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Retour sur la réforme du collège (1) Le point de vue de deux enseignants

samedi 12 novembre 2016, par L’équipe du GRDS

Dans le cadre du séminaire "Quels contenus pour une école démocratique ?" organisé par le GRDS (Groupe de Recherche sur la Démocratisation Scolaire) en partenariat avec la Fondation Gabriel Péri, la prochaine séance sera consacrée à un premier examen de l’impact de la réforme du collège, au premier chef de la mise en place des EPI ("enseignements pratiques interdisciplinaires"), sur la transmission des savoirs, le mardi 29 novembre 2016. Elle se tiendra au SNEP, 76 rue des Rondeaux, Paris 20ème (métro Gambetta), de 18h30 à 21h.

Plusieurs enseignants de collège animeront cette séance en faisant part de l’état des lieux dans leur établissement et de leurs réflexions sur le fond.

Nous publions ci-dessous les premières observations de deux d’entre eux, qui enseignent dans des quartiers populaires, le premier professeur d’histoire à Trappes, le second dans un collège de l’ouest.

Nicolas Kaczmarek

"La réforme du collège nous a été présentée comme la réponse aux deux maux expliquant l’échec d’une partie des élèves français :

- l’ennui des élèves face à un enseignement disciplinaire qui ne fait pas sens pour eux et ne suscite pas leur motivation ;

- l’incapacité de l’école à transmettre les méthodes qui sont attendues des élèves pour réussir leur parcours scolaire.

Ce sont les disciplines qui sont accusées de provoquer l’ennui et donc l’échec. Leur remise en cause est générale car elles doivent désormais être au service d’un ensemble d’enseignements transversaux comme le livret de compétences, le parcours citoyen, le parcours culturel, le parcours avenir...

La réponse proposée par la réforme du collège tient en deux aspects :

- introduire des enseignements pratiques (ils doivent aboutir à quelquechose de concret et pas à simplement à l’assimilation de savoirs) et interdisciplinaires (un objet d’étude pris sous l’angle de deux disciplines) ;

- concentrer sur une ou deux heures de cours en classe entière sur le temps d’enseignement d’un ou deux collègues, un accompagnement personnalisé qui vise à transmettre des méthodes de travail transversales.

Pour le premier point, le croisement des disciplines doit susciter la motivation des élèves, voyant que les disciplines entrent en résonance et sont des outils pour comprendre la complexité du monde. Même si ces EPI devaient être menés à bien (ce dont je doute, voyant ce qui se passe dans mon établissement), on constatera que la quête de la motivation de l’élève rate les vraies causes de l’échec scolaire au collège. Bien d’autres raisons empêchent l’investissement attendu des élèves (les lacunes héritées du primaire, les consignes trop implicites, un enseignement basé sur des pré-requis jamais enseignés...)

Quant au second point, on continue d’externaliser la prise en charge de la difficulté en confiant à un collègue la mission de transmettre méthodes et compréhension de l’implicite des cours au lieu de rappeler à chaque enseignant que c’est dans sa classe avec sa discipline que ce travail doit être réalisé de façon permanente surtout avec des élèves éloignés de la culture scolaire. "

Sylvain Marange

La réforme du collège s’installe dans une relative confusion. S’il est vrai que la plupart des enseignants se sont résignés à en appliquer certains pans, aucun d’entre eux ne se montre enthousiaste et rares sont ceux qui lui trouvent quelque avantage.

Les arguments pédagogiques de la réforme, répétés à l’envi par tous les étages de la hiérarchie lors des nombreuses réunions de concertation, sont assez peu contestés, même s’ils ne convainquent pas grand monde. Difficile en effet de s’opposer à des affirmations aussi massues que la nécessité de se montrer bienveillant à l’égard des élèves, de réfléchir à l’évaluation pour en finir avec la constante macabre des mauvaises notes, de mieux communiquer avec les parents, de donner du sens aux enseignements en croisant les regards disciplinaires ou encore de s’intéresser aux multiples façons d’apprendre des élèves. Le discours de l’inspection et des chefs d’établissements commence à être bien rôdé. Il verrouille le débat en n’hésitant pas à jouer sur le ressort de la culpabilisation d’enseignants rendus responsables de tous les maux d’une école inégalitaire, brutale, et ignorante des mécanismes d’apprentissage des élèves.

En pratique, c’est la confusion

Assommés par 20 ans de réforme continuelle, chacun se résout à faire semblant. Le doute domine et nourrit une forme d’insatisfaction professionnelle redoublée.

D’autant plus que certains collègues n’avaient pas encore tous compris que les EPI prendraient sur le temps des enseignements disciplinaires. Certains collègues de langue, de maths ou d’histoire-géo ne voient plus leurs classes que deux fois par semaine contre trois fois auparavant. Le sentiment d’être perpétuellement en retard prévaut. Surtout sur le niveau troisième et quatrième où le nombre d’heures de cours par semaine a considérablement diminué dans notre collège de REP qui bénéficiait il y a peu encore de compléments horaires au titre de la difficulté scolaire.

Le co-enseignement mis en place dans le cadre de l’accompagnement personnalisé (AP) et des enseignements pratiques interdisciplinaire (EPI) vire le plus souvent à une répartition inégale des tâches : l’un enseigne, l’autre accompagne voire observe, quand il ne corrige pas des copies pour s’avancer. Lorsque l’un des deux enseignants est absent pour cause de formation par exemple, le deuxième peut se trouver complètement démuni. Ainsi telle collègue d’anglais devant animer un « EPI arts » en l’absence de l’enseignante d’arts plastiques.

L’AP donne lieu aussi parfois à des dédoublements. Cette réalité est toujours vécue comme une occasion d’alléger les effectifs mais en aucun cas comme le cadre par excellence de la différenciation pédagogique, ainsi que le ministère l’a conçu.

La mise en œuvre des nouveaux programmes sur tous les niveaux donne lieu à beaucoup de réinvestissement d’anciens cours par manque de temps pour tout revisiter, et par manque de formation pour en appréhender les enjeux. Le programme d’EMC qui devait impliquer de nouvelles mises en œuvre pédagogiques (débats réglés, dilemmes moraux, discussions à visée philosophique) est le plus souvent traité comme l’ancien programme d’éducation civique.

Les formations à la réforme se poursuivent en cette rentrée 2016 avec le volet numérique. Mais elles paraissent inadaptées aux yeux du plus grand nombre. L’ennui et les tensions qu’elle génèrent alimentent la grande lassitude qui est en train de s’emparer de la profession. Aucune de ces formations n’aura permis de réellement clarifier les enjeux de la réforme.

L’overdose de compétences

Beaucoup d’enseignants ne parviennent pas à passer le cap de l’approche par compétences et continuent à enseigner « comme avant ». Soit par incompréhension de ce que l’institution attend réellement d’eux, soit par refus, soit le plus souvent, par mélange des deux. Il faut dire que le Ministère qui avait annoncé la mort du Livret Personnel de Compétences (LPC) de 2006 et de ses 98 items, a validé des programmes qui comportent plus de 160 « compétences à travailler » pour le cycle 3 et plus de 250 pour le cycle 4 ! L’absence de mode d’emploi et le renvoi au local des solutions pour traiter cette inflation d’items conduit certains enseignants à multiplier les évaluations et à inventer des tableaux immenses et relativement illisibles pour les consigner.

La saisie des évaluations par compétences sur l’espace numérique de travail (ENT) donne lieu à des pratiques extrêmement disparates (d’un établissement à l’autre évidemment, mais y compris au sein d’un même établissement).

La plupart des logiciels dont sont équipés les établissements imposent de raisonner à partir des domaines de compétences (les 5 domaines du socle) et de les décliner ensuite en micro-compétences alors que le conseil supérieur des programmes avait affirmé que chaque discipline devait contribuer à la construction des 5 domaines de compétences ce qui impliquerait de partir du travail mené dans chaque matière et de fonder sur lui la validation des domaines de socle.

De nombreuses directions d’établissements commencent à prendre conscience, à l’approche des premiers conseils de classes et des réunions parents-professeurs qui s’ensuivront, que le dispositif de production des bulletins trimestriels n’est pas prêt. Beaucoup d’enseignants n’ont pas encore commencé à évaluer par compétences alors que les bulletins remis aux familles comporteront une rubrique « compétences travaillées », et que le diplôme national du brevet (DNB) ne sera délivré qu’aux élèves ayant validé le socle qui ne s’évalue que par compétences...

Pour conclure, les enseignants appréhendent davantage la réforme comme un dérèglement professionnel que comme une transformation progressiste de l’école. La possibilité d’une alternance politique en 2017 renforce le sentiment d’inutilité de sa mise en œuvre, et par voie de conséquence les risques psycho-sociaux liés à l’exercice du métier. On commence à constater des arrêts maladies en série dans certains collèges de l’académie.