adolescents qui vont achever leur scolarité obligatoire, qu’ils envisagent ou non de poursuivre leurs études, doivent avoir acquis au collège la maîtrise de l’orthographe courante. » Une circulaire détaillée de vingt-huit pages consacrée à l’orthographe et à des exercices structuraux venait d’ailleurs de paraître [45]. Enfin, il n’est pas question que l’enseignement du français contribue à faire des dominés : il évitera de « conditionner l’individu pour le subordonner à des normes qui lui ôtent toute possibilité de s’affirmer », « en présence d’un texte littéraire, il ne leur impose pas une admiration de principe ». Il vise la liberté d’esprit - « l’accueil critique de toute information » et « l’exercice du jugement »- et doit « assurer à tous les enfants et adolescents la promotion à laquelle ils ont droit. »

Ces programmes reçurent un accueil globalement favorable en dépit des critiques de l’AFEF - qui n’avait pas participé à leur élaboration : elle les trouvait insuffisamment compétents en matière linguistique et pourvus de finalités trop humanistes, avec leur « enrichissement intellectuel, affectif, esthétique et moral ». Mais ils rompaient assez avec le laconisme et la routine des instructions antérieures pour que les professeurs y trouvent un appui à la modernisation qu’ils pratiquaient déjà ou dont leurs manuels faisaient preuve. En revanche, les horaires amputés qui leur étaient attribués mirent le feu aux poudres : dans un collège uniformisé, c’était rendre ingérable l’enseignement du français.

La réforme Haby : des horaires impossibles

La générosité antérieure des horaires et des dédoublements de classes de 6e depuis 1947 (6 heures pour les « modernes »), puis 1968 (6 heures en 3 heures classe complète et 3 dédoublées) – qui était une forme de réalisme - vola en éclats, et compromit définitivement la réussite et même l’application de ces programmes équilibrés, ouverts et cependant exigeants, qui intégraient les méthodes actives sans en rabattre sur les savoirs. Dans le collège unique, les élèves perdirent en 6e, puis en 5e, une heure de cours hebdomadaire de français, soit 36 heures annuelles c’est-à-dire un demi-trimestre, et toutes leurs heures de cours dédoublés en petit effectif.

Une heure supplémentaire de soutien était accordée aux plus faibles, mais ne pouvait pas donner de résultats : dans l’uniformisation, c’est au moins 2 heures que les classes faibles de « transition » dites 6e et 5e III perdaient (en passant d’un horaire de 8 heures, certes « indicatif » [46] et sans programme, mais quand même d’immersion dans la langue, à 6 heures au mieux, parfois 5). De toutes façons, c’était un tonneau sans fond que de colmater les lacunes que l’on créait faute d’horaire suffisant, sans rien réparer des manques antérieurs. Quant aux classes « pratiques » devenues « pré-professionnelles » de 4e et 3e, leurs élèves en difficulté perdaient deux heures hebdomadaires dédoublées.

L’effondrement sans fin des horaires de français commençait [47], au moment où l’hétérogénéité des classes aurait demandé leur renforcement. En un été (1977), on passa de la démocratisation à la massification : les élèves les plus démunis allaient recevoir moins d’heures de cours (et de moindre qualité puisque jamais dédoublées) que leurs prédécesseurs les plus favorisés. A peine ouverte pendant huit ans (1968-1976), la porte des chances se claquait au collège. Exactement au moment où les 6e de la rentrée 77 étaient justement ceux qui, entrés à l’école primaire en 1972, avaient déjà « perdu » 180 heures en CP (soit un trimestre complet puisque le tiers de l’horaire hebdomadaire de français au CP avait été supprimé en 1969 [48]) et où l’on disait de certains d’entre eux qu’ils avaient « de la peine à déchiffrer de manière cursive quelques lignes imprimée [49] ». Quant aux professeurs qui pouvaient avoir deux 6e dans leur service avant la réforme, ils devaient brusquement en assumer trois, soit une augmentation de 50% de leur travail, sans compensation ni satisfaction car leur tâche en devenait moins bien accomplie.

Le collège unique à peine créé était d’emblée invivable et, inadapté à l’égalité qu’il entendait promouvoir, il tuait dans l’oeuf ses promesses. C’est pourquoi les nouveaux programmes furent assez mal accueillis, ils se confondaient avec la réforme Haby : leurs ambitions et leur sérieux n’avaient pas plus leurs moyens que leur structure. Quant aux professeurs, leur liberté pédagogique avait bon dos, alibi du déni institutionnel des horaires indispensables : « La diversité du public scolaire (…) n’a pas pour conséquence nécessaire l’établissement de plusieurs programmes ou d’un programme à étagements. […] Les instructions offrent une gamme d’activités et de travaux qui, du plus simple au plus complexe, permettent de satisfaire à toute exigence. Chaque professeur accommode ces suggestions à la réalité de sa classe, en s’attachant à respecter les itinéraires qu’il a déterminés pour conduire ses élèves au but fixé. » On croirait une recette de cuisine.

Victimes d’une confusion entre capacités de l’élève et conditions de l’enseignement, les auteurs inscrits au programme furent rapidement réputés inaccessibles aux élèves plus faibles ; le niveau de français était dénoncé dans la presse : L’Express en septembre 1980, titrait : « L’École, usine à cancres. » [50] Pour ceux qui ne pouvaient concevoir que l’apprentissage nécessite du temps, l’étude de la littérature et des auteurs était considérée comme un frein à la démocratisation : le français était-il, en 1980, en train de jouer le rôle du latin selon Edgar Faure en 1968 ?

Reflux disciplinaire et charge politique : les années 1980-2000

Le second cycle : l’examen comme garde-fous

Ni programme ni instructions ne parurent en 1977, date initialement prévue par le ministre. L’inspection générale avait fait des propositions dont le programme d’auteurs contenait dix-huit écrivains à étudier obligatoirement – ce qui revenait faute de temps à réduire sinon supprimer l’étude d’œuvres complètes, et vingt-cinq autres facultatifs. L’ensemble était si lourd qu’il condamnait à se contenter de morceaux choisis, alors même que depuis longtemps le structuralisme les avait discrédités, et que les instructions pour l’épreuve orale du baccalauréat interdisaient les extraits isolés.

Le projet fit l’objet de fuites avant parution, et l’AFEF opposa à l’inspection générale son principe : « Nous refusons un programme fondé sur la notion d’« auteur » [51] ». Le programme devait être établi « à partir d’objectifs généraux, d’objectifs particuliers à chaque niveau » ; « sur cette base commune s’articulerait toute une gamme d’activités propre à chaque classe. […] au jour de l’examen, le candidat devrait être en mesure d’assumer la liste des travaux qu’il présente. » On reconnaît là le modèle qui sera, sans concertation, imposé pour l’épreuve orale dans le fameux « descriptif des textes et activités » en 2001.

Les programmes parus en 1981 furent le moyen terme de ces demandes, sans éviter les contradictions. Ils marquent une rupture avec les instructions antérieures depuis 1925 - plus d’œuvres prescrites - mais maintiennent une liste d’écrivains majeurs « dont la fréquentation est particulièrement formatrice », déjà connus au collège mais qui en lycée « offrent matière à des investigations plus fines » : La Fontaine, Molière ou Racine, Voltaire ou Rousseau, Chateaubriand, Balzac ou Victor Hugo ; d’autres « dont l’accès eût été difficile plus tôt » : Montaigne, Pascal, Diderot, Baudelaire, et des auteurs contemporains, tous genres représentés, auxquels « il convient de réserver une place de choix ». Ensuite l’Inspection générale botte en touche, non sans prendre le vent décentralisateur de l’époque : « Ces deux séries de références n’épuisent pas le champ des possibilités : la littérature française fournit bien des ressources, y compris dans ses aspects régionaux, qui répondent aux besoins, aux intérêts et aux capacités des élèves. » Les textes non littéraires peuvent être sollicités comme au collège, mais on réservera « l’essentiel de l’horaire à des textes plus substantiels ». L’histoire littéraire, dont on a le souvenir de la prégnance, est absente.

Ces instructions sont dans le droit fil de celles du collège qui les ont précédées (prise en compte des avancées linguistiques, méthodes actives, étude de thèmes comme « motif de confrontation », étude de la presse, ouverture aux arts et au cinéma) et en reprennent littéralement bien des formules, comme « l’appropriation d’une culture accordée à la société de notre temps ». Elles sont tout aussi développées, et tiennent souvent lieu de mode d’emploi des principaux objectifs du programme.

Mais leur esprit traduit un changement des orientations du second cycle, et on entre dans une phase d’incertitudes. D’une part l’accent est heureusement et nettement mis, à la faveur de la définition des nouvelles épreuves du baccalauréat (résumé et discussion de premier sujet, commentaire composé et essai littéraire), sur la rigueur, l’organisation de la pensée et l’indépendance d’esprit du candidat : dans les trois exercices il doit mobiliser « des facultés complémentaires d’objectivité, d’appréciation critique, d’engagement personnel ».

En conséquence, le professeur s’efface : en commentaire par exemple, « son rôle n’est pas de dire aux élèves ce qu’ils devraient ressentir ou penser ». Mais c’est aussi qu’il n’a plus de repères, les sociologues ayant efficacement dénoncé la reproduction des élites et favorisé le relativisme culturel : « Il n’y a pas un modèle unique de culture sur lequel l’enseignement aurait pour mission de façonner quelques esprits doués. » La littérature elle-même repose sur des critères fluctuants : la « littérarité » est « difficile à définir avec rigueur » et « la notion de qualité, à laquelle on a recours quelquefois, n’échappe pas à des appréciations subjectives. »

On entre ainsi dans une sphère d’aporie et de contradiction : l’élève est poussé et conduit, par des prescriptions précises, [52] à affirmer sa pensée et développer son jugement motivé, ce qui rompt heureusement avec les instructions antérieures aux nouvelles épreuves. Mais au même moment, le professeur est plongé dans un embarras théorique, et faute de définition d’une culture littéraire commune et souhaitable mais qui n’a pas de « modèle unique », le programme en dissout le corpus. Ainsi l’un et l’autre dérobent-ils à l’élève l’objet précis sur lequel il pourrait appliquer sa pensée critique, tout en le sommant de la développer.

La cheville se trouvait dans le recours à l’« argumentation » [53], non comme justification raisonnée ni démonstration rigoureuse, mais comme utilisation dans la communication de « la rhétorique moderne, [qui] renouvelle l’intérêt des préceptes » de la « rhétorique traditionnelle ». Puisqu’on ne peut plus convaincre (« acquiescement intellectuel ») lorsque la référence n’est pas commune, on va persuader (« susciter une certitude »), c’est-à-dire attirer lecteur ou auditeur dans sa sphère personnelle, par un ensemble de techniques persuasives de discours, quel que soit le sujet abordé. Ainsi la culture commune n’est-elle plus utile à l’examen, pas plus que le patrimoine traditionnel, puisque peu importe ce que le candidat aura à apprécier. Il sera entraîné à parler sur tous les sujets, même ceux qu’il ne connaît pas ou peu – on est revenu aux beaux jours du XIXème -, il a d’ailleurs le choix dans un vaste ensemble : « A tous les élèves, la pédagogie du français offre une gamme d’incitations et de rencontres qui, répondant à leur diversité, permet à chacun de se constituer une culture qui le fait mieux disposer de soi : le fonds commun est assez riche pour que chacun puisse affirmer sa différence et que tous soient liés par une authentique solidarité. »

Mais le fond n’étant pas fourni, les devoirs risquaient de s’en tenir à la forme. On se rapproche ici de la sophistique antique, capable de transformer l’argument faible en argument fort, ou indifférente au fond. Il s’agit là d’orientations qui s’affirmeront vingt ans plus tard en 2001, avec le fameux sujet « d’invention », où l’élève pouvait se transformer, au gré des sujets, en directeur de revue de poésie, président de la République, ou Antonin Artaud dialoguant avec un metteur en scène de cinéma, l’anachronisme pouvant se déployer sans risque dans ces improbables jeux de rôles, pourvu que certaines contraintes formelles soient respectées.

Cependant l’examen protégea encore les apprentissages : les exercices étaient assez exigeants pour guider les professeurs, et les œuvres choisies furent grosso modo celles du programme précédent.

Comme au collège, l’institution abandonnait au professeur le soin de la démocratisation : il devait seul, dans un lycée en forte expansion numérique et sans moyens supplémentaires, favoriser « l’harmonisation des chances » et pratiquer « une pédagogie de compensation » des manques socio-culturels ; la même désinvolture officielle retourne le silence des programmes en obligation de résultats : « l’abondance des suggestions (…) offre les moyens de mieux répondre à la diversité des situations et des publics ». La charge est alourdie par une menace insistante : « Il en résulte pour lui une liberté et une responsabilité accrues », et dans le choix des textes non littéraires l’incertitude théorique et programmatique des instructions est utilisée contre le professeur : « la liberté d’initiative qui (lui) revient engage, pour le choix de tout texte, sa responsabilité. », « la décision lui incombe et engage, sur le plan pédagogique et déontologique, sa responsabilité. » Le professeur devient ainsi le responsable contraint d’une politique qui refuse d’assumer les moyens disciplinaires et économiques de son discours.

Au collège : toujours moins

La même schizophrénie allait se développer au collège. Pire, la responsabilité se déporte des enseignants vers les élèves.

Bis repetita : le collège Chevènement (1985)

Dans un premier temps le glissement est invisible. Les propositions de Louis Legrand (instigateur du colloque d’Amiens de mars 1968) pour le collège, élaborées sous le ministère Savary entre 1981 et 1983, prévoyant d’une part une répartition aléatoire systématique des élèves dans les classes, d’autre part en français, langue vivante et mathématiques des groupes de niveau, et pour le reste des disciplines des regroupements de 50 à 100 élèves assortis de tutorat avec la suppression des redoublements, sont massivement rejetées puis définitivement emportées par la chute du ministère en 1984.

Suit une période apparemment stable de dix années, de 1985 à 1995. Dans les programmes de 1985 du ministère Chevènement [54], le discours semble le même que celui des instructions de lycée de 1981 : « S’il convient bien, en effet, de conduire tous les élèves à la maîtrise de connaissances et de méthodes bien définies, la part d’initiative et de responsabilité des professeurs reste entière. », « la réussite pour tous de l’enseignement du français exige la prise en compte de l’hétérogénéité des élèves ». La démocratisation continue à prendre des masques pudiques [55] et à déléguer ses exigences.

Des programmes clairs

Les programmes en eux-mêmes ne proposent rien qui innove. Tout en en rabattant sur les activités, ils assument le contenu de ceux de 1977 : « registres différents de la langue », « variété des discours et des types de textes », initiation « à la lecture des œuvres littéraires », « maîtriser » « des discours dont le support est l’image », « former l’esprit et le jugement » « par les activités proposées ». Sans que le mot soit dit, le décloisonnement de 1938, 1963 et 1977 est poursuivi : « les trois objectifs ainsi définis sont liés ». Un moyen terme démocratique est posé : « la langue évolue avec la société, les normes sont relatives », « dans l’intérêt de tous et pour ne pas disqualifier certains élèves, il convient d’enseigner les règles de l’usage le plus courant ».

Dans l’exposé du programme, les « notions grammaticales » de 1977 font place à une « pratique raisonnée de la langue ». La « pratique transversale de la langue », qui fera les beaux jours du primaire en 2002, n’est pour l’instant qu’en filigrane : « Les professeurs de toutes les disciplines sont garants d’un usage correct de la langue française. Le rôle spécifique du professeur de français est de faire réfléchir les élèves sur les emplois variés de la langue. (…) Il doit apprendre aux élèves à lire tous les textes ; mais il donne une place privilégiée aux textes littéraires ».

Les abords restent ceux des textes précédents : œuvres intégrales, extraits, thèmes, et le respect des textes authentiques est affirmé : « il est nécessaire de mettre l’élève le plus rapidement et le plus souvent possible dans les conditions réelles de la lecture, c’est-à-dire devant des articles de périodiques et des textes documentaires et, pour le domaine littéraire, devant des œuvres intégrales. (…) A la fin de la troisième, l’élève doit avoir lu au moins quinze œuvres littéraires (françaises, francophones ou étrangères bien traduites) dont dix ou plus sont tirées des listes incluses dans le programme. » Les listes qui suivent, auteurs et œuvres français, auteurs anciens ou étrangers traduits, sont celles des programmes de 1977.

Beaucoup moins détaillées que les instructions précédentes (mais des Documents complémentaires sont distribués aux professeurs), ces prescriptions sont classiques, dénuées des précisions antérieures sur la « conduite de la classe » et sur la nécessité démocratique de savoirs précis, mais les potentialités logiques de la grammaire sont indiquées : « Le travail sur la langue apprend à mieux penser », ainsi que la nécessité de la réflexion personnelle fondée sur la défiance du réflexe : « L’enseignement du français ne se réduit pas à une accumulation de connaissances mémorisées et imposées de l’extérieur. », « il s’agit de conduire l’élève qui lit, réfléchit et s’exprime à une pratique raisonnée. ». L’accent est mis sur la rigueur et le dépassement des préjugés, sur la mémoire, et sur de nombreux devoirs, y compris à la maison.

Des coupes sombres

Mais le diable est dans le détail des horaires et de leur baisse drastique : à programme égal horaire inégal. Les classes de 6e et 5e passent de 5 heures à 4 heures 30 et l’heure de soutien disparaît, elle est versée dans le lot commun du collège et ventilée selon les besoins. Les programmes ne sont « nationaux et républicains » (Préface des programmes) que sur le papier : d’un établissement à l’autre, les élèves ne reçoivent pas le même nombre d’heures de cours, et surtout tous en reçoivent moins. Quant à leur professeur, là où jusqu’en 1976 il avait deux 6e dans son service, il en a maintenant quatre. Les « ressources humaines » sont optimisées, et on les met au défi d’optimiser à leur tour le programme, c’est-à-dire d’endosser, comme en 1981 au lycée, la responsabilité des aménagements : « Les connaissances fondamentales que l’élève acquiert au collège sont dispensées selon un programme national qui, étant obligatoire, doit être suivi et traité dans son ensemble. Cela suppose que chaque question retenue puisse raisonnablement être étudiée dans le temps imparti. Il ne s’agit pas tant d’augmenter le volume global des connaissances à transmettre que de mieux identifier l’essentiel (…) afin de permettre à tous les collégiens de mieux le maîtriser. » [56]

Moins égalerait mieux ? C’est au professeur d’assumer le défi et de dédouaner à nouveau le ministère : « le choix des méthodes et des démarches relève de la responsabilité du professeur, sous réserve que soient atteints les objectifs et acquises les connaissances ». Le temps nécessaire aux élèves, dont on doit accueillir « la diversité », n’est même pas abordé. Ce sont bien sûr les contenus qui en sont affectés, alors même qu’on écrit les préserver. Les manuels doivent suivre : ironie cynique ou aveu involontaire de ce que les programmes ne feront jamais ce qu’ils disent, il faut les choisir il faut les choisir « sans inflation [57] ni surcharge ».

La réforme Jospin (1989), le collège Bayrou (1996) : d’autres logiques

Une déréglementation rebaptisée « autonomie »

À partir de 1996, le ministère Bayrou augmente d’une heure et demie l’horaire professeur de la classe de 6e, qui passe ainsi à 6 heures. C’est le véritable hochet de cette « réforme ». Par ailleurs, de la 6e à la 4e, il introduit une déréglementation totale des horaires élèves, et de la 5e à la 3e des horaires professeurs : le nombre d’heures de français se met à varier d’un établissement à l’autre, en fonction du « contingent horaire » qui lui est accordé, du « projet d’établissement », et des rapports de force au sein de « l’équipe éducative » pour se les répartir. En 5e et 4e apparaissent même des « fourchettes » horaires. Les établissements peuvent ainsi choisir, par exemple, de ne pas donner la priorité au français, et d’aligner son horaire sur le seuil le plus bas (4 heures). Aussi, dans les faits, cette « réforme » ne correspond-elle à aucune véritable augmentation, et même souvent à une certaine diminution : pour peu que l’établissement choisisse de dédoubler des classes, ou de réaliser des « parcours diversifiés » au détriment du français, les élèves disposent de moins d’heures qu’auparavant. [58]

Cette déréglementation profonde du collège, fondée sur des choix locaux qui relèvent davantage de l’étranglement comptable et de la gestion des personnels que de préoccupations pédagogiques, fait voler en éclats le consensus d’une équité administrative de traitement des élèves. D’une part elle rend les comparaisons difficiles, puisque l’enseignement reçu varie d’un collège à l’autre, d’autre part elle conduit à une grande inégalité : selon que l’élève a subi ou non l’horaire « plancher » des fourchettes prévues par la réforme, la différence d’enseignement de français reçu en quatre ans entre la 6e et la 3e peut atteindre 32 semaines, soit presque une année scolaire [59]. Cette déréglementation rebaptisée « autonomie » va devenir ensuite la norme du lycée, et faire assumer des décisions cardinales par des personnels qui parfois n’en ont pas tous les éléments, notamment disciplinaires ou pédagogiques, ni le choix.

« L’élève au centre du système éducatif »

Entre temps la loi Jospin de 1989 [60] a réorganisé la scolarité en cycles, ce qui efface d’autant les repères, et introduit pour toute la scolarité la notion organisatrice de « l’élève au centre du système éducatif », qui réglait auparavant les classes de transition sans programmes ni horaires [61]. Cette idée se double de deux affirmations. La première délègue à l’élève la redoutable tâche « d’acquérir un savoir et de construire sa personnalité par sa propre activité », ce qui déporte des enseignants vers les élèves la responsabilité des acquis : insensiblement, « par un retournement de la relation pédagogique, l’autorité magistrale s’efface devant la dynamique personnelle de formation des apprenants [62] ». La seconde s’attache précisément à la définition du temps scolaire et relativise la notion de cours : « La réalisation de cet objectif demande du temps : son utilisation optimale par l’élève est le problème essentiel de l’école. Le temps scolaire est partagé entre des cours, des travaux dirigés et d’atelier, le travail personnel assisté et le travail personnel autonome. ».

En français, cette conception de « l’élève au centre » va être répercutée sur la matière : placé au centre de la discipline, l’élève va devoir s’y orienter « par sa propre activité » en en déduisant les règles et reconstruisant le fonctionnement : « Il est en effet nécessaire de le placer constamment en situation de recherche, que ce soit à partir d’une production orale ou écrite, d’un texte d’auteur ou d’un écrit scolaire, pour qu’il soit amené à observer, repérer, transformer, comparer, émettre des hypothèses, les infirmer ou les confirmer, établir des conclusions, employer ou réemployer... selon une démarche inductive… [63] »

La méthode globale de l’apprentissage de la lecture est ainsi transposée à l’étude de la langue et aux textes de la littérature. Les programmes l’expliquent : « Les programmes précédents s’ordonnaient selon trois axes majeurs : la maîtrise de la langue, la formation d’une culture, l’acquisition de méthodes. Ces enjeux restent présents dans les nouveaux programmes, mais ils y sont inclus dans un objet plus précis et concret : la maîtrise des discours. On entend, par discours, toute mise en pratique du langage dans un acte de communication à l’écrit ou à l’oral. Cette notion de discours permet d’associer les divers aspects des apprentissages et les divers contenus : elle lie les travaux qui portent sur la langue et ceux qui portent sur les textes, les pratiques de lecture et celles d’écriture. Elle permet ainsi de structurer les progressions [64] ».

Un système global

À l’inverse de l’abord scolaire habituel des notions, adapté au public en formation que sont les élèves, le programme de grammaire va donc de la globalité au détail [65]. À titre d’exemple, le programme de grammaire en 3e part du « discours » (« Énoncé, énonciation : personnes, temps verbaux, adverbes, déterminants, dans l’énoncé ancré dans la situation d’énonciation ou coupé de la situation d’énonciation ; combinaison entre ces deux systèmes d’énonciation ; modalisation : modalisateurs, modes » etc.) pour passer au « texte » (« Le paragraphe. Connecteurs spatio-temporels et logiques ; reprises pronominales et reprises nominales ; formes de progression ; organisation des textes : formes cadres et formes encadrées. ») et atteindre enfin la « phrase » (« Phrase simple et phrase complexe : fonctions par rapport au nom (expansion nominale, apposition, relatives déterminatives et explicatives), fonctions par rapport à l’adjectif (le groupe adjectival), fonctions par rapport au verbe (approfondissements), fonctions par rapport à la phrase (approfondissements) ; coordination et subordination (étude des diverses subordonnées, notamment conjonctives) ».

Les conséquences pédagogiques de ces choix linguistiques de type universitaire, et leur injection malhabile dans un domaine où les repères sont importants pour les élèves, ont été lourdes. Elles se sont en effet doublées du choix idéologique d’un abandon de la mémorisation grammaticale, car il s’agit de « former un élève capable de réfléchir plutôt que reconnaître. »

Par exemple, la quatrième et dernière partie du programme de troisième, intitulée « outils de la langue pour la lecture, l’écriture et la pratique de l’oral », indique ce que l’élève doit aborder en vocabulaire, grammaire et orthographe. Mais ce sont seulement des "outils" [66] et non la matière et la base des savoirs sur la langue, et les textes ajoutent : « L’élève n’a pas à apprendre des listes de définitions abstraites et la part de métalangage qui apparaît ici s’adresse aux professeurs », puisqu’il s’agit pour l’élève de « réfléchir plutôt que reconnaître ». Cette prescription des programmes a mis bien des professeurs dans l’embarras. Ne pouvant reconnaître ce sur quoi il réfléchit, l’élève est perdu, d’autant plus que la progression grammaticale n’existe pas [67] : l’obligation pédagogique de séquences « décloisonnées » implique que les notions de grammaire soient étudiées au hasard des rencontres dans les textes et non selon une logique d’acquisition des notions.

« La grande perdante de cette cuisine aux trois grammaires, c’est incontestablement la langue. Et qu’il s’agisse de syntaxe, de ponctuation, d’orthographe, les effets sont souvent terribles : quand on ne reconnaît rien parce qu’on n’a pas reçu de mots pour nommer ce sur quoi on tente de raisonner, la plus grande confusion s’installe. On utilise alors des marques verbales pour accorder des noms, on cherche à accorder des adjectifs qualificatifs avec des verbes, on attaque la phrase par une proposition subordonnée dont on ne donne jamais la principale, on place n’importe où ses points, ses virgules, sans savoir ni ce que l’on fait ni ce qu’il convient de faire [68] ».

L’approche des textes souffre aussi de ce globalisme intrusif. L’orientation des programmes par le filtre omniprésent des « discours » en a fait un objet à la fois étroitement circonscrit et entièrement flou. « Ainsi, le programme assigne un nouveau but à l’enseignement du français : la “ maîtrise des discours ”, “ objet plus précis et concret ” que la “ maîtrise de la langue ” ou la “ formation d’une culture ”( !) Il en résulte une approche purement technique de l’écrit, et notamment de la littérature, qui n’est plus dans un tel contexte qu’un support à l’étude des « discours », au même titre que l’interview d’une star du sport ou de la chanson. Dans un manuel conforme au programme se juxtaposent donc à valeur égale tel poème de Rimbaud et tel slogan publicitaire, les deux n’étant principalement là que comme illustration de l’oxymore ou autre figure de style. L’élève n’est pas appelé à considérer le souffle, la beauté, l’intelligence, seulement à engranger des techniques discursives. Dans une telle perspective, l’écrit personnel du collégien devient à son tour une “ production ”, dont le but sera la plate mise en jeu de procédés tout faits. Il va sans dire qu’un tel désamour de la littérature (…) tend fortement à assécher l’éventuel désir de création [69] ».

La méthode prescrite de la « séquence didactique » ajoute à l’incompréhension : le professeur soucieux de cohérence grammaticale et de progression peut être conduit à choisir les textes en fonction du programme de grammaire (une description pour les adjectifs, une narration pour l’emploi des temps…), ce qui instrumentalise et émiette la littérature. Le pendant contradictoire du principe de globalité est donc l’éparpillement.

Un tel programme éclaté, d’une technicité si hypertrophiée qu’à l’inverse de ses intentions affichées il coupe tout lien avec le sens, a donc dérouté et inquiété bien des élèves, incapables de se repérer dans ce qu’ils se sont mis à appeler les « énoncés ancrés » et les « énoncés coupés » et démunis de savoir grammatical, incapables, au lycée, d’analyser un texte sans désarroi…

« L’effet qu’il veut produire sur l’énonciataire »…

On peut attribuer à cet échec une raison majeure : l’application ratée, par esprit de système, des avancées de la sociolinguistique, dont la reprise dans ces conditions rejoint l’ancienne formation morale par la littérature si vilipendée antérieurement. En effet, l’adoption par le programme de la notion de « discours » vise non à amplifier la culture et la curiosité de l’élève, dont on comprend ainsi la disparition des Objectifs, mais à pacifier les rapports sociaux : « Étudier le discours conçu comme une mise en pratique de la langue revient à s’interroger sur la façon dont un énonciateur précis s’adresse à un destinataire particulier dans une situation déterminée par le lieu et le moment de l’énonciation. En outre, un discours a une fonction (une visée) précise et l’énonciateur choisit de raconter, de décrire, d’expliquer ou d’argumenter selon l’effet qu’il veut produire sur l’énonciataire, dans une interaction énonciateur/énonciataire » ; « l’analyse des actes de parole, écrits et oraux, oblige donc à prendre en compte une dimension sociale et à s’interroger sur les conditions d’une communication réussie entre les individus. On peut alors considérer qu’il y a là un moyen de désarmer une violence verbale souvent liée à des formes de communication maladroites et inadaptées. [70] »

Comme les programmes du lycée de 1981, ceux du collège de 1995 renouent avec des finalités anciennes pourtant réputées obsolètes et inappropriées, rhétorique de la persuasion et techniques de l’apaisement, pour établir un niveau étale de rapports sociaux dénués de toute aspérité. De tels programmes posent une question disciplinaire car la littérature est ici embrigadée et menacée dans son essence, ses œuvres marquantes étant précisément celles qui ont une fonction de rupture. On ne peut s’empêcher de faire le lien avec les théories de l’éducation nouvelle, illustrées par Philippe Meirieu dans L’École ou la guerre civile publié la même année que ces programmes : « La socialisation, entendue comme l’accès à une parole socialisée, inscrite dans une histoire, consciente des enjeux qu’elle énonce et respectueuse du pacte démocratique de l’interdit de la violence, est un objectif prioritaire de l’école obligatoire [71] ». C’est exactement la théorie du « discours » organisatrice des programmes du collège – ce qui pose très précisément le rapport, ou le conflit, entre une doctrine éducative et l’essence d’une discipline.

Le primaire : de « l’exercice raisonné » (1985) à « l’observation des variations » (2002)

Les programmes du ministère Chevènement de 1985 restent classiques, orientés par le texte fondateur de 1972 et déclinés selon les rubriques habituelles (« pratique de la langue orale », « pratique de la langue écrite », « étude de la langue »). Ils soulignent la vertu formatrice et organisatrice d’un enseignement structuré : « Pour tous les enfants, quelle que soit leur origine, la langue française s’apprend à l’école. Son acquisition résulte d’un usage quotidien et d’un exercice raisonné de l’écrit comme de l’oral. Cet enseignement est constitué d’un ensemble organique de travaux et d’exercices et d’une suite d’analyses prenant la langue pour objet. Cette étude fait découvrir des usages, des règles et des principes de fonctionnement : elle est le premier accès à la connaissance scientifique. « [72] Parallèlement, l’horaire de CP augmente d’une heure, passant de 9 à 10 – quoique bien loin des 15 antérieures [73].

Ceux de 1995 [74], passés au filtre de la loi Jospin, mettent comme au collège « l’élève au centre » du français et le somment de s’y repérer seul ; loin d’être guidé par un « ensemble organique de travaux et d’exercices » et des « règles et des principes de fonctionnement », il va devoir « acquérir un savoir (...) par sa propre activité », c’est-à-dire, traduit dans les programmes, « s’initier » (1995), "découvr(ir) […] que le sens de l’énoncé se modifie lorsqu’on utilise un même verbe sans complément ou avec des types de compléments différents », ou « observer les variations qui affectent les verbes » (2002). L’Inspection générale parlera pour le second cycle d’« élève enquêteur » : « un élève enquêteur , c’est un élève qui va chercher les informations pour construire son savoir » [75].

Pour modifier rapidement les pratiques usuelles des enseignants, la grammaire explicite et structurante est écartée : « Il s’agira pour l’élève, moins d’enregistrer mécaniquement la morphologie des conjugaisons, que de s’initier à l’usage des temps et des modes et d’en appréhender progressivement la signification. » (1995), « Il convient de restreindre la place trop souvent excessive faite aux leçons de grammaire » (2000, projet du ministère Allègre), « L’observation réfléchie de la langue française doit être un moment de découverte visant à développer la curiosité des élèves et leur maîtrise du langage et non une série d’exercices répétitifs mettant en place des savoirs approximatifs et l’usage prématuré d’une terminologie inutilement complexe » (2002, programme du cycle 3 – CE2, CM1, CM2). Pendant ce temps, la Doyenne de l’Inspection générale de lettres la qualifie d’ « activité peu gratifiante pour les élèves [76] ». Pour « gratifier » davantage, on la rebaptise : la grammaire devient « observation réfléchie de la langue » (2002) : ORL.

De telles méthodes, la solitude de l’élève et le refus de l’aider par une structuration raisonnée, ont un coût horaire, comme l’avouait ingénument la loi Jospin : « La réalisation de cet objectif demande du temps : son utilisation optimale par l’élève est le problème essentiel de l’école. » Or dans le même moment, le cadre contraint des horaires devient sans cesse plus étroit : entre 1969 et 2002, la moyenne de l’horaire hebdomadaire de français, du CP au CM2, est graduellement passée de 10 h à 7,7h [77]. On a ainsi la double explication de la baisse du niveau : en sus de la grande incertitude scientifique et psychologique de la méthode retenue et dont il est victime, l’élève n’a pas le temps de trouver, classer, assimiler et retenir les contenus. Les inégalités croissent d’autant : dans un système qui par principe abandonne ses élèves à leur « propre activité » pour « acquérir (leurs) savoirs », le seul substrat qui vaille est le terrain familial : il y a beaucoup de différences entre l’élève qui construit ses savoirs à partir du langage structuré et de l’attention de sa famille, et celui qui, sans aucune base, en est réduit à ne pouvoir compter que sur ses propres ressources et tâtonne sans trouver [78].

Le choix politique du puérocentrisme a des conséquences en cascade : les seules solutions au problème du temps sont le report des acquis vers l’aval ou la diminution des contenus (« allégés et recentrés », 1995). L’élève aura l’un et l’autre. Le projet de 2000 pour le cycle 3 prévoyait : « les subordonnées seront observées et manipulées, mais l’explication de la subordination est reportée au collège », et avec une belle inconséquence pédagogique et didactique : « Sont reportés au collège : les prépositions, les adverbes, les pronoms indéfinis et les pronoms relatifs. » Quant à la baisse des contenus [79], un exemple éclairant en est celui de la morphologie de la conjugaison.

Le programme de 1972 fixait une liste des verbes à connaître en fin de CM2 : « verbes du 1er et 2ème groupe + verbes venir, faire, voir, prendre, partir, recevoir, devoir, savoir, vouloir, falloir, rendre, boire, croire, dire, écrire, vivre, + avoir, être, aller./Circulaire du 4 décembre 1972./ » Celui de 1985 ajoute trois verbes : « sentir, recevoir, rendre ». En 1995 « pouvoir » est ajouté, mais le flou s’installe avec un refus de liste explicite : « auxiliaires avoir et être, des verbes en er (du type chanter et les particularités des verbes en GER et CER), des verbes en ir (du type finir) et les verbes faire, pouvoir, aller, venir, voir, prendre ». Absence totale d’indications en 2002 : « Les verbes les plus fréquents sont étudiés en priorité. [80] »

Quant aux méthodes, les textes de 1972 sont à la fois prudents et exigeants : l’apprentissage de la conjugaison commence par une familiarisation et des repérages, il se prépare par des exercices, mais aussi se pense : « on a légèrement accéléré au début la progression actuelle et sensiblement réduit les exigences à l’issue du C. M. 2. En effet, si les conjugaisons étudiées dans les classes élémentaires sont bien sues, il sera facile d’y ajouter en sixième ; tandis que, dans l’hypothèse contraire, tout reste à faire en sixième, avec échec probable. »

En 2002, l’accent n’est pas mis sur la mémorisation de la morphologie, mais sur l’empirisme : « La conjugaison est, au cycle 3, centrée sur l’observation des variations qui affectent les verbes. » C’est ainsi qu’en 6e et après, les hésitations resteront pour les élèves comme un handicap et un boulet.

Changement de paradigmes

Au lycée : une stabilité de façade (1987 – 1999)

« Une mise en perspective historique »

Les programmes de 1986 pour 1987-88 [81] en classes de 2e et 1ère, dus comme ceux du collège au ministère Chevènement, en prennent explicitement la suite et reviennent à une norme antérieure plus directive : une liste d’auteurs et d’œuvres réapparaît, assez proche de celles des programmes d’avant 1981, avec un accent sur les XVIe et XVIIe en 2e, XVIIIe et XIXe en 1e, et pour les deux classes une nouveauté : de larges ouvertures sur le roman au XIXe et XXe. Elle comporte des exigences d’histoire littéraire, quasiment disparue dans les programmes précédents limités à une contextualisation ; « une mise en perspective historique donne (aux élèves) une assise plus ferme à leurs connaissances », « le professeur propose une histoire littéraire chronologiquement organisée, sans simplification abusive des découpages » ; enfin, pour écarter les vieux fantômes de la sclérose antérieure, cette histoire ne doit pas être autonome mais toujours reliée aux textes : « l’éclairage historique situe l’œuvre ou le texte dans leur temps ou leur espace propre, et fait comprendre dans quelles conditions ils ont été produits et reçus », « c’est surtout dans le tissu du texte que l’on trouve les marques et les signes de l’histoire », et entre dans les nouvelles conceptions du rôle du lecteur : « En interrogeant la représentation et l’interprétation explicites ou implicites que l’écrivain donne de la réalité historique et sociale, l’on peut mettre en évidence une signification de l’œuvre, dont l’écrivain lui-même pouvait ne pas avoir conscience. »

Une composante civique

Les finalités du lycée, « pratique raisonnée de la langue, formation d’une culture, acquisition de méthodes de pensée et de travail », sont renouvelées par une composante qui annonce les préoccupations de socialisation des programmes 1999-2000 : « préparer à (la) vie d’homme et de citoyen », relayée par « l’éducation civique » qui aide à « mieux cerner les relations complexes entre les concepts de progrès, de liberté et de démocratie. » Ces éléments justifient l’accent mis sur la communication, et le rappel des rhétoriques ancienne et moderne visant à « la vie sociale », comme en 1981. Si la finalité en reste « une utilité générale », elle continue à prendre « en considération les acteurs et les situations de l’énonciation » : on sait que les programmes 1995 du collège s’en sont souvenus.

Une leçon de lecture

Cette piste civique n’est pas en 1986 menée à son terme. C’est paradoxalement une leçon de rigueur argumentative et de lecture des textes tout à fait disciplinaire et éclairée par les avancées linguistiques que donnent essentiellement ces programmes, qui semblent vouloir rompre avec l’incertitude et la crise identitaire des précédents. D’autre part, les nouveaux textes insistent sur l’indépendance de l’élève.

Les épreuves du baccalauréat, redéfinies en 1983, conservent des exigences de principe et régissent les conduites de la classe. Le premier sujet demande de « présenter une réflexion critique » et « un avis argumenté », la « discussion » devient plus rigoureuse en recevant un libellé (autrefois choisi par le candidat mais trop aléatoire pour lui). Les nécessités d’un exposé clair et démonstratif doivent donc être enseignées aux élèves.

Le « commentaire composé d’un texte littéraire » quant à lui pose des exigences. Le texte sur lequel il porte est « choisi en raison de sa qualité littéraire » et doit être protégé en tant que tel - ce qui est reconnaître l’importance de sa cohérence profonde : « ce texte ne doit comporter aucune coupure. Une coupure en déchirerait la trame et rendrait aléatoire toute analyse des effets littéraires. » Comme en « discussion », le candidat est maintenant aidé par un libellé. Sa définition rompt des lances avec la tradition de l’évidence (preuve qu’elle n’avait pas désarmé dans les cours) et veut en régler définitivement le sort : « (Le libellé) ne devra pas laisser croire qu’un texte littéraire ne fait que « traduire » un sens préexistant. Il pourra au contraire suggérer (…) que dans un texte littéraire, « la facture est génératrice du sens ». C’est la raison pour laquelle une étude séparée du « fond » et de la « forme » laisserait échapper l’essentiel. La signification est inséparable de la forme qui la constitue et la propose. [82] »

En conséquence, au lieu d’être mise en doute, la littérature comme objet d’apprentissage et sujet d’examen est mise en valeur : « Le texte littéraire, plus que tout autre, se prête, par le travail d’écriture qu’il implique, à l’observation des pouvoirs du langage et à l’exploration des effets de sens. », « il est naturel que la littérature française ait une place de choix. » Enfin « un principe a été fortement affirmé (…) : on ne sépare pas l’étude des textes et celle de la langue. »

Deux exercices vont mettre en œuvre ces axes : la « lecture méthodique » et le « groupement de textes », qui préparent l’écrit et donnent lieu à l’épreuve orale de l’examen. L’un et l’autre affirment la validité de l’analyse éclairée et renouvellent entièrement les pratiques : à cette occasion, les appellations de « lecture expliquée » et de « thèmes », trop peu réceptifs aux méthodes de la nouvelle critique, disparaissent.

La définition de la « lecture méthodique » veut, comme celle du « commentaire composé », écarter définitivement les pratiques antérieures. C’est pourquoi elle est négative car elle en fait la liste : « 1) Elle rejette la paraphrase ; 2) Elle ne mime pas, passivement, le développement linéaire du texte ; 3) Elle n’attribue pas à l’auteur, a priori, une intention ; 4) Elle ne suppose pas que le contenu et la forme puissent être dissociés ; 5) Elle ne s’enferme pas dans des préjugés esthétiques. » C’était dire à quel point les habitudes avaient la vie dure et les cours ne parvenaient pas à évoluer. Ses prescriptions positives demandent un examen attentif du texte et de ses effets stylistiques, et de dégager des « hypothèses de lecture » qui rendent l’élève actif.

Le « groupement de textes » doit quant à lui abandonner une perspective trop souvent descriptive, pour adopter une orientation thématique ou littéraire qui en fera la cohérence : « analyse d’une question d’ordre littéraire, d’un thème, d’une modalité d’expression, comme jalons d’un aperçu historique ». Il faudra en dégager une « problématique » et proscrire toute étude de texte « à l’état de fragment isolé ». La problématique fait donc du groupement de textes une autre méthode de lecture, par confrontations, comparaisons, et éclairages mutuels [83].

Ces instructions s’accompagnent de listes détaillées des notions nécessaires, linguistiques, rhétoriques, stylistiques et poétiques, et des connaissances indispensables à une bonne communication. Tous savoirs nécessaires. Mais elles sont complétées par une série de dix « objectifs » à atteindre, qui ne sont pas encore des « compétences » mais y ressemblent fort.

Volte face : un baccalauréat plus technique (1996)

Ces programmes vont régir les classes de lycée pendant une douzaine d’années, jusqu’en 1999, mais les pratiques vont être infléchies par la modification, en 1994 [84], des épreuves pour le baccalauréat 1996. L’écrit est sensiblement réorienté, appuyé sur les données linguistiques du programme plus que sur la lecture littéraire. Le résumé disparaît, remplacé par un texte sur lequel sont posées des questions de type argumentatif (« système énonciatif, organisation lexicale, structure logique et rhétorique, maniement de l’implicite, buts et modalités de l’argumentation ») puis un sujet de discussion, le commentaire est préparé par des questions d’observation, et la dissertation porte sur un programme de deux (séries ES et S) ou trois (série L) œuvres littéraires obligatoires - théâtre, roman, poésie. Le programme d’œuvres vise à favoriser la dissertation.

Les questions sont dotées d’un barème précis détaillé destiné à limiter les dérives docimologiques, et notées dix points en sujet 1 argumentatif, quatre en commentaire. La dissertation restera notée sur vingt, ce qui en éloignera d’autant les élèves qui vont choisir la sécurité de questions assez techniques des autres sujets, auxquelles ils se sentent préparés. Le commentaire aura lui aussi moins d’adeptes, car il perd son libellé que les questions sont censées remplacer. L’épreuve écrite se complique, car les élèves manquent de temps et ont du mal en temps limité (4 heures) à dominer les questions pour y apporter des réponses concises, la discussion ou le commentaire n’occupent ainsi parfois que la moitié du temps autorisé.

L’épreuve orale, comportant en seconde partie une « question d’ensemble », est également remaniée : la question (censée favoriser le « psittacisme » selon l’Inspection générale) disparaît, remplacée par un « entretien » où l’examinateur « élargit l’interrogation » sur l’œuvre ou le groupement dont le candidat a expliqué un texte, et apprécie l’ « aptitude à entrer dans un dialogue et à argumenter dans un échange suivi. »

Les premiers bilans des inspecteurs signalent le « succès » du sujet 1, ce qui montre bien que l’élève ne doit pas être abandonné « au centre du système » : « c’est celui auquel les élèves se sentent le mieux préparés, ce que leurs résultats semblent confirmer » ; mais aussi la désaffection pour la dissertation, pour la raison inverse : l’exercice n’est pas assez préparé. La réforme en effet n’a pas prévu ses effets pervers. « L’abandon du sujet 3 se confirme de façon inquiétante. (…) Pour la grande majorité des candidats, les œuvres intégrales ne seraient que des groupements de textes pour l’épreuve orale. (…) La suppression de la « question d’ensemble » a peut-être aggravé le décalage entre l’approche de l’œuvre intégrale pour l’oral et pour le sujet 3 de l’écrit. De ce fait, la préparation à ce sujet semble souvent se réduire à la rédaction d’une dissertation en « bilan d’étude ». Cette façon de procéder a comme conséquence que la plupart des candidats n’ont eu l’occasion de rédiger que trois ou quatre dissertations littéraires dans toute leur scolarité au lycée. (…) Si la tendance à l’ « abandon du sujet 3 se confirmait, un objectif essentiel de la réforme de l’épreuve - revaloriser les savoirs et la réflexion littéraire – serait raté » et « aurait pour conséquence de faire disparaître les problématiques littéraires de la formation des élèves : ils n’auraient plus affaire qu’à des textes [85] ».

La réforme Allègre-Viala au lycée (1999-2006) : « l’élève au centre » de la littérature

En 1999 arrivent en 2e les élèves qui ont connu au collège de 1995 la réforme socio-linguistique des « discours ». Une nouvelle réforme atteint donc, en cohérence, les lycéens, dans les remous provoqués par le ministre Allègre.

Sous la houlette d’Alain Viala [86], spécialiste de sociologie et littérature, les mêmes perspectives vont être appliquées, comme le disent explicitement les Documents d’accompagnement des programmes : « Diverses conceptions de la littérature existent, quelquefois conflictuelles, de l’art pour l’art à l’engagement, du privilège du moi à l’échange, voire à la création collective. Le littéraire a de multiples dimensions : fiction et confidence vraie, jeu de langage et action par le verbe, images de large diffusion ou partage de privilèges. Dans un programme scolaire, imposer une conception ne respecterait pas la vérité scientifique ni les principes démocratiques. »

Le principe de « l’élève au centre » apparaît alors comme un gage de démocratie – et peu importe la pédagogie : « L’école se doit de donner à ses élèves une vue d’ensemble qui les rende capables de faire leurs choix en connaissance de cause. Pour assumer ce rôle, les programmes du lycée se devaient d’envisager une conception globale et équilibrée de la littérature et la discipline « français ». Ils se devaient de considérer la langue, la littérature et la culture dans leur ensemble, en tenant compte du passé et du présent, et de tout le passé, car la langue, la littérature et la culture ne prennent sens que dans leur perspective historique. [87] »

« Conception globale » : le programme du lycée révèle la cohérence de son système avec celui du primaire (apprentissage de la lecture) et celui du collège. Il ne fait grâce à l’élève d’aucune connaissance, tout en se refusant à le guider car ce serait lui « imposer une conception ».

Les élèves vont donc devoir, dans ce dédale et cette ampleur, « savoir construire la signification des textes et des œuvres ». Un système d’explication par clés universelles va leur être donné : pour accéder aux œuvres, il suffit de savoir à quel « genre », quel « registre » elles appartiennent, à quelle « histoire littéraire et culturelle », connaître les conditions de leur « production », leur « singularité » et leur effet « sur les destinataires. » par leur « argumentation ». Par exemple, « la perspective générique » est « nécessaire pour comprendre que les textes relèvent de codes sociaux, les genres, indispensables à l’échange entre les humains ». La littérature est reconvertie en sociologie.

« Objets d’étude »

Les programmes ne comprennent aucun nom d’auteur ni d’œuvres/Les Documents d’accompagnement donnent quelques indications et titres./, le professeur les choisira. Ils n’ont en effet pas d’importance, ni d’époque ni de qualité, puisqu’il suffit de leur appliquer une doctrine d’explication – ce qui résout, au passage et sans discussion, la difficile question du « patrimoine » littéraire ou du « panthéon » des œuvres cardinales… Pour exemple, le roman, un des « objets d’étude » de la 2e :
« 2 - Le récit : le roman ou la nouvelle
Le but est de faire apparaître le fonctionnement et la spécificité d’un genre narratif.
Corpus : une œuvre littéraire du XIXème ou du XXème siècle, au choix du professeur, accompagnée de textes complémentaires.
Perspective dominante : étude des genres et des registres.
Perspectives complémentaires : réflexion sur la production et la singularité des textes ; approche de l’histoire littéraire. [88] »

Les professeurs, surpris par ce type d’approches [89] dans des classes où certains élèves ont des manques de lexique et parfois de syntaxe, et ne peuvent lire facilement sans aide des textes littéraires, vont résister. Les œuvres se prêtent malaisément à ce carcan, ou bien seules certaines d’entre elles correspondent au schéma. On ne peut plus par exemple étudier en 2e Pierre et Jean de Maupassant comme un roman de recherche d’identité, de jalousie, de conception du rôle d’une mère et d’une famille – tous thèmes qui inquiètent et passionnent les élèves -, y chercher les réseaux cachés du texte, ses mises en abyme, car l’oeuvre est devenue un modèle exemplaire de recettes, un magasin de procédés censés faire fonctionner tout type de roman (schéma narratif, schéma actantiel [90]), alors que justement les grandes œuvres transcendent et contestent volontiers ces étiquettes élaborées après elles. Ces théories desséchées conduisent souvent au contresens. C’est ainsi que les élèves diront, selon la définition du biographique, que tout « récit rétrospectif » à la « première personne » est une biographie. Et que Tzvetan Todorov écrit : « À l’école, on n’apprend pas de quoi parlent les œuvres mais de quoi parlent les critiques. [91] »On remplace en effet les objets du savoir par les outils de leur description.

Ces programmes se révèlent rapidement impraticables : les œuvres ne veulent pas « fonctionner ». Après deux années d’application, l’Inspection générale elle-même (qui depuis 1989 n’a plus le monopole de l’élaboration des programmes) le déplore, dans son Rapport sur la mise en œuvre du programme de français en classe de seconde (octobre 2003) : « La première dérive, qui sévit surtout en collège mais qu’il n’est pas rare de retrouver en seconde, consiste à subordonner le texte à la mise en place d’un outil ou d’une notion. L’étude du récit est propice à ce défaut : l’objectif de la séance apparaît être la mise en valeur du schéma narratif ou des problèmes liés au point de vue, bien plus que l’analyse du texte qui sert de support et de prétexte à cette étude. » [92]

La tare originelle de ces doctrines est qu’en concentrant l’attention sur ces techniques, au détriment de la lettre du texte, on en fait disparaître le sens, fort loin du principe de lecture authentique posé par les programmes de 1988 : « on ne sépare pas l’étude des textes et celle de la langue. », « le texte littéraire, plus que tout autre, se prête, par le travail d’écriture qu’il implique, à l’observation des pouvoirs du langage et à l’exploration des effets de sens. » La régression linguistique et pédagogique est patente

Il va devenir difficile, en classe, d’intéresser les élèves au français ; comment s’attacher à Ronsard avec cette perspective : « Ronsard va-t-il convaincre Hélène de lui rendre son amour ? Étudiez le circuit argumentatif. [93] ». Avides de sens, c’est en dehors de l’école et de sa sécheresse que les élèves vont chercher de quoi lire. Ajoutons que l’« objet d’étude » « roman » sera absent du programme de 1ère jusqu’en 2007, évacuant ainsi l’étude d’œuvres complexes et riches d’interrogations, propres à séduire des adolescents.

Ces « objets d’étude » proliférants étant le programme des épreuves de l’examen et réglant les sujets, beaucoup de surprises attendaient les candidats, incapables bien sûr de dominer un genre. Une session de baccalauréat a eu en pour sujet en 2004 le costume (et non le texte) de théâtre… La fragilité théorique des notions inquiète également l’Inspection : « En l’absence de recherche universitaire qui fasse le point, il faut admettre que ce terme [le registre], fort commode, synonyme grosso modo de tonalités, n’est jamais défini selon des critères convaincants : est- il même défini, autrement que par cet énoncé emprunté aux documents d’accompagnement : les registres seraient ces « attitudes qui correspondent à des façons fondamentales de ressentir [94] » Des universitaires, comme Tzvetan Todorov, s’en émeuvent : « Tous les praticiens des études littéraires aujourd’hui ne sont pas d’accord sur la liste des principaux « registres » - ni du reste sur la nécessité même d’introduire une telle notion dans leur champ. Il y a donc ici un abus de pouvoir./Perspectives actuelles de l’enseignement du français, CRDP de Versailles, 2001./ »

Le « sujet d’invention »

Les épreuves du baccalauréat sont modifiées pour le baccalauréat 2002, la raison en étant la baisse des résultats à l’examen [95]. À la place du sujet 1 d’argumentation est donc introduit un sujet sans contraintes de réflexion (dont la « discussion » parfois relevait déjà, considérée par des inspecteurs comme une « rédaction de collège » [96]) et en rupture avec les exigences des épreuves des années antérieures. Commentaire (non composé cette fois) et dissertation subsistent. Les trois sujets sont précédés de questions sur un corpus de deux à trois textes réunis pour leur « genre » ou leur « registre ». L’ensemble est relié à un ou deux « objets d’étude ».

Le « sujet d’invention » (au sens rhétorique ancien de « matière, contenu », et non imagination) ne vérifie pas les connaissances des candidats sur les œuvres, les auteurs ou l’histoire littéraire, mais seulement celles de contraintes formelles définies comme caractéristiques par le programme d’ « objets ». Il s’agit de rédiger un texte en rapport avec l’un ou l’autre de ceux du corpus, et les illustrant ou les prolongeant, et proche des « discours » du collège ; il s’agit toujours d’une écriture de contact aux multiples formes : « article (éditorial, article polémique, article critique - éloge ou blâme -, droit de réponse...) ; lettre (correspondance avec un destinataire défini dans le libellé du sujet, lettre destinée au courrier des lecteurs, lettre ouverte, lettre fictive d’un des personnages présents dans un des textes du corpus...) ; monologue délibératif, dialogue (y compris le dialogue théâtral) ; discours devant une assemblée ; essai ; récit à visée argumentative sous forme de fable, d’apologue... [97] ». Quant au libellé, imprévisible, il n’est en rapport avec aucune autre connaissance que formelle, puisqu’aucun domaine d’application n’en est défini a priori, contrairement à ce qui se passe en dissertation – portant sur les genres étudiés - ou le commentaire – portant sur un texte littéraire. Il ne peut donc être préparé efficacement vu l’ampleur des « objets d’étude », et ne peut certifier un niveau, ce qui va mettre en difficulté les correcteurs, démunis devant des cas de conscience suscités par des copies informes faute de cadre et codifications de méthode, et mécontents de voir des candidats obtenir le baccalauréat de français sans avoir la moindre connaissance littéraire. En effet, en l’absence d’autres critères bien définis, c’est la qualité d’expression qui en pratique joue le rôle de discriminant. Et en dehors de très bons élèves dont l’aisance verbale transmise dès le berceau familial va tenir lieu de savoir garanti par l’institution, les autres, irrémédiablement handicapés par leurs difficultés de syntaxe et leur manque d’agilité pour jouer avec les consignes, sont assurés de perdre des points en choisissant ce sujet-piège.

C’est que de surcroît il contraint l’élève à endosser un personnage de locuteur éminemment périlleux et anachronique : « La fille de Madame de Sévigné s’empresse de répondre à la lettre de sa mère afin d’atténuer la douleur de la séparation en cherchant à la persuader des mérites de l’échange épistolaire. [98] », « Rédigez le monologue de Lépidus qui pourrait suivre la scène de Caligula » (2004). Le candidat est sommé de se déguiser tour à tour en La Fontaine, Flaubert écrivant à Zola, poète écrivant à un directeur de revue, Muse écrivant à un « poète d’aujourd’hui » (2005) ou essayiste de première classe comme dans le sujet d’Annales zéro où il doit faire s’opposer Diderot et Van Loo sur la supériorité de l’écriture ou de la peinture dans l’art du portrait [99]. Le sujet peut aussi rejoindre la visée morale si dénigrée antérieurement (écrire, à la suite d’un extrait de La Guerre de Troie n’aura pas lieu où Andromaque condamnait la guerre, un dialogue où Hector défend devant son père Priam la même condamnation, du « point de vue des hommes » - 2002) ; ou politiquement correcte : en 2005 (séries technologiques) après la chanson Lily, de Pierre Perret figure ce libellé : « Lily, un an après son installation à Paris, écrit à sa famille restée en Somalie. Elle dénonce l’intolérance et le racisme dont elle est la victime. Vous rédigerez cette lettre en tenant compte des situations évoquées dans le texte de Pierre Perret et en développant l’argumentation de Lily [100] »

« L’enjeu fondamental de l’argumentation, … la régulation des conflits »

On retrouve dans cet écrit interpersonnel la sociolinguistique du collège : les caractéristiques de l’argumentation comme « forme de discours qui vise à obtenir l’adhésion d’un auditeur ou d’un lecteur aux thèses que l’on présente à son assentiment », et l’utilisation du français et de ses composantes comme support social et politique : « l’enjeu fondamental de l’argumentation, donnant à la parole une chance contre la violence, est la régulation des conflits [101] ». Le sujet d’invention supprime même le conflit car il ne suppose pas de perspective dialectique ; le texte à rédiger ne défend qu’un point de vue, au pire il est un échange d’opinions, émoussées par la « modalisation » afin de ne pas blesser, alors que dix ans avant encore, le but affiché était « l’esprit critique ».

La finalité avouée est donc la communication facile, la conformité morale et le baccalauréat démocratique : lorsqu’il n’y a que des formes à retenir, sans programme et sans supports, le sens, la réflexion et la qualité de la pensée n’interviennent plus et la réussite est assurée ; l’égalité entre les individus est parfaite et la paix sociale garantie. Au même moment (1998), Philippe Meirieu [102] dans son rapport Quels savoirs enseigner dans les lycées [103], prêche la même chose comme horizon scolaire : la « culture commune comprend, d’une part, un ensemble de savoir-faire sociaux [104] indispensables à l’élève, (…) et, d’autre part, un ensemble de connaissances permettant de référer ces savoir-faire à leur histoire et à leurs enjeux. » ; « La construction des savoirs est indissociable de la construction de la collectivité apprenante », « La paix sociale se construit dès l’école » [105]. Il faut réduire la culture à un ensemble horizontal d’échanges de même niveau. Et on comprend là que l’école a changé de fonction : elle vise moins une augmentation de l’être (élever l’élève) qu’une extension de sa surface (intégrer le communicant). Au fil des années, l’utilisation du français à des fins politiques de régulation de la société s’affirme. L’AFEF dans son manifeste de Charbonnières [106] rénové affirmait déjà en 1977 que les « discours » (plus tard injectés au collège [107] équivalaient aux « rapports explicites que l’individu établit avec les membres de la communauté. [108] »

La pacification supposant l’égalité totale se confond avec le refus de la distinction analysée par Bourdieu : il faut qu’aucune tête ne dépasse de la classe. Dans la réalité pédagogique, cela revient en français à proscrire ou à limiter, par exemple, l’exposé et l’utilisation de toutes les ressources de la langue qui seraient pourtant le propre de son enseignement ; les Documents d’accompagnement pour la classe de 3e (1995) le montrent jusqu’à la caricature : « S’il est prescrit, par exemple, que les élèves sachent composer une lettre, c’est à l’enseignant de décider s’il doit revenir ou non sur cette pratique plusieurs fois dans l’année. Il ne s’agit pas de chercher, au risque d’alourdir le travail, la perfection des acquis, mais il convient de viser l’efficacité : une lettre est efficace si elle répond clairement et correctement à son objectif communicatif [109], et on ne cherchera l’élégance ou l’originalité de l’expression que si le contexte pédagogique le permet. Sans cette souplesse, on reproduirait dans les pratiques un élitisme discriminatoire qui n’est pas dans l’esprit du programme. »

Alain Viala ne dit pas autre chose : « En montrant la richesse d’un texte, on renforce l’image de l’écrivain de génie, en paralysant la faculté d’écriture ou de réécriture d’élèves qui manient mal les idées et plus encore les outils logiques [110] » Pour être démocrate et ne pas rebuter les élèves, il suffit en effet de ne plus enseigner.

Les années 2010 : un système délétère

Les années 2006-2008 voient paraître un ensemble de textes réduisant la faillite pédagogique antérieure. Mais la contradiction entre les objectifs, les contenus et les horaires contribue à marquer et miner la période, et à réduire à rien les avancées proposées. Parallèlement, en sus, des systèmes délétères (logiques comptables d’économies, choix de l’ « autonomie » comme mode de gouvernance des établissements, mise en concurrence par le service public de ses propres structures, spectre du « socle » de connaissances) hantent l’institution.

En primaire

Un programme plus explicite

Un programme plus précis et plus explicite de connaissances fondamentales est publié en 2008 [111]. Dans un rapport de bilan de 2013 [112], l’IGEN note : « Il en a résulté des programmes un peu plus ambitieux que les précédents, notamment en matière d’étude de la langue, sans que les exigences soient aussi élevées qu’elles avaient pu l’être par le passé, dans les programmes de 1985 notamment. »
La comparaison des programmes de cycle 3 entre 1985 et 2008 montre cette régression, mais des acquis par rapport à 2002 sont sensibles. Le lexique du tâtonnement (« repérer », « marquer », « distinguer », « découvrir », « observation des variations ») disparaît au profit de l’énumération directe des notions ; « repérer et réaliser les chaînes d’accord dans le groupe nominal », par exemple, devient plus impératif : « effectuer les accords dans le groupe nominal » - ce qui semble indiquer un guidage plus précis des élèves. C’est sur ce principe pédagogique que l’exercice de dictée est justifié : « La dictée représente un intermédiaire pertinent entre la situation d’exercice où l’attention de l’élève se trouve de fait guidée et soutenue et la situation d’écriture autonome où l’élève doit tout assumer ».

Le programme cherche également à libérer précocement les élèves des tâtonnements orthographiques : « Une attention permanente est portée à l’orthographe. La pratique régulière de la copie, de la dictée et de la rédaction ainsi que des exercices diversifiés assurent la fixation des connaissances acquises : leur application dans des situations nombreuses et variées conduit progressivement à l’automatisation des graphies correctes. La relecture et la correction des textes sont systématiques. » L’orthographe grammaticale est bien reliée au programme de notions, l’orthographe lexicale à un apprentissage raisonné : « L’apprentissage orthographique repose aussi sur l’application des “règles d’orthographe” ou régularités dans l’écriture des mots (redoublement de consonnes, lettres muettes, finales de mots de grande fréquence). » La réorientation de l’ensemble des prescriptions vers une pédagogie plus explicite, moins inquiétante pour les élèves, reste patente.

Schizophrénie : une baisse récurrente des horaires

Apparemment, la moyenne des heures d’enseignement reçues entre le CP et le CM2 reste la même entre 2002 et 2008 (de 7,2/8,2 à 7,2 /8,4). Le décompte reste imprécis car le français appartient au « domaine » des humanités et son horaire peut varier d’une heure hebdomadaire en cycle 3. Le cycle 2 (CP-CE1) bénéficie d’un horaire disciplinaire autonome, et le CP y gagne 1 heure, passant de 10 à 11. Mais le rapport-bilan [113] modère en baisse ce compte brut : les récréations sont attribuées au pro rata du temps disciplinaire ; ainsi traité, le temps du français « peut être diminué de 50 minutes par semaine au cycle 2 et de 40 minutes au cycle 3 ».

Cependant, la suppression à partir de 2008 d’une demi-journée de cours du samedi matin [114]. Antoine Prost en a dit l’irresponsabilité dans Un Munich pédagogique (Le Monde du 29 mai 2008) : « La suppression de deux heures de classe dans l’enseignement primaire et la semaine de quatre jours risquent (…) d’être irréversibles. Et personne ne dit rien ou presque. Le forfait s’accomplit dans l’indifférence générale. Munich s’était accompagné d’un « lâche soulagement ». Ce lâche consentement, lui aussi, annonce une débâcle. Les comparaisons internationales nous montrent en mauvaise position et 10 % à 15 % des élèves qui entrent en 6e sont incapables de suivre. Et qu’est-ce qu’on fait ? On réduit la durée de l’enseignement ! A qui fera-t-on croire qu’il est possible d’apprendre mieux et plus en travaillant moins ? Même le ministre n’a pas osé dire du bien de cette mesure que lui a imposée - dit-on - un président qui n’a décidément pas besoin de réfléchir pour décider. (…) Il n’y a qu’une chose vraiment importante en éducation : c’est le travail des élèves. Sur quel miracle, sur quelle potion magique, M. Darcos compte-t-il pour compenser les amputations qu’il décrète ? »]], pour « rendre les enfants à leur famille », a resserré les activités en retirant deux heures à l’horaire hebdomadaire. La gestion du temps et sa répartition entre les disciplines sont devenues le premier problème de l’école primaire. Sur l’ensemble de la scolarité primaire, l’équivalent de 14 semaines est perdu depuis 2008 – comme si le CM2 s’arrêtait en février.

En 2013, Vincent Peillon, au lieu de prendre en compte la baisse des inégalités et les avertissements de spécialistes comme Antoine Prost, a continué sur la ligne de ses prédécesseurs : il n’est pas revenu sur la mesure et n’a rétabli aucune des heures d’enseignement supprimées, la demi-journée hebdomadaire redonnée correspondant aux activités périscolaires. La politique du « toujours moins » scolaire, soutenue par une opinion publique de plus en plus défiante envers l’école, entretient et renforce le poids de la famille.

La progression des inégalités est ainsi favorisée par l’institution, non parce qu’elle pratiquerait une langue soutenue, mais parce qu’elle ne se donne plus le temps de l’enseigner - attitude qui définit l’élitisme.

Au total, les horaires du français à l’école primaire ont diminué de 630 heures entre 1968 et 2007. Ce qui correspond à une année scolaire et demie (1,56 exactement) [115]. Comme si l’écolier entré en 1968 en sortait au milieu du CM1, pour aller directement en 6e au collège. Les enquêtes officielles ou disciplinaires corrèlent exactement le rapport entre le total des pertes horaires et le retard des acquis disciplinaires mesurables/ [116].

Au collège [117].

Feu le « discours »

De nouveaux programmes du collège paraissent en 2008, pour s’appliquer à partir de 2009. Abandonnant enfin la grille obligatoire des « discours », ils libèrent les professeurs de la faillite pédagogique de cette théorie, et des diktats du « décloisonnement » qui l’accompagnaient. Au lieu de lui être subordonnées, les rubriques de l’étude de la langue, grammaire, orthographe et lexique, redeviennent enfin des domaines d’apprentissage à part entière, et par « grammaire » on entend bien ici la grammaire de la phrase.

Certes, les grammaires du texte et de l’énonciation sont encore imposées, mais à partir de la 4e seulement et sous la forme d’une « initiation ». Le parti pris est nettement énoncé : « Au collège, le programme privilégie l’apprentissage de la grammaire de la phrase » et « la leçon de grammaire est fondamentale ». Mieux, « les séances consacrées à l’étude de la langue sont conduites selon une progression méthodique et peuvent n’être pas étroitement articulées avec les autres composantes du français ». L’interdiction de consacrer une séance entière à la langue, et le saupoudrage des notions grammaticales au hasard des séquences, disparaissent. Enfin, concernant les termes grammaticaux, on peut lire : « ils doivent être soigneusement expliqués pour être systématiquement acquis ». Cette formule impose clairement le principe de « l’explication », et constitue aussi un encouragement à l’exercice répétitif. La transmission des savoirs est reconnue compatible avec « l’activité de l’élève, « savoir orthographier correctement un texte constitue (…) une compétence essentielle », « l’acquisition de la compétence orthographique (…) rend nécessaire un apprentissage raisonné et régulier », et « le lexique doit lui-même faire l’objet d’un apprentissage régulier et approfondi ».

Le texte présente cependant des incohérences : par exemple, le socle commun à l’acquisition duquel ces programmes sont étroitement liés stipule dans la compétence 1 « le système des temps et des modes » ; or on ne trouve ici aucune mention du mode participe, alors même qu’en orthographe grammaticale tous les accords possibles du participe passé ainsi que la distinction entre participe présent et adjectif verbal sont programmés.

En matière d’expression écrite, les nouveaux programmes affichent d’emblée une couleur différente de celle des précédents. La valorisation de l’écriture au kilomètre, sans orthographe ni ponctuation, a vécu. On peut lire en effet que « l’écriture s’apprend : elle nécessite dès la 6e un enseignement rigoureux et un entraînement régulier ». On peut lire également, dès le préambule : « Les exigences attendues sont la correction de l’expression, la cohérence de la composition, le respect des consignes, la richesse et la sensibilité de l’invention. » La porte des révisions et des exercices systématiques étant désormais ouverte, le professeur pourra entreprendre dans la classe une restructuration des connaissances.

Quant à la littérature, presque totalement débarrassée des « grammaires du discours » et « grammaire du texte » qui la rendaient inaccessible, elle peut reprendre toute sa place en tant que porteuse de sens : elle n’est plus la cible muette d’un bombardement techniciste. De façon générale, on sent que ces programmes cherchent une sorte de compromis, certes impossible mais au moins pragmatique, entre d’un côté l’ambition de transmettre des savoirs, et de l’autre le courant sociologique qui a régné sans concession sur le terrain durant les vingt dernières années.

Double discours : la baisse horaire

On sent cependant la mission désespérée : les horaires du collège suivent une courbe incessamment descendante depuis 1969. Les améliorations de programmes, de contenus et de méthodes deviennent de ce fait inopérantes puisque l’assimilation ou le réemploi des connaissances est impossible en temps de plus en plus réduit. Le calcul des pertes est compliqué par le développement d’activités interdisciplinaires (« parcours diversifiés » puis « itinéraires de découverte ») qui influent sur les calculs, selon que le professeur de français y participe ou non, mais varie entre 0,45 et 0,9 année scolaire (sur la base administrative d’une durée de 36 semaines).

En une trentaine d’années et si l’on additionne les pertes d’heures d’enseignement en primaire et en premier cycle, l’élève a donc, au mieux, perdu deux années de formation en français. Au pire, deux années et demie. [118] Lorsqu’il arrive en 2e, il a reçu, sauf aide familiale, autant d’heures d’enseignement qu’un élève sortant de 5e en 1975, sans tenir compte du quart de l’horaire global du collège effectué alors en demi-groupe, ce qui, qualitativement, n’est pas négligeable.

Les évaluations ministérielles [119] et les constatations des spécialistes [120] enregistrent précisément le déficit des acquis créé de toutes pièces. Le constat est sans appel. Les conclusions sont les mêmes que pour le primaire : l’élitisme semble être passé en politique officielle.

Au lycée

Professeurs, universitaires, politiques, journalistes, inspection générale s’étaient en peu de temps élevés massivement et clairement contre la réforme de 2001, pour des raisons disciplinaires, scientifiques, pédagogiques. Elle menait à l’impasse. Henri Mitterand (professeur émérite à la Sorbonne nouvelle-Paris III) résumait le sentiment de tous : « Sautent aux yeux (…) la pulvérisation du travail de lecture réfléchie ; l’asservissement de chacune des œuvres lues à un unique angle de réflexion (par exemple l’angle générique pour la lecture d’une comédie ou d’une tragédie) ; (…) et par-dessus tout, l’absence de toute étude interne de l’œuvre achevée, autre que l’analyse de ses caractéristiques génériques et rhétoriques. Rien sur les réseaux du sens, rien sur l’imaginaire, ni sur le rêve, ni sur les idées, ni sur la personnalité de l’auteur, rien sur la relation de l’œuvre à l’histoire (l’étude d’un mouvement ne dit pas grand-chose sur l’insertion d’une grande œuvre, prise en elle-même, dans les courants sociaux, idéologiques, politiques, religieux, qui l’entourent et la nourrissent), rien sur l’art. "La littérature, ses savoirs, ses découvertes, ses enseignements et ses charmes ? Hors sujet !" [121] ».

Entre temps, la réforme de l’épreuve orale, prescrivant en 2001 de poser deux questions (sur le texte et pour l’entretien de seconde partie), puis en 2003 une question (sur le texte) le jour de l’examen à l’entrée dans la salle [122]/ contraignant un candidat de seize ans à remodeler en trente minutes un plan ou un contenu de lecture méthodique, avait rendu l’épreuve redoutable.

Le roman, la poésie : le retour

À défaut de revoir l’orientation technique contestable des programmes, les premières améliorations portent sur le contenu. Le scandale majeur de l’absence du roman en classe de 1ère – ce qui rejetait le programme dans les eaux de 1950 –, dénoncé par tous les professeurs et les spécialistes, disparaît à la rentrée 2007. « Le biographique », spécialité d’Alain Viala, laisse la place, sauf en 1ère L, dotée d’un horaire supérieur. La poésie n’est plus associée à « la modernité » : la classe de 2e n’en étudiait pas…
L’abord de l’histoire littéraire (qui n’en était pas car le déroulement chronologique en avait été supprimé et l’étude réduite à un mouvement par an) redevient plus réaliste : l’élève n’a plus à en « construire la notion ».

La réforme suivante de 2010 pour 2011 – menée par l’Inspection générale (le GTD avait été supprimé par Jack Lang en 2002), redonne à la discipline des contours acceptables. En particulier, les « perspectives » formalistes et ampoulées, qui contraignaient à lire la littérature selon des critères préétablis, et les « registres », qui refusaient l’histoire littéraire au profit de catégories émotionnelles, disparaissent. Ces filtres obligés, contestés au sein même des recherches universitaires, et constituant autant de pré-requis inutilement compliqués, avaient pendant dix ans rendu opaque et répulsive, pour nombre de lycéens - surtout les moins soutenus par leur milieu -, l’étude du français.

On en revient à des « objets d’étude » génériques, limités à cinq par an, la poésie est à nouveau étudiée en 2e, l’histoire littéraire retrouve une continuité. Des incohérences nouvelles apparaissent certes : le XVIIIe et les Lumières en particulier sont étudiés en 2e, réduisant d’autant la formation critique liée à la classe de 1ère, le roman restreint au « personnage » fait problème pour nombre d’oeuvres, le programme considéré en détail est très lourd. Le soulagement des professeurs fut patent. Tout comme leur colère contre les horaires.

Les horaires et l’autonomie du ministère Chatel : un système à double étranglement

Les horaires

La réforme générale du lycée par le ministre Chatel à partir de 2010 créa un séisme qui continue à s’étendre.

Le lycée avait été assez longtemps préservé des baisses horaires : augmentés d’une heure par niveau en 1977, les horaires [123] de français étaient en moyenne de 5 heures en 2e, 4 heures en 1ère et 5 en 1ère L ; en 1992, des « modules », groupes à effectif réduit, avaient été créés en 2e par le ministère Jospin. A défaut d’une véritable lutte contre les inégalités, le système avait au moins institué une stabilité sur laquelle les professeurs pouvaient tabler.

Avec la réforme Chatel, les baisses horaires et les déséquilibres s’invitèrent en force. De fait, la réforme retirait aux lycéens de Seconde 1 heure 30 de français hebdomadaire (30 minutes de demi-groupe (module) et 1 heure d’« aide individualisée »), aux lycéens de Première littéraire des classes de français spécifiques et la continuité pédagogique (leur horaire est en effet scindé entre 4 heures hebdomadaires indifférenciées et 2 heures de série littéraire, ce qui ne garantit pas d’avoir le même professeur de lettres dans les deux parties de l’enseignement), aux lycéens de Terminale littéraire 50 % de leur horaire hebdomadaire (2 heures au lieu de 4).

Tous les lycéens commencent ainsi leur second cycle en recevant en 2e 54 heures de moins que leur prédécesseurs, et peuvent en Première être formés dans des classes de tronc commun aux effectifs pléthoriques rassemblant toutes les séries. Comment dans ce cas, adapter les œuvres étudiées à un public aux attentes différentes, et s’attacher à la « quête du sens » prévue dans les nouveaux programmes ?

Quant à la série L, la perte totale d’horaire de français, en trois ans de cursus littéraire au lycée, atteint 126 heures. L’annonce d’une « revalorisation de la série littéraire » sentait la supercherie.

L’autonomie

La réforme Chatel accorde une large part à « l’autonomie » de l’établissement. Il s’agit de l’attribution d’heures non disciplinaires, accordées non aux matières mais à l’établissement, en compensation partielle de suppression de cours en groupes. En 2e, 10 de ces heures, 7 en 1ère et 5 en Tle sont affectées aux classes. Une part importante de l’utilisation des horaires est ainsi laissée aux choix locaux. Sur 28 h 30 de cours en 2e, 15 heures (aide personnalisée, dédoublements, options), soit 55 %, ne relèvent pas d’un cadrage national.

La déréglementation est donc installée, avec des conséquences similaires à celles de la réforme Bayrou de 1996 : les horaires des disciplines varient d’un établissement à l’autre, selon les besoins mais aussi les pressions : les disciplines se faisant concurrence, chaque matière doit se défendre contre l’empiètement d’une autre. Dans ces conditions, seul l’horaire national plancher est garanti, le reste est à l’avenant. Selon les décisions prises par le chef d’établissement, les horaires en 2e par exemple peuvent d’un établissement à l’autre être de 4 (plancher) ou 6 (avec groupes dédoublés). L’enseignement dans de bonnes conditions ni le respect du programme ne sont ainsi garantis, et il devient difficile de savoir quelles pertes horaires subissent les élèves, ni si les choix d’attribution des heures flottantes sont décidés par du personnel pédagogiquement compétent. Une double concurrence, délibérée, s’installe : au sein d’un établissement entre matières, au sein d’une ville entre établissements. Le ministre Peillon a en l’occurrence maintenu cette organisation délétère, qui favorise les inégalités croissantes.

« De la transmission de connaissances vers le développement de compétences transférables » : le socle commun, pour quels bénéficiaires ?

Présenté comme une référence consensuelle et rassurante concernant les savoirs élémentaires garantis par la loi, le « socle commun de compétences et de connaissances » [124]/ adopté par la loi Fillon de 2005, est en réalité la traduction littérale de l’anglais des recommandations européennes [125]. Il entérine un changement majeur : l’école n’a plus à former des jeunes gens rendus libres de juger et d’agir par l’acquisition d’un savoir et l’entraînement à la réflexion, mais à formater le comportement d’une " main-d’œuvre " directement exploitable par le monde économique.

Le principal levier de ce changement de cap est la dévalorisation des connaissances disciplinaires au profit des « compétences transversales ». On quitte ainsi un modèle humaniste aspirant à l’universel par le savoir organisé, pour se cantonner à un entraînement spécifique, dont l’objectif est d’habituer des individus à s’adapter aux circonstances du quotidien et du marché en mobilisant des bribes de connaissance directement utiles. Ce nouveau modèle, qui dénature le savoir en le fragmentant, a pour conséquence – et sans doute pour objectif – de produire les exécutants dociles dont l’économie a majoritairement besoin [126].
Cette démarche empirique et déstructurée s’inscrit dans une logique « globale » dont on a vite mesuré les dégâts en français, quand le « décloisonnement » imposait de distiller des points de grammaire au hasard des rencontres dans les textes étudiés. Ce refus du savoir organisé se retrouve sans surprise dans les propos d’un Michel Camdessus [127] disant de l’école : « Les rythmes et les méthodes qui prévalent sont encore trop tournés vers un apprentissage cérébral de l’abstraction [128]. »

Dans les programmes de français, l’objectif d’un socle est ancien : la première occurrence apparaît en 1966 pour les classes « pratiques » du collège, précisément pour adapter l’élève « futur travailleur » : il devra par exemple, au milieu de quatorze « attitudes et qualités valables pour toute activité de travail », « avoir l’esprit de curiosité et le désir de comprendre ». On en retrouve l’esprit dans les programmes Haby de 1977, et dans ceux de l’Inspection générale pour le lycée en 1981, décliné sous forme d’« objectifs » qui seront repris en 1989 dans des brochures [129] internes à chaque discipline. Dans les programmes Bayrou de 1996, le mot « compétences » est utilisé pour chaque rubrique des apprentissages de la classe.

Le discours des pédagogues promeut également l’idée : « L’entreprise a besoin que l’école forme aux attitudes civiques et sociales qui permettent aux jeunes de participer à sa vie professionnelle dans les meilleures conditions », écrit Philippe Meirieu en 1997 dans L’École ou la guerre civile [130] ; on a rencontré l’idée dans son rapport Quels savoirs pour les lycées ? [131] : la « culture commune comprend, d’une part, un ensemble de savoir-faire sociaux indispensables à l’élève, (…) et, d’autre part, un ensemble de connaissances permettant de référer ces savoir-faire à leur histoire et à leurs enjeux. » ; François Dubet en 2001 demande lui aussi un socle, clairement surbaissé : « ce que doit savoir le plus faible des élèves quand il en sort » [132].

Dans "Les obsédés de l’objectif" [133] Henri Mitterand analyse les « objectifs » de 1989.
« On voit bien l’hétérogénéité relative de ces ordres de savoir, la différenciation de leurs degrés de complexité, l’impossibilité de réduire chacun d’eux à une liste d’opérations simples. L’idée d’établir en ces matières un " référentiel " est illusoire, si les mots objectif, référence, ont un sens. Idéaliste, en fait, ou dogmatique. Ou bien le référentiel se limitera à quelques objectifs simples et évidents - à quoi bon, alors, lister ce qui va de soi ? - ou bien il présentera abusivement comme simples et distinctes des opérations intellectuelles compliquées (ainsi, parmi les exemples cités par notre texte : " utiliser le registre de langue approprié ", ou " savoir utiliser les modes et les temps des verbes ", ou " comprendre l’organisation d’un message à partir d’indices aisément identifiables "…) et qui ne peuvent être maîtrisées qu’au terme d’une expérience longue et continue ; ou bien encore, il se contentera de quelques dizaines d’exemples aléatoires. Dans tous les cas, il présentera une " didactique " mystificatrice. Ni définition, ni sélection, ni programmation d’ " objectifs " ne sont institutionnellement possibles, en matière de langue et de culture ; on peut tout au plus délimiter des champs de savoir à explorer, ce qui est autre chose, et ce que faisaient assez bien les anciens programmes et les anciennes instructions.[…]

Quant à l’occultation de la dimension littéraire des études de français, c’est sans doute le contresens majeur. Elle est du reste contradictoire, et avec le souci fondamental de la commission des rédacteurs, et avec les missions définies par l’Inspection générale. En effet, si l’intention est d’assurer à tous les adolescents qui parviennent au lycée la maîtrise de leur langage, et d’abord dans la vie courante, qui ne se rend compte que l’accès aux grandes œuvres de fiction, de pensée et de poésie, y compris aux œuvres réputées difficiles, n’est jamais, pour cela, prématuré ; qu’il est essentiel à la connaissance de soi, des autres, du monde, des idées, de l’histoire, qu’il conditionne une extension du vocabulaire disponible et des pouvoirs de compréhension et d’expression, aussi bien qu’une maîtrise de la personnalité et des conduites - bref qu’il est indispensable, très tôt, à qui ne veut pas rester toute sa vie une espèce de légume ? L’idée qu’il faut passer d’abord par la textualité non littéraire, " factuelle ", dirait Gérard Genette [134] pour accéder ensuite à la " littérature ", est un sophisme. Guerre et Paix, Les Misérables, La Débâcle, Le Feu, Kaput, Voyage au bout de la nuit, en diront toujours plus sur la guerre que n’importe quel reportage ou éditorial sur la guerre du Golfe ; plus exactement, leur lecture est nécessaire pour qui veut prendre quelque distance compréhensive et critique par rapport au communiqué du jour. Retarder l’entrée des adolescents en littérature au nom des prétendus impératifs de la " communication " va exactement à l’encontre des " objectifs " affichés. Cela va aussi à l’encontre des besoins de la société moderne qui, au fur et à mesure que ses activités progressent vers plus de scientificité et de technicité, a besoin de personnels formés à la réflexion, à la curiosité, à l’ouverture imaginative sur l’espace et sur la durée, au goût des idées et des formes et, pour tout dire, à une perception esthétique des êtres et des choses. »


[2André D. Robert « Autour de mai 1968, la pédagogie en question. Le colloque d’Amiens », Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle 3/ 2008 (Vol. 41) , p. 27-45 . URL : www.cairn.info/revue-les-sciences-de-l-education-pour-l-ere-nouvelle-2008-3-page-27.htm

[3Cette constitution de groupes à l’intérieur de la classe, pendant la même séance, caractérise la "pédagogie différenciée", déjà promue et pratiquée en France par Freinet.

[4Instructions du 15 juillet 1963.

[5Circulaire du 18 septembre 1964.

[6Instructions du 5 avril 1966.

[7Circulaire du 18 septembre 1964.

[8Instructions du 15 juillet 1963.

[9Christian Baudelot, Roger Establet, L’Ecole capitaliste en France, Cahiers libres 213-214, François Maspéro 1971, p. 138 et 140.

[10Circulaire du 15 janvier 1973.

[11Cf. Clémence Cardon Quint, Lettres pures…, op. cit. p. 661.

[12Cf partie II, notes 76, 77, 78.

[13Site de Sauver les lettres, http://www.sauv.net/charbonnieres.php

[14Cf partie II, 2b.

[15"Grammaire vs linguistique, les préjugés et la raison", Eric Pellet, professeur de stylistique et la linguistique à l’Université Paris XII, communication à l’Université d’été 2007 de Sauver les lettres, http://www.sauv.net/univ2007_pellet.php

[16En gras dans le texte d’origine.

[17BO n°40 du 14 novembre 1968.

[18Clémence Cardon-Quint, Lettres pures…, p. 786.

[19"Comment sauver la littérature ?", Bulletin de l’AFEF, mars 2000.

[20Jean Beauté, Pour une charte de l’enseignement du français dans le second cycle, CP 54, mai 1965.

[21Antoine Prost, Histoire de l’enseignement et de l’éducation, IV : depuis 1930 (Perrin, 2004), p. 307.

[22Cf. Anne-Marie Chartier et Jean Hébrard, op. cit.

[23Cf. Anne-Marie Chartier et Jean Hébrard, op. cit. Le manifeste de Charbonnières par exemple reproche à la dissertation de cultiver « une absence d’engagement personnel, voire de pensée » au détriment d’une expression individuelle

[24BO n°40 du 14 novembre 1968.

[25BO n°9, 27 février 1969.

[26Memento, op. cit.

[27Clémence Cardon Quint, thèse « Lettres pures ou lettres impures ? », Université de Rennes 2, 2010 - version abrégée à paraître aux Presses universitaires de Rennes courant 2014.

[28Clémence Cardon Quint, thèse « Lettres pures ou lettres impures ? », Université de Rennes 2, 2010 - version abrégée à paraître aux Presses universitaires de Rennes courant 2014.

[29BO n°20, 16 mai 1968.

[30BO n°46, 9 décembre 1971.

[31BO n°45, 14 décembre 1978.

[32Le choix entre résumé et analyse déconcertait les élèves, sommés par ailleurs de choisir eux-mêmes dans le texte de départ le problème à traiter en discussion : « La grande diversité des pratiques pédagogiques ren(d) indispensable une définition aussi stricte que possible des épreuves. La précision des règles accroît la valeur formatrice des exercices préparatoires. (…) Elle contribue à libérer les candidats d’un sentiment décourageant d’incertitude et d’insécurité. ». Note de service 83-245 du 27 juin 1983.

[33BO n° 42 du 28 novembre 1968, n° 1 du 1er janvier 1970, n° 45 du 14 décembre 1978.

[34BO n°40 du 28 octobre 1971.

[35BO n° 45 du 14 décembre 1978.

[36La section lettres premier cycle de l’IPN organisa un colloque national « Linguistique et pédagogie » en juin 1970.

[38Circulaire du 19 septembre 1968.

[39Les « documents d’accompagnement » des programmes de 1995 seront plus limpides dans le déni du savoir grammatical : « Former un élève susceptible de réfléchir plutôt que de reconnaître (…) face à un phénomène grammatical ».

[40Brochure CNDP n°6092 : Français, langues anciennes, classes des collèges.

[41Cf. Note 10.

[42Dans un collège du Calvados (à Douvres-la-Délivrande), un texte libre abusivement sorti de la classe avait en 1971 provoqué de vives attaques de la droite et une campagne de presse hystérique et calomnieuse (Clémence Cardon-Quint, op. cit., p. 833-837), preuve que l’enseignement du français ne pourrait jamais plus, après 1968, s’extraire du jugement public non informé ni de la nasse politique.

[43Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Héritiers (1964), Conclusion.

[44C’est l’esprit du Code orthographique et grammatical de René Thimonnier paru en 1968 et couronné en 1970 par l’Académie française. L’ouvrage propose en appendice un « projet d’émondage orthographique » qui tient en 13 lignes et que l’auteur commente ainsi : « Mais si cet émondage est particulièrement propre à faciliter la tâche de l’élève et celle du pédagogue, on ne saurait oublier qu’un enseignement raisonné [sic] de l’orthographe reste, en définitive, le plus sûr moyen de remédier à la crise orthographique. »

[45Enseignement de l’orthographe dans les écoles et les collèges, BO 25 du 30 juin 1977.

[46Ainsi qualifié dans le BO 21 du 25 mai 1972

[47Voir l’effondrement de ces horaires sur http://www.sauv.net/horcoll.php

[49BO 22 bis du 9 juin 1977.

[50Clémence Cardon-Quint, op. cit., p. 1097.

[51Le Français aujourd’hui, n°39, septembre 1977.

[52Voir supra (notes 24, 25, 28 à 35) les instructions parues entre 1968 et 1983, qui définissent très précisément les exigences de raisonnement et de présentation organisée de la réflexion, dans les exercices des épreuves anticipées du baccalauréat.

[53Le terme « argumentation » est ambigu ; ici il s’agit de celle que définit Chaïm Perelman, qui fonde les arguments sur des jugements de valeur et « une logique du vraisemblable » (Violaine Houdart-Mérot, op. cit.)

[54Arrêté du 14 novembre 1985, Supplément au BO 44 du 12 décembre 1985.

[55« Si la série de programmes publiés entre 1977 et 1981 s’était explicitement fait l’écho de la diversité sociale du public scolaire et de ses conséquences pédagogiques, les deux séries ultérieures – 1985–1988 et 1995–2001 – marquèrent, de ce point de vue, un retour en arrière. La notion de différence d’origine sociale céda de plus en plus souvent la place à celle d’“hétérogénéité”, terme désignant et englobant tout à la fois des différences sociales, ethniques, d’aptitude, d’âge, de genre, etc. Quand il était encore fait mention de la diversité sociale des élèves, ce n’était plus dans le bloc des textes officiels mais dans les documents annexes, et non réglementaires, que sont les “compléments”, rebaptisés ensuite “documents d’accompagnement”. Ce double glissement tendait à minorer l’influence de l’origine sociale dans les performances scolaires des élèves en français, influence pourtant toujours avérée dans les évaluations nationales et internationales. », Clémence Cardon-Quint, (2010) : L’enseignement du français à l’épreuve de la démocratisation (1959–2001), Paedagogica Historica : International Journal of the History of Education, 46:1-2, 133-148.

[56Les « Orientations et objectifs » incitent toutefois le professeur à « aller plus loin » : « seul l’exigible est fixé par les programmes. Ce serait toutefois une démarche réductrice, lorsqu’il apparaît que les efforts de l’élève lui permettent d’aller plus loin, de n’enseigner que ce qu’on doit exiger ». Généreuse indication, mais bien illusoire en l’absence de support horaire suffisant...

[57On reconnaît là le reproche obsessionnel fait à l’école : l’« inflation des savoirs » ou « l’encyclopédisme des connaissances »

[58Voir le site de Sauver les lettres, Évolution des horaires au collège, 1972-2002, http://www.sauv.net/horcoll.php

[59Sauver les lettres, des professeurs accusent, Textuel, 2001, p. 27.

[60BO n° spécial 4, 31 août 1989.

[61Voir note 6.

[62Antoine Prost, Du changement dans l’école, Les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours, Seuil, 2013, p.161.

[63BO 5 du 30 janvier 1997, Français, accompagnement des programmes, cycle central 5e-4e.

[64BO 5 du 30 janvier 1997

[65Sur le plan théorique, aller du général au particulier caractérise un discours scientifique exposant un système constitué. Le problème est que cet ordre des matières ne peut être perçu avec profit que par des récepteurs qualifiés, formés à l’abstraction.

[66Ces programmes suspectent en effet le savoir grammatical réputé obsolète et primaire : « Grammaire. Elle peut également jouer un rôle essentiel dans la production et la compréhension de la phrase si elle cesse de multiplier et de disperser ses notions et les regroupe autour d’un nombre limité d’axes essentiels comme la détermination, la qualification, la complémentation. Elle trouve logiquement ses limites lorsque se posent des questions liées au texte. » (Accompagnement des programmes de 6e)

[67À l’inverse, Descartes prônait (en sciences, certes) une méthode analytique qui part d’éléments simples et distinctement identifiés pour construire progressivement une connaissance claire selon l’ordre des raisons…

[68Michel Buttet, Luc Richer, "Le français sans l’apprendre - Les programmes du français au collège", in Les programmes scolaires au piquet, Textuel, 2006, p. 54

[69Op. cit. p. 61.

[70BO 5 du 30 janvier 1997, Accompagnement du programme de 3e.

[71L’École ou la guerre civile, Philippe Meirieu, Marc Guiraud, Plon, 1997, p. 96.

[72Arrêté du 23 avril 1985.

[74Arrêté du 22 février 1995

[75Katherine Weinland, in L’École des lettres second cycle, 1er décembre 1999

[76Ibidem

[78C’est ce qu’explique Marcel Gauchet dans "L’école en panne de transmission" (entretien à Marianne,16 mars 2014) : « En fait, force est de découvrir que les familles sont plus fortes que l’école, au final. Ce sont elles qui installent plus que jamais le bagage fondamental des élèves. Ce sont elles, en particulier, qui posent les bases de l’usage du langage. Celles-ci, qui sont décisives, relèvent d’une transmission typiquement familiale dans le cadre d’interactions informelles. Le défi qui nous est lancé est de donner à l’école les moyens de faire ce que les familles font très inégalement, de manière à corriger ces handicaps initiaux. »

[79Voir des analyses plus complètes par Michel Buttet, "Le français à l’école primaire" - in Les programmes scolaires au piquet, Textuel, 2006.

[80Pour la comparaison complète des contenus : Étude de la langue à l’école élémentaire 1985-2002, http://www.sauv.net/prim_langue.htm

[81Arrêté du 14 mars 1986.

[82Note de service du 27 juin 1983.

[83Ces programmes larges et rigoureux vont susciter de grandes collections par siècles, évinçant les « Lagarde et Michard » dans une conception renouvelée soucieuse de favoriser la mise en perspective historique et la lecture méthodique des textes, par exemple « Itinéraires littéraires » de Hatier et « Littérature » de Henri Mitterand chez Nathan.

[84BO 10 du 28 juillet 1994.

[85Bilan des Epreuves Anticipées de Français au baccalauréat, Académie de Rouen (septembre 1996).

[86Professeur de littérature à Paris-III Sorbonne Nouvelle, titulaire d’une chaire d’études françaises à l’université d’Oxford. Il était le président du Groupe technique disciplinaire (GTD) de lettres, devenu en 2000 Groupe d’experts chargé des programmes.

[87CNDP, 2001. Préface.

[88BO 26 du 28 juin 2001..

[89D’autant plus qu’il a fallu quatre BO successifs, entre 1999 et 2001, pour parvenir à une rédaction des programmes. Une première version (Ecole des lettres second cycle n°2, 1999-2000) indiquait : « L’enseignement du français au lycée a pour objet l’étude de discours verbaux et non verbaux. » Voir Agnès Joste, Contre-expertise d’une trahison – La réforme du français au lycée, Mille et une Nuits, 2002.

[90Ces outils d’analyse peuvent se révéler féconds quand ils servent à questionner le texte. Mais en situation scolaire ils servent le plus souvent de grille universelle à remplir mécaniquement, sans prise en compte des silences, polysémies, ambiguïtés etc. qui font la richesse d’un texte littéraire et permettent d’asseoir un travail d’interprétation.

[91La littérature en péril, Flammarion (2007), p. 19.

[92Texte complet accessible à ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/syst/igen/rapports/francais_seconde_03.pdf, et extraits commentés sur http://www.sauv.net/igen200310.php/

[93Ibid.

[94Ibid.

[95Alain Boissinot, Perspectives actuelles de l’enseignement du français, note 15 p. 37

[96Cf. note 86.

[97BO 26 du 28 juin 2001.

[98Annales zéro, CNDP 4e trimestre 2001.

[99On n’est pas loin des sujets qui désolaient Jules Vallès enfant sommé de faire parler Thémistocle, ou de celui cité par Violaine Houdart-Mérot (op. cit.) : « Lettre de Rotrou à un de ses amis de Rouen pour lui raconter la première du Cid » Paris, 1884.

[100Lire ici une critique succincte de ce sujet : http://www.sauv.net/ctrc.php?id=713

[101Documents d’accompagnement, CNDP, 2001, p. 21.

[102Directeur de l’INRP à cette date, puis directeur de l’IUFM de Lyon, et depuis 2006 professeur en sciences de l’éducation à l’université Louis-Lumière de Lyon.

[103Rapport d’étape du comité d’organisation, 28 avril 1998, http://www.sauv.net/rapport_meirieu.htm

[104En gras dans le texte original.

[105Philippe Meirieu, L’École ou la guerre civile (1997)

[106Voir note 13.

[107Voir note 64.

[108Le Français aujourd’hui, Supplément au n°39, septembre 1977, p. 50.

[109Dans cette perspective « efficace », la langue n’est rien d’autre qu’un support de communication. On notera cet exercice de manuel : « Formulez à l’aide d’un télégramme bref la déclaration de Solal à Ariane, dans Belle du Seigneur. » (Nathan).

[110Faire lire, A. Viala, M.P. Schmitt, Didier, 1979, p. 205.

[111BO HS 3 du 19 juin 2008.

[113Cf. note 116.

[114Nouveaux horaires du primaire : encore moins d’école. http://www.sauv.net/fx071001.php /par Xavier Darcos

[116Une nouvelle enquête atteste la baisse du niveau des élèves en fin de CM2, Le Monde du 28.03.08 : « Nouvel élément à l’appui de la "baisse du niveau" scolaire : qu’il s’agisse de la lecture, du calcul ou plus encore de l’orthographe, une "note d’alerte" , émanant des services statistiques du ministère de l’éducation et dont Le Monde a pu prendre connaissance, conclut à une baisse importante des performances des élèves en fin de CM2 entre 1987 et 2007. (…) Ces résultats recoupent ceux d’une autre étude comparative, publiée en 2007 par Danièle Manesse et Danièle Cogis (Orthographe : à qui la faute ?, éditions ESF). Ces universitaires, en reprenant à l’identique une précédente enquête de 1987, avaient établi qu’en vingt ans le niveau orthographique avait pris un retard de deux années scolaires : les performances en orthographe grammaticale d’une classe de cinquième de 2005 étaient celles d’une classe de CM2 de 1987. »

[117Les éléments de ce développement (le texte complet est consultable ici : http://www.sauv.net/progcollege2008.php) sont empruntés à Luc Richer, co-auteur de "Le français sans l’apprendre - Les programmes du français au collège", in Les programmes scolaires au piquet, Textuel, 2006

[118En 1976, un élève qui sortait du collège avait reçu 2800 heures d’enseignement du français depuis son entrée au cours préparatoire. En 2004, il en a reçu 2000, soit 800 de moins. Voir http://www.sauv.net/horaires.php et http://www.sauv.net/horcomp.pdf

[119Voir Les compétences générales des élèves en fin de collège, ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/dpd/noteeval/eva0409.pdf : 15 % des élèves maîtrisent très mal les connaissances attendues, 60 % en ont acquis une partie, 25 % seulement la totalité fixée.

[120Orthographe : les collégiens de cinquième sont tombés au niveau des élèves de CM2 de 1987, Le Monde du 09.02.07.

[121Le Débat n°135, mai-août 2005.

[122Voir Plaidoyer pour l’abolition de la question, http://www.sauv.net/questioneaf.php

[123Clémence Cardon-Quint, op. cit., pp. 1136 à 1141.

[125Proposition de recommandation du Parlement européen et du Conseil sur les compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie, [p 1 à 14] (novembre 2005), directement inspirée des recommandations publiées par l’E.R.T. (Table ronde des industriels européens) en 1995 : " L’éducation doit être considérée comme un service rendu au monde économique "

[126Cf Le socle commun ou la connaissance pilotée par l’économie, http://www.sauv.net/socle.php

[127Ancien directeur du FMI, gouverneur honoraire de la Banque de France.

[128Le sursaut, Vers une nouvelle croissance pour la France, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapportspublics/044000498/index.shtml (2004)

[129Ministère de l’Éducation nationale, Direction des lycées et Collèges, Bureau des innovations pédagogiques, 1989, 80 + XXXII P.

[130L’École ou la guerre civile, p.78.

[131Cf. note 107.

[132Au Forum des États généraux de l’écologie politique, 16 juin 2001.

[133Le Débat n°71, septembre-octobre 1992.

[134Gérard Genette, Fiction et diction, Paris, Le Seuil, 1991.