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L’enseignement de la géographie : une histoire

jeudi 12 juin 2014, par Pascal Clerc

Depuis quand enseigne-t-on la géographie en France ? Poser cette question semble délicat car l’histoire scolaire de ce savoir est sans doute aussi ancienne que l’histoire de l’éducation.

Sans remonter trop loin, signalons par exemple les travaux de Dainville [1] sur la géographie des Jésuites, qui attestent de pratiques d’enseignement intégrant des savoirs géographiques dès le XVIe siècle. Plus généralement, dans l’ensemble des collèges d’Ancien Régime, géographie et histoire sont régulièrement mobilisées pour l’étude des textes de l’Antiquité sans que l’on puisse parler pour autant de discipline scolaire.

Hors l’anachronisme (la notion de discipline pour désigner des matières d’enseignemen [2] ne se développe qu’entre les deux Guerres mondiales), cette notion est fort utile pour évaluer l’importance et le statut des savoirs enseignés. Antoine Prost [3] caractérise une discipline scolaire par des contenus, des exercices, des procédures d’évaluation, des finalités et des enseignants. La géographie scolaire évolue vers une forme disciplinaire à partir des premières décennies du XIXe siècle et peut être considérée comme une discipline à part entière (je reviendrais plus loin sur la question du couplage avec l’histoire) à partir des programmes de 1852 [4]. Cela permet au passage de remettre en cause la vulgate, paresseusement reproduite, d’un enseignement mis en place à la suite de la guerre entre la France et la Prusse en 1870 et fondée prioritairement sur des finalités nationalistes.

En centrant le propos sur l’histoire de la discipline scolaire, c’est une période qui s’ouvre au début du XIXe siècle qui est au centre des analyses qui suivent.

Quelques jalons

Rappelons d’abord les principales étapes de la structuration de la géographie scolaire :

- Dans le décret sur les écoles primaires du 17 novembre 1794, des éléments de géographie figurent dans le programme. Cela ne signifie pas pour autant que la géographie soit réellement enseignée ; l’enquête diligentée par Guizot en 1833 montre que seuls 11% des maîtres enseignent la géographie.

- En 1802, pour l’enseignement secondaire, géographie et histoire font partie (sans plus de précisions) des contenus à enseigner. Dans les années qui suivent, les deux savoirs sont toujours mentionnés dans les textes mais les configurations varient un peu ; en général, ces variations concernent la géographie qui apparaît tantôt comme une « sous-discipline » (ou une « co-discipline ») associée à l’histoire, tantôt comme une composante du cursus d’histoire. Déjà, on le voit, se pose la question des relations entre la géographie et l’histoire dans le champ scolaire.

- Avec l’arrêté du 15 mars 1818, la fonction de professeur d’histoire-géographie est créée pour les collèges. C’est un acte décisif : une identité professionnelle commence à se construire.

- En 1831, cette identité est renforcée par la création d’une agrégation d’histoire-géographie (masculine bien sûr !).

- En 1840, la place de la géographie et de l’histoire dans les épreuves du baccalauréat, bien vague jusque là, est précisée : cent questions d’histoire et cinquante questions de géographie sont à étudier.

- À partir du milieu du siècle et plus encore avec la loi d’avril 1867, la géographie devient – elle le restera – une matière obligatoire pour l’enseignement primaire.

- Le premier programme autonome et détaillé de géographie est publié en 1852. Il concerne toutes les classes de la 8ème à la classe de rhétorique.

- Après la suppression de l’essentiel des heures affectées à l’enseignement de la géographie entre 1865 et 1867 (mais les programmes subsistent ; il s’agira pour les élèves d’apprendre, « par cœur », à la maison), les textes officiels de 1872 marquent le retour d’un enseignement de la discipline. Depuis cette date, jamais plus jusqu’à aujourd’hui cet enseignement n’a été remis en question à l’échelle de l’ensemble des cursus primaire et secondaire.

C’est aussi dans cette période, les dernières décennies du XIXe siècle, qu’une architecture d’ensemble des programmes est fixée. Elle l’est pour longtemps, presque un siècle. Pratiques, contenus et logiques discursives se stabilisent autour d’un modèle d’ensemble qui associe enseignements de géographie générale et de géographie régionale puis, à l’échelle des programmes, des plans à tiroirs au sein desquels se succèdent géographie physique puis géographie humaine.

Ces équilibres sont rompus à partir des années 1970 pour le primaire et 1980 pour le secondaire. Interrogations sur les finalités, nouvelles propositions pédagogiques, intégration des mutations paradigmatiques de la science géographique dans les programmes viennent bousculer (non sans difficultés et résistances) une géographie scolaire routinisée. La réforme de l’agrégation de géographie en 2002 apparaît comme un symbole majeur des évolutions en cours. Ce concours était le dernier bastion d’une science codifiée par les héritiers de Vidal de la Blache autour du triptyque géographie physique, géographie générale, géographie régionale. La nouvelle configuration en développant la dimension épistémologique et en supprimant l’épreuve écrite de géographique physique valide, au plus haut niveau symbolique, le développement d’approches réflexives et d’une géographie affirmée comme une science sociale.

Une discipline modeste

La géographie est une servante. Assujettie d’abord, aux côtés de l’histoire, à l’étude des textes anciens grecs et latins, elle change de maître lorsque l’histoire s’émancipe au début du XIXe siècle et devient un enseignement à part entière. La géographie est un outil, un moyen de repérage que l’on peut comparer à la chronologie : cette dernière permet de situer les actions de l’histoire dans le temps, la géographie le fait pour l’espace.
Ce statut en fait une discipline modeste et en définit à la fois les pratiques et les contenus.

Pour les pratiques, la référence dominante est alors la mémorisation ; il en reste peut-être quelque chose aujourd’hui. Bien sûr ce n’est pas spécifique à cette discipline : tous les enseignements font traditionnellement une large place à la mémorisation au sein d’une conception de la pédagogie basée sur le teaching plus que sur le learning. Mais, il semble que dans ce cas, la mémorisation soit la pratique unique comme le note Jean Antoine Lettrone, inspecteur général des études en 1825 : « La géographie est en très grande partie du domaine exclusif de la mémoire. » Pour cela, des méthodes mnémotechniques sont inventées dès la fin du XVIIIe siècle. La méthode catéchétique est la plus ancienne ; elle repose sur un système de questions/réponses [5]. Comme par exemple dans l’Abrégé de la géographie de Crozat, un ouvrage conseillé pour les lycées en 1803 : « D. [demande] Quelles sont les bornes de l’Europe ? R. [réponse] L’Europe est bornée au nord par la mer Glaciale, au levant par la Russie asiatique, le Don ou le Tanaïs, et par la mer Noire ; au midi par la mer Méditerranée, et au couchant par le grand Océan. » [6] Une autre méthode, très utilisée tout au long du XIXe siècle, associe le texte et la carte : « circuler » sur la carte permettant d’apprendre la nomenclature et de fixer les caractéristiques des lieux [7]. C’est ce que propose le géographe Edme Mentelle [8] avec une pratique concentrique de découverte d’entités spatiales : on part de Bourges puis on élargit au département du Cher, puis à un petit groupe de départements du centre de la France et ainsi de suite jusqu’au monde entier. À chaque niveau scalaire, le but est de mémoriser de la manière la plus exhaustive possible des informations factuelles sur l’entité spatiale.

De cette pratique dominante découlent donc la nature et le type de connaissances à acquérir. L’inventaire des formes de la terre et plus encore la nomenclature cartographique en constituent le cœur. Ainsi, au fil des manuels scolaires et des cahiers d’élèves, se succèdent des litanies de caps, de sommets, de cours d’eau… Pourtant, les auteurs de propositions didactiques et plus largement tous ceux qui s’intéressent à l’enseignement géographique condamnent vivement cette nomenclature, qu’ils qualifient toujours de « sèche » ou « aride » ; ces condamnations traversent tout le XIXe siècle et se prolongent au siècle suivant. Mais ceux qui vouent aux gémonies la nomenclature peinent à dépasser cette forme discursive, peut-être parce qu’il n’y a alors pas d’alternative dans le champ des savoirs de références, mais aussi parce que ces pratiques participent d’un système d’une grande cohérence associant une conception transmissive de l’apprentissage à des procédures d’évaluation fondée sur la restitution des savoirs mémorisées.

Dans ces conditions, nul besoin de réfléchir pour apprendre la géographie : elle « ne demande que des yeux et de la mémoire : ce qu’elle nous présente est réel et sensible, il n’est besoin ni de réflexion, ni de raisonnement pour le saisir » et l’auteur de ces mots, le géographe Buache de la Neuville (1772), de conclure que « toute personne même un enfant en est capable. » [9] On pourrait multiplier à l’envi les citations qui disent la place très modeste des savoirs géographiques dans la hiérarchie des sciences. Impossible alors de ne pas faire le lien avec le contexte contemporain et le graphique du « système des disciplines » élaboré par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron [10] : en 1970, la géographie est (de très loin) la discipline choisie par les étudiants issus de classes sociales peu favorisées et par ceux – ce sont souvent les mêmes dans un système qui pas plus qu’aujourd’hui ne réussit à atténuer les inégalités sociales – qui ont réussi le baccalauréat sans mention ; à l’opposé par exemple de la philosophie, discipline noble choisie par les meilleurs bacheliers et ceux qui sont issus des milieux les plus favorisés. Dans d’autres travaux, Bourdieu prendra position contre la géographie, science qui n’aurait pas lieu d’exister, confinée dans l’étude de détails particuliers, sans possibilité théorique.

C’est parce que la géographie se mémorise plus qu’elle ne se comprend que sa place dans les cursus est fragile jusqu’aux années 1870. En effet, s’il n’y a rien à comprendre, il n’y a rien à expliquer. Il suffit de quelques bons livres et d’un peu de travail ; cela peut se faire à la maison. Par conséquent, comme le fit le Ministre Duruy en 1865, il est très simple de suspendre l’enseignement tout en maintenant la discipline dans les programmes. La géographie apparaît comme une marge de manœuvre pour le législateur lorsqu’il s’agit de renforcer un enseignement ou de faire de la place à une discipline nouvelle.

Ces constats éclairent-ils la situation contemporaine de la géographie ? La sociologie des étudiants en géographie a-t-elle changé depuis les travaux de Bourdieu et Passeron ? S’il semble délicat d’établir des relations trop directes, il apparaît assez clairement que les représentations de la géographie dans le grand public (qui peuvent influer sur les programmes comme on l’a vu avec les programmes pour le primaire de 2008) [11] empruntent quelques traits à cette histoire : de la nomenclature, des données chiffrées, des connaissances factuelles que l’on peut caricaturer facilement (Connaissez-vous la capitale de la Mongolie ?) à travers les questions de jeux télévisés ou radiophoniques. Par contre, du côté des savoirs scientifiques, peut-être pour faire oublier la réputation de discipline modeste mais surtout parce les questions spatiales et sociétales sont aujourd’hui au cœur de la discipline, les géographes ont multiplié dans leurs écrits, les références aux savoirs des économistes, des anthropologues, des sociologues, des architectes ou des philosophes.

Au sein de l’association avec l’histoire – située selon Bourdieu et Passeron assez haut dans la hiérarchie des disciplines – la géographie reste sur tous les plans ou presque, le parent pauvre.

Une affaire de couple

Histoire-géographie, « histoire-géo » le plus souvent. Le couple disciplinaire est ancien, naturalisé par les ans, comme une évidence. Personne aujourd’hui ne songe vraiment à contester cette association, ni même à en examiner vraiment la hiérarchie implicite. Pourtant, un travail de déconstruction semble nécessaire pour prendre quelque distance avec l’évidence, pour analyser à nouveaux frais ce binôme disciplinaire.

Dès 1802, dans la « Loi générale sur l’Instruction publique » géographie et histoire sont associées. La création de la fonction de professeur d’histoire-géographie, l’association des disciplines au baccalauréat et à l’agrégation, ainsi que les textes programmatiques vont renforcer et indurer cette association.

Pourtant, d’autres possibles existèrent pour ce qui concerne les associations disciplinaires. On peut les rappeler rapidement. Comme le souligne de Dainville, dans les collèges jésuites la géographie pouvait être associée certes à l’histoire, mais aussi à la théologie, aux mathématiques et à la physique. À plusieurs reprises au cours du XIXe siècle, alors même que l’association avec l’histoire s’installe, Fourcroy sous le Consulat en 1803, puis le savant et publiciste Jules Duval en 1863 [12] et encore Émile Levasseur en 1872 [13] plaident pour un rapprochement avec l’économie politique. Puis au tournant du XXe siècle, de nouvelles turbulences, les plus sévères peut-être, affectent le couple histoire-géographie. La question est posée d’une autonomisation de la géographie ou d’un lien renforcé avec les sciences naturelles. Rivalités, cultures scientifiques et stratégies personnelles se mêlent. Une nouvelle articulation avec les sciences naturelles est suggérée par le géographe Albert Demangeon (pour l’enseignement primaire) en 1903 et les conférences de 1905 associent dans le même cycle, sciences naturelles et géographie, avec apparemment l’assentiment des historiens universitaires [14] . Dans Le Volume, une publication destinée aux instituteurs et institutrices, Demangeon écrit sans détour que « l’union de l’histoire et de la géographie est un legs du passé » et parle d’une « émigration nécessaire » vers les sciences naturelles [15]. Ce déplacement avait un sens si l’on se réfère au paradigme naturaliste de la géographie d’alors mais c’était sans compter sur le poids des traditions ; la révolution initiée par Demangeon et les autres géographes universitaires fait long feu. Aujourd’hui, je l’ai dit, les désirs de séparation semblent éteints. Les seules évolutions possibles semblent renvoyer à l’intégration de l’histoire-géographie dans un enseignement de sciences sociales pour le secondaire, évolution promue régulièrement depuis les années 1980, mais vigoureusement combattue par les associations professionnelles.

Au sein du couple, histoire et géographie n’ont pas le même poids. Cette hiérarchie est fondée sur une ancienne tradition qui déborde le cadre scolaire. Ortelius la résume en une formule souvent reprise : la géographie est l’« œil de l’histoire » [16]. Mise à son service, elle l’éclaire notamment par des cartes. Jean-Marc Besse voit, dans cet usage historien de la géographie, une réponse aux exigences venues de l’Antiquité et relatives à la construction de la preuve historique : pour asseoir cette preuve, il faut rendre visible, palpable le discours de l’historien. Ainsi la fonction de la géographie relativement à l’histoire est précisée ; elle lui donne une visibilité, elle l’ancre dans un espace, elle signifie la réalité d’un temps. Cette conception est reprise tout au long du XIXe siècle dans les textes officiels. Elle installe la représentation d’une discipline « concrète », directement accessible, pour laquelle les cartes, les photographies, les descriptions ne seraient que des fragments du réel [17].

Ce mode de relation entre les deux domaines de savoirs que sont la géographie et l’histoire est transposé dans le cadre scolaire. Ce sont les mots qui souvent trahissent la hiérarchie et la sujétion d’un savoir à l’autre. Par exemple, dans le texte même qui institue la fonction d’enseignant d’histoire et de géographie en 1818, ce dernier est aussitôt qualifié de « professeur d’histoire ». On pourrait encore signaler l’ordre d’énonciation des deux disciplines dans le champ scolaire (pourquoi histoire avant géographie ?) et ses nombreux avatars sémantiques jusqu’à aujourd’hui. Que ce soit avec les questions du baccalauréat ou le volume horaire dans les programmes, l’histoire l’emporte traditionnellement sur la géographie sur le plan quantitatif ; en général, le rapport horaire est de deux pour un en faveur de l’histoire jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. La situation évolue en théorie avec les programmes vichystes et un strict équilibre est affiché depuis. Mais l’institution doit régulièrement rappeler la règle ce qui semble l’aveu de pratiques différentes. Une enquête du milieu des années 1990 corroborée par des analyses que j’ai conduites quelques années plus tard montrent qu’environ 60% du temps d’enseignement était alors consacré à l’histoire. Rien n’indique que la situation ait changé depuis.

Mais l’association avec l’histoire présente un avantage considérable pour la géographie scolaire : elle la protège. En effet, sans cette association, on peut imaginer que la géographie aurait disparu des cursus. Mais l’histoire a ses lettres de noblesse et jusqu’au sommet de la sphère politique, personne ne songe à remettre en cause son enseignement. La géographie en profite. D’autres sciences sociales, la sociologie ou l’anthropologie par exemple, n’ont pas cette chance.

Le tableau du monde

Presque sans aucune discontinuité depuis le début du XIXe siècle, la culture scolaire en géographie est fondée sur la transmission de savoirs factuels relatifs à des fragments de l’espace mondial. On peut établir un parallèle avec les programmes d’histoire et l’enseignement de « périodes » subdivisées en éléments parfois thématiques mais toujours chronologisés. Ainsi, la France, l’Afrique, les États-Unis ou l’Europe sont enseignés. Le choix de ces quelques exemples est significatif : les découpages prioritaires sont étatiques ou continentaux.

Ainsi, c’est un tableau (non exhaustif) du monde qui est proposé. Dit autrement le monde est parcouru à trois reprises de l’école primaire au lycée en passant par le collège, presque de manière identique : un ensemble de trois continents (Afrique, Asie et Amérique), l’Europe (sans la France), la France puis quelques puissances. La France, parlons-en. Comme dans nombre de pays où la géographie est enseignée, le territoire national est une référence. Chez nous, l’enseignement du territoire français est depuis 1852 (et jusqu’à aujourd’hui) l’objet d’étude du programme de 1ère qui, rappelons-le signifiait alors la fin des études secondaires : l’étude de la France comme couronnement d’un cursus.

Reste la question spécifique des programmes des classes de 6ème et de 2nde. Ce dernier, pendant l’essentiel des deux siècles de géographie scolaire, est un véritable programme de géographie générale. Il reproduit d’abord les grands découpages de la géographie, notamment jusqu’en 1981 [18], la division entre géographie physique et géographie humaine élaborée par les post-vidaliens, avant de se décliner de manière plus problématisée. Pour la classe de 6ème, la situation est différente. Seule une partie du programme relève de la géographie générale, le reste présente un espace, l’espace mondial. Ainsi la presque totalité des programmes de géographie de l’enseignement primaire et secondaire a comme projet plus ou moins explicite de couvrir le monde. Au sein de l’étude de ces fragments de l’espace mondial, la logique d’enseignement ne varie guère et reproduit assez fidèlement le plan canonique établi par les élèves de Vidal de la Blache : d’abord la géographie physique, elle-même subdivisé en géographie des reliefs, des climats, parfois des eaux, des sols et de la végétation, puis la géographie humaine avec la population, un catalogue des activités (agricoles, industrielles et tertiaires, parfois une approche des réseaux de transport et l’étude des espaces urbains et ruraux), enfin des études de géographie régionale.

Bien sûr, à l’intérieur de ce cadre, les choses bougent en fonction des évolutions paradigmatiques de la science de référence, des transformations du monde et des attentes de l’institution. Ainsi Michel Hagnerelle et Isabelle Lefort [19] ont montré comment, au sein du programme de la classe de 1ère, les articulations entre l’espace français et l’Europe ont changé au fil du temps, en particulier à partir de 1982 avec des références plus englobantes, d’échelle européenne, pour l’étude du territoire français. Mais le principe de l’étude de fragments de l’espace mondial n’est pas remis en question.

De 1905 jusqu’aux années 1980, cette architecture générale est déclinée dans un ordre immuable, [20] exception faite d’un jeu de chaises musicales avec le programme de 1943 ce qui ne change en réalité pas grand chose d’autant que ce programme est remis en cause dès la fin de la guerre. On peut établir un lien avec la stabilité du paradigme vidalien, que les programmes reproduisent à leur manière. On peut aussi noter la faiblesse des interrogations épistémologiques majeures relativement à l’enseignement de la géographie. Les débats, nombreux notamment au sein de l’Association des Professeurs d’Histoire-Géographie, ne me semble pas concerner d’autres questions que celles des contenus, de choix techniques, de connaissances factuelles… Il n’y a pas d’interrogation de fond sur les finalités disciplinaires par exemple. Il faut attendre les années 1970 et un contexte mêlant remises en causes des pratiques pédagogiques et mutation paradigmatique de la géographie pour que les équilibres d’ensemble soient modifiées et les certitudes ébranlées [21].

Des finalités variables

Pourquoi enseigner la géographie ? Question fondamentale qui paraît pourtant plus vive à certaines époques qu’à d’autres. Au tout début du XIXe siècle, en France, lorsque les premiers programmes de géographie de l’enseignement secondaire sont publiés, les finalités ne sont pas clairement définies. Mais il s’agit principalement de mémoriser des informations afin de constituer le substrat qui éclairera les lieux de l’histoire : savoir où les choses se sont passées, à la manière dont l’apprentissage de la chronologie permettrait de « fixer » l’ordre des évènements du passé. La géographie est un préliminaire, un ensemble de connaissances à mémoriser ; elle sert à donner des repères.

La situation évolue vers le milieu du siècle. En 1854, Eugène Cortambert (1805-1881), professeur de géographie et auteur d’ouvrages de vulgarisation, compare le poids respectif de la géographie et de l’histoire dans les cursus [22]. Il se réjouit de la mise en œuvre de nouveaux programmes (ils ont été publiés en 1852 et pour la première fois la géographie y occupe une place importante). Cortambert plaide pour que la discipline ait « son rôle propre, ses fonctions indépendantes », bref qu’elle ne soit plus annexée à l’histoire. À ses yeux, la géographie « met tout à sa vraie place ; elle donne des idées justes sur les rapports des peuples, et, nous enseignant les points d’où nous pouvons tirer les objets de nos besoins, ceux vers lesquels nous devons diriger les produits de nos arts, elle devient la règle des relations sociales qui lient les peuples entre eux. » C’est déjà un programme pour l’action dans le monde que propose Cortambert ; il présente la géographie comme un ensemble de savoirs susceptibles de fournir aux hommes les renseignements nécessaires à l’organisation sociale et à la mise en valeur de la terre.

On a souvent associé la période de la guerre franco-prussienne à la naissance d’un enseignement géographique en France ce qui nous l’avons vu est faux ; on l’a associé aussi au développement de finalités patriotiques ce qui mérite d’être nuancé. Une lecture centrée sur le temps court des évènements donne l’illusion d’une rupture brutale avec la mobilisation des savoirs géographiques au service de la patrie. Rappelons quelques faits. En septembre 1870, le philosophe Jules Simon est nommé ministre de l’Instruction Publique. La guerre est engagée depuis peu mais c’est déjà la déroute pour les armées françaises. Simon s’appuie sur ces circonstances pour promouvoir une réforme. La géographie fait partie de ses préoccupations ; elle est mentionnée parmi les disciplines qu’il faut connaître pour espérer un jour sauver la patrie. C’est pour cette raison qu’il commande un rapport sur l’enseignement de l’histoire et de la géographie. Diffusé en septembre 1871, ce rapport est le point de départ d’une transformation des programmes et instructions relatifs à l’enseignement géographique. La même scène ou presque sera rejouée en 1940 lorsque le gouvernement de Vichy présente l’enseignement géographique comme nécessaire au redressement national [23].

Mais une autre lecture est possible, nécessaire même, qui nuance fortement cet ancrage patriotique de la géographie. Pour cela, il faut prendre un pas de temps plus large. En 1863, l’historien Victor Duruy rejoint le Ministère de l’Instruction Publique. Sa conviction des nécessités d’un enseignement utile et préparant mieux aux exigences de la vie active rejoint les préoccupations des libéraux du Second Empire, ce qu’Émile Levasseur [24] énoncera de manière limpide dans L’étude et l’enseignement de la géographie (1872) : « La terre est le domaine de l’homme ; il faut que l’homme connaisse son domaine pour en jouir et le mettre en valeur ; la géographie a pour objet de le lui apprendre. » C’est justement Levasseur qui est choisi par Duruy pour mettre en œuvre de nouveaux programmes en 1866 dans le cadre de la création d’un enseignement secondaire spécial ; c’est lui encore qui produit le rapport commandé par Jules Simon [25] ; et c’est toujours lui qui dirige la réforme des programmes de 1872. Au-delà des seules préoccupations patriotiques, il va promouvoir alors un enseignement géographique plus connecté avec le monde, plus utile. Et pour cela, la géographie historique et géographie administrative sont réduites à quelques chapitres tandis que la géographie physique et surtout la géographie économique sont largement développées.

Vers la fin du siècle, dans un contexte de compétition coloniale, l’impératif d’une éducation géographique va s’imposer encore plus nettement. De plus en plus de géographes mettent en avant le lien entre l’acquisition de connaissances et le poids de la France dans le monde. Sous la plume de Charles Zévort [26] notamment, la géographie devient une discipline du renseignement qui, en permettant de mieux connaître les ressources et les activités des pays concurrents, oriente la stratégie nationale dans le monde. Ainsi des élèves ayant acquis ces connaissances pourront, dans leur carrière professionnelle, agir au mieux en fonction des intérêts du pays. Les propos de Zévort suggère un autre regard sur les finalités disciplinaires : l’amour de la patrie et la dimension utilitaire ne sont pas incompatibles.

Après la Seconde Guerre mondiale, les finalités disciplinaires vont progressivement évoluer vers un projet de compréhension. L’idée d’expliquer cet ensemble complexe qu’est le monde apparaît avec les instructions officielles du 4 mai 1955 : « Localiser, décrire, expliquer, comparer les paysages et les genres de vie humains, à la surface de la terre, tel est le rôle de la géographie. » En 1972, une circulaire ministérielle présente l’enseignement géographique comme une « initiation au monde moderne » ; il est aussi question de citoyenneté et de préparation à la vie adulte. En 1982, la présentation des nouveaux programmes du secondaire commence par ses mots : « L’enseignement de l’histoire et de la géographie dans les lycées est orienté essentiellement vers la compréhension du monde actuel. » Le projet est cette fois précisément énoncé et même si les mots utilisés changeront quelque peu, même si d’autres finalités viendront s’ajouter à celle-là, comprendre le monde devient bien un des buts essentiels, souvent le plus important, de l’enseignement géographique de l’école primaire au lycée. Les programmes actuellement en vigueur ne dérogent pas à cette règle : « L’histoire et la géographie (…) apportent aux élèves les outils conceptuels nécessaires à la compréhension du monde actuel (école primaire), « développer chez les élèves la connaissance du monde qui les entoure [et] leur fournir les éléments et les outils nécessaires à sa compréhension » (collège), « Les programmes d’histoire et de géographie permettent la compréhension du monde contemporain » (lycée, classe de seconde) ou encore l’histoire-géographie fournit « des clés de compréhension du monde contemporain » (lycée, cycle terminal).

Nous en sommes là avec ce projet à la fois vertigineux par son ambition et trop peu explicité pour ne pas risquer de se réduire à une formule creuse. Deux questions méritent d’être posées avec insistance : que signifie comprendre le monde contemporain et comment s’y prendre pour y parvenir avec des enfants et des adolescents ?

La première question renvoie à un projet de citoyenneté, un grand mot encore. Il s’agirait de comprendre par le biais d’une approche spatiale, l’organisation du monde contemporain à toutes les échelles. Lier cela à la citoyenneté pose la question des prises sur ce monde, des moyens d’y agir pour le changer ou plus modestement le conserver. La seconde question, celle des méthodes, a été au cœur de la réflexion didactique des années 1980 et 1990. Aujourd’hui, cette réflexion semble moins active, peut-être parce que de nouvelles pratiques ont été intégrées et sont naturellement développées par les jeunes enseignants, peut-être aussi – c’est la version pessimiste – parce que les exercices canoniques que sont le brevet des collèges et le baccalauréat rendent la réflexion vaine tant les logiques de reproduction, de récitation l’emportent sur le projet de compréhension. Ainsi les élèves de terminale apprennent aujourd’hui « par cœur » un ensemble de cartes dont l’une sera reproduite le jour de l’épreuve.

Vers un changement (radical) ?

Ce rapide parcours à travers l’histoire de la géographie scolaire permet d’associer à cette dernière au moins trois autres variables : la science de référence, la demande sociale et la pédagogie. Toutes les trois agissent sur la discipline scolaire à travers les contenus, les finalités et les pratiques d’enseignement. Chaque variable est associée prioritairement, mais pas exclusivement, à une dimension de la géographie scolaire ; par exemple la science de référence à l’évolution des contenus. Ce sont des combinaisons complexes des évolutions paradigmatiques de la science géographique, des évolutions de la demande sociale et des évolutions de la pédagogie et de la didactique, qui modifient la discipline. À l’échelle des vingt ou trente dernières années, les évolutions ont été importantes, mais inégalement pour ce qui concerne ces trois variables : une demande sociale et des propositions pédagogiques modifiées par la massification notamment, et surtout une rupture paradigmatique majeure dans la science géographique.

Sans que cela fasse grand bruit, ces évolutions sont en train de transformer la géographie scolaire ou plus précisément, les programmes scolaires en géographie. Il s’agit du passage d’un enseignement de fragments du monde à celui d’ensembles de concepts. Engagée en classe de seconde sur la base d’une problématisation du contenu de géographie générale, elle gagne progressivement tous les niveaux : concept d’habiter en 6ème, développement durable en 5ème, mondialisation en 4ème, développement durable de nouveau en seconde et encore mondialisation en Terminale. Il convient bien sûr de nuancer : les programmes des classes de 3ème, de 1ère et partiellement de Terminale (notamment les classes d’examen, ce n’est pas un hasard) reposent encore en partie sur l’étude de fragments du monde mais l’essentiel a basculé du côté d’une approche plus conceptuelle. Si l’on s’en tient à la lecture des programmes sur la longue durée, c’est une rupture majeure après deux siècles ou presque de tableau du monde. Reste à voir comment, à moyen terme, cette évolution susceptible de transformer à la fois les pratiques d’enseignement et les modalités d’évaluation, sera assimilée par un système éducatif aux capacités de résilience maintes fois prouvées.


[1François de Dainville, L’éducation des jésuites (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, Minuit, 1978.

[2tAndré Chervel, « L’histoire des disciplines scolaires. Réflexions sur un domaine de recherche », Histoire de l’éducation, n°38, 1988, p. 59-119.

[3Antoine Prost, « Un couple scolaire », EspacesTemps, n°66-67, 1998, p. 55-64.

[4L’analyse des programmes scolaires et des commentaires officiels relatifs à l’enseignement de la géographie est rendue possible par le travail fondamental de Philippe Marchand qui a rassemblé et commenté l’ensemble des textes officiels : Philippe Marchand, L’histoire et la géographie dans l’enseignement secondaire. Textes officiels. Tome 1 : 1795-1914, Paris, INRP, 2000.

[5Jean-Pierre Chevalier, « La Leçon de géographie, un tableau peint par Girodet en 1803 », Mappemonde, n°80, 2005, p.1-9.

[6A. Le François, Abrégé de la géographie de Crozat, par demandes et par réponses… précédé d’un traité de la sphère, Paris, Veuve Fournier, 1810.

[7Voir sur ce point les développements proposés par Jean-Marc Besse, Face au monde. Atlas, jardins, géoramas, Paris, Desclée de Brouwer, 2003.

[8Voir notamment Daniel Nordman et Marie-Vic Ozouf-Marignier (dir.), Le territoire (1) Réalités et représentations, dans Bonin, S. et Langlois, C. « Atlas de la Révolution Française », Paris, Éditions de l’EHESS, 1989.

[9Cité par Hélène Blais et Isabelle Laboulais (dir.), Géographies plurielles. Les sciences géographiques au moment de l’émergence des sciences humaines (1750-1850), Paris, L’Harmattan, 2006, p. 24.

[10Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Les éditions de Minuit, 1970.

[11Voir Pascal Clerc et Micheline Roumégous, « Le président, les « spécialistes » et la géographie (contribution au débat sur les programmes de l’école primaire) », Cybergéo, http://cybergeo.revues.org/index20403.html

[12Le 1er mai 1863, dans une séance publique de la Société de Géographie de Paris (SGP), il présente une réflexion intitulée « Des rapports entre la géographie et l’économie politique ». Le texte dans sa version longue, une centaine de pages, est publié en deux parties dans le bulletin de la SGP : Bulletin de la société de géographie, 5ème série, tome VI, 1863, p. 169-250 et p. 307-325.

[13Émile Levasseur, L’étude et l’enseignement de la géographie, Paris, Delagrave, 1872.

[14Voir Marie-Claire Robic, « Le fardeau du professeur », EspacesTemps, n° 68-69-70, 1998, p. 158-170 et Hélène Gispert et al., Science et enseignement. L’exemple de la grande réforme des programmes du lycée au début du XXe siècle, Lyon / Paris, INRP et Vuibert, 2007.

[15Le Volume, n°1, octobre 1903, p. 30-31.

[16Dans le Theatrum orbis terrarum, 1581, cité par Jean-Marc Besse, 2003, op. cit

[17Voir Olivier Orain, De plain pied dans le monde. Écriture et réalisme dans la géographie française du XXe siècle, L’Harmattan, 2009.

[18Pascal Clerc « Quelle géographie générale pour la classe de seconde ? » L’information géographique, n°4, 1996, p.167-175.

[19Michel Hagnerelle et Isabelle Lefort, « La géographie de la France en classe de première : évolution des programmes depuis la fin du XIXe siècle », Revue IREHG, n°5, 1998, p. 23-34.

[20Isabelle Lefort, « Deux siècles de géographie scolaire », EspacesTemps, n°66-67, 1998, p. 146-164.

[21Dans Didactique de la géographie. Enjeux, résistances, innovations, Rennes, PUR, 2002, Micheline Roumégous montre comment ces remises en cause prennent forme dans l’enseignement primaire.

[22Eugène Cortambert, « Parallèle de la géographie et de l’histoire », Bulletin de la société de géographie de Paris, Tome 7, janvier-juin, 1854, p. 220-229.

[23Jean-Pierre Chevalier, "Éducation géographique et Révolution nationale. La géographie scolaire au temps de Vichy", Histoire de l’éducation, n°113, 2007, p. 69-101.

[24Sur Levasseur, voir Pascal Clerc, « Émile Levasseur, un libéral en géographie », L’Espace Géographique, n°1, 2007, p. 79-92.

[25Associé au spécialiste de géographie historique Louis-Auguste Himly.

[26Alors Directeur de l’enseignement secondaire.

Messages

  • Cher collègue,
    Le GRIP travaille à la rédaction de programmes de géographie pour le primaire depuis 2011.
    Voici la brève synthèse que j’ai rédigée, à partir d’une bibliographie en partie proche de la vôtre, pour lancer ces travaux.

    BRÈVE HISTOIRE DE LA GÉOGRAPHIE SCOLAIRE
    A - Naissance de l’enseignement de la géographie

    - Cadre légal
    La loi du 28 mars 1833 (Guizot) prescrit l’enseignement des « éléments de l’histoire et de la géographie, surtout de l’histoire et de la géographie de la France. »
    La loi du 15 mars 1850 ( Falloux) inscrit la géographie, comme l’histoire et les sciences, parmi les matières facultatives.
    La loi du 10 avril 1867 (Victor Duruy) en fait une matière obligatoire au cours moyen.
    Après la défaite de 1870 ( « Le désastre n’est-il pas le résultat des retards de notre système éducatif et particulièrement de l’indifférence pour les études géographiques ? »), Jules Simon charge les géographes Charles Levasseur et Auguste Himly d’un rapport sur l’enseignement de la géographie, rapport qui aboutit à la constitution d’une géographie scolaire dotée d’horaires et de programmes précis.
    La loi du 20 mars 1882 (Jules Ferry) étend l’enseignement de la géographie à tous les niveaux en précisant : « la géographie, particulièrement celle de la France. »

    - Pédagogie.
    L’abbé Gaultier (1783-1818), par ailleurs introducteur en France de l’enseignement mutuel lancastérien, est un des fondateurs de l’enseignement de la géographie. Essentiellement nomenclaturale et de mémoire (énumérer et retenir toutes les villes traversées par un cours d’eau ; réciter toutes les villes-étapes et les pays traversés lors d’un grand voyage etc.), elle repose sur les
    cartes et ne fait aucune part à l’observation directe.
    À noter que Pestalozzi (1746 -1827) développait un point de vue différent avec une pédagogie fondée sur l’observation des choses (phénomènes astronomiques, accidents de terrain, milieu proche) et une progression par intuition et comparaison, allant du familier au lointain : de la flaque à la rivière, puis à la mer ; de la maison à l’école et au village, du village à la route et à la
    ville etc.
    C’est d’ailleurs cette conception qui va s’imposer dans la première période de l’Instruction
    publique, comme l’explique Gabriel Compayré : « Le point de départ de l’enseignement géographique est assurément dans l’étude de la géographie locale. Entre l’ancien système, qui étudiait d’abord le globe, qui « commençait par où l’on doit finir », comme disait le Père Girard, et la nouvelle méthode, qui part du village ou de la ville que l’on habite pour s’étendre de proche en proche et embrasser peu à peu la terre entière, notre choix ne peut hésiter. »

    - Représentations de l’espace.
    Le XIXe siècle connaît aussi une inflexion considérable dans la représentation de l’espace : jusqu’au milieu du siècle en effet, c’est le bassin versant des fleuves qui est considéré comme l’élément structurant et non le relief (pour la France, cela conduit à structurer le territoire en bassins en fonction de la mer ou de l’océan où se jettent les fleuves). Sous l’influence des géographes
    comme Levasseur, Foncin ou Vidal de la Blache, cette représentation cède progressivement le pas à la cartographie familière aux écoliers du XXe siècle où les reliefs symbolisés par des teintes différentes, des plaines aux plateaux, aux chaînes et aux sommets, sont les éléments structurants.

    B - La géographie de l’Instruction publique : 1887-1969
    Rejet de l’enseignement nomenclatural et de l’enseignement par les mots, méthode intuitive et enseignement par les choses, c’est dans ce cadre général de la pédagogie buissonnienne que s’inscrit dès ses débuts la géographie scolaire de l’Instruction publique.
    Les orientations prises par la géographie des géographes s’y prêtent d’ailleurs bien : si la géographie de Foncin - qui est malgré tout l’auteur le plus vendu à la fin du XIXe siècle - est encore une géographie d’inventaire ( productions, richesses, subdivisions administratives), c’est l’école vidalienne ( monographies locales débouchant sur des connaissances générales et une causalité
    « possibiliste ») qui s’impose à l’école.
    Priorité donc à l’étude locale qui permet d’acquérir les outils (échelle, courbes de niveau) et le vocabulaire géographique ( fleuve, rivière, baie, cap, colline, montagne etc.), puis par extension conduit à l’étude du territoire national et à celle du monde. Dans cet enseignement « de base », la géographie physique est toujours première, mais les aspects humains, économiques et la géographie générale, de même que la géographie scientifique (astronomie) sont intégrés à la progression.
    Du point de vue pédagogique encore, une place centrale est donnée à la carte : « La carte n’est pas seulement un moyen de représenter les objets à étudier, c’est le seul moyen d’en acquérir une certaine notion, la condition sans laquelle on n’aura jamais que des mots dans la mémoire et non des idées dans la tête. » Buisson. À noter que l’on demande aux élèves de dessiner les cartes de
    mémoire, en les y aidant par la simplification géométrique (map drawing) dont l’hexagone français est un exemple.
    D’autre part, l’observation directe des fait géographiques (classes promenades) est recommandée. À partir de 1936, sous l’impulsion du géographe Max Sorre, nommé directeur de l’enseignement primaire par Jean Zay, l’enseignement s’oriente vers une géographie du paysage qui prolonge plutôt qu’elle ne modifie les fondamentaux vidaliens.
    Une fois refermée la parenthèse du « petit pays » de Vichy et son localisme idéologique, l’enseignement géographique reprend le même cours jusqu’au début des années soixante-dix.
    Voir plus loin pour les évolutions des programmes, somme toute mineures, de 1923 à 1969.

    C- La rupture des années soixante-dix : l’éveil
    Voir d’une part l’arrêté du 7 août 1969
    http://eduscol.education.fr/cid48402/arrete-du-7-aout-1969.html
    qui attendra huit années ( IO de 1977-78) pour entrer dans les faits.
    D’autre part
    http://www.samuelhuet.com/paid/43-melanges/727-g-belbenoit-reflexions-profane-eveil
    Noter les deux passages de ce dernier document qui à eux seuls rendent compte de l’engloutissement du continent vidalien et de tout enseignement structuré et progressif de la géographie.

    « - Depuis l’arrêté du 7 août 1969, je le rappelle, 15 heures sont consacrées aux disciplines " fondamentales ", (on a tendance maintenant à dire plutôt " instrumentales ") : le français et les mathématiques. Il y a, d’autre part, deux blocs de 6 heures, un pour l’éducation physique et sportive, un pour les activités d’éveil - celles, dit le texte initial, qui figuraient autrefois à l’emploi du temps sous les noms d’histoire, géographie, sciences d’observation, travail manuel, musique, dessin, éducation morale et civique. C’est cet ensemble, c’est cela qui constitue les disciplines ou activités d’éveil.... »
    « - Un auditeur
    Y aura-t-il assez de temps à l’école primaire ou dans la scolarité primaire pour pouvoir exercer pleinement cette démarche de l’esprit qui veut qu’on aille d’abord des observations faites par l’enfant pour arriver à la rigueur dont vient de parler Monsieur ?
    M. Belbenoît
    Tout dépend sur quoi porte cette rigueur. Si vous avez déterminé un programme précis de connaissances, fait une liste des sujets à traiter comme en comportent les programmes traditionnels, la réponse est certainement négative. Si en revanche, vous avez formulé vos objectifs en aptitudes, en capacités de manipuler un certain nombre d’outils, de méthodes, de vocabulaires, je crois qu’on peut y arriver. »

    Le fait est qu’on n’y arrivera pas.

    D – Des programmes instables pour un enseignement minoré.
    - Succession d’instructions : 1977-1980, 1984, 1985,1990, 1995, 2002, 2008.

    Cordialement.
    Guy Morel ,secrétaire du GRIP