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Plus de notes en primaire ?

Pourquoi nous ne signerons pas l’appel de l’AFEV

samedi 20 novembre 2010, par L’équipe du GRDS

À première vue l’appel de l’AFEV [1] pour la suppression des notes dans l’enseignement élémentaire ne peut que susciter l’adhésion des partisans de la démocratisation scolaire.

Le GRDS est à l’initiative de l’Appel des 50 chercheurs pour une grande réforme démocratique de l’école, lequel prône « la mise en cause de la structuration concurrentielle du système éducatif, où la compétition entre établissements amplifie la compétition, sévère et précoce, entre élèves et entre catégories sociales, et où l’évaluation est moins formative que classificatoire ».

Nous proposons quant à nous la mise en place d’une « école commune » qui s’étaye notamment de la conviction qu’il n’est nul besoin de compétition pour apprendre ; et du constat, validé par de multiples recherches, que la mise en concurrence des élèves est au cœur de la production des inégalités scolaires.

Comment dans ces conditions pourrions-nous ne pas approuver ces observations de l’AFEV :

« La culture de la note est encore très présente dans l’école française, historiquement tournée vers la sélection. Si ce modèle répondait aux exigences d’un système élitiste avant la massification scolaire, il apparaît aujourd’hui en total décalage avec l’objectif d’élévation globale du niveau d’étude. L’obsession du classement à laquelle il répond crée, dès l’école élémentaire, une très forte pression scolaire et stigmatise des élèves qu’il enferme progressivement dans une spirale d’échec. Démotivantes, les mauvaises notes sont vécues comme une sanction et n’apportent en rien les clés d’une possible progression » ?

Et comment pourrions-nous nous désolidariser des arguments avancés par Daniel Pennac à l’appui de sa signature de l’appel de l’AFEV :

« Je préfère infiniment l’entraide entre les enfants que l’écrasement des nuls par les forts. Si on colle des notes, les gosses entrent dans cette compétition-là qui consiste à avoir les meilleures, et surtout ne pas vouloir partager les moyens du savoir, ni les moyens du faire savoir, avec les autres. En revanche, partout où j’ai vu les enfants s’entraider dans l’effort des apprentissages, les plus habiles aidant les plus inhibés, non seulement j’ai assisté chez les premiers à une joie du partage (partage du savoir, de la confiance en soi) et chez les seconds à des progrès spectaculaires, mais les uns et les autres créaient une atmosphère d’effervescence et de curiosité intellectuelle qui les rendait tous heureux d’aller à l’école. Voilà ma pédagogie préférée : la dynamique des bons élèves doit profiter absolument à ceux qui sont au départ, pour toutes sortes de raisons, inhibés par l’école » ?

Et pourtant, nous ne signerons pas cet appel.

Puisque nous sommes d’accord avec l’objectif, pourquoi ne pas soutenir l’entreprise ? Même si nous pensons qu’il s’agit d’une mesure limitée qui nous laisse loin encore de l’école commune, c’est un pas dans la bonne direction, et un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

Le problème, c’est qu’il s’agit non seulement d’une mesure partielle, mais d’une mesure profondément ambivalente, d’une mesure qui a toutes chances, appliquée isolément, de se retourner contre sa finalité revendiquée – permettre l’amélioration des apprentissages et donc favoriser la démocratisation de l’accès aux savoirs.

Rappelons-nous l’exemple du redoublement. Cette pratique est dénoncée depuis très longtemps par les chercheurs, qui ont abondamment démontré sa nocivité, particulièrement dans le primaire : à valeur scolaire identique, les élèves qui passent dans la classe supérieure progressent plus vite que ceux qui redoublent, lesquels non seulement apprennent peu mais se voient stigmatisés, découragés, meurtris.

Pourtant il ne suffit pas de supprimer le redoublement pour résoudre les problèmes d’apprentissage des élèves concernés. C’est de bon sens, et les politiques scolaires depuis le ministère Chevènement en ont apporté la preuve la plus irréfutable : le taux des redoublements a considérablement diminué, et jamais les écarts entre les acquisitions scolaires au niveau du collège entre les bons élèves et les autres n’ont été si grands. Une mesure de clémence envers les élèves en difficulté, qu’on évite de décourager, qu’on stigmatise moins, s’est avérée parfaitement compatible avec une accentuation des inégalités.

Supprimer le redoublement, en soi, masque le problème posé sans le résoudre. Il en irait de même des notes : à s’en tenir là, supprimer les notes masquerait le problème posé sans le résoudre. C’est d’ailleurs déjà pour une part ce qui se passe. Bien des professeurs de l’école élémentaire partagent l’indignation dont l’appel de l’AFEV fait état : « Alors que la confiance en soi est indispensable à la réussite scolaire, les conséquences [de la pratique de notation] sur les élèves en difficulté sont désastreuses : fissuration de l’estime de soi, absence de valorisation de leurs compétences, détérioration des relations familiales et, à terme, souffrance scolaire ». Ils manifestent la plus grande aménité à l’égard des élève en difficulté et évitent tout ce qui pourrait les stigmatiser, remplacent les notes par des lettres, ne publient aucun classement, et rappellent volontiers que l’erreur est humaine. Les élèves qui n’apprennent pas peuvent ainsi en arriver à oublier qu’ils n’apprennent pas, ou se sentent encouragés à croire que les choses finiront miraculeusement par s’améliorer et que tout ça n’est pas si grave.

On le sait, les bienfaits de cet humanisme n’ont qu’un temps. L’arrivée au collège fait voler les masques en éclats. Le rappel à la réalité d’apprentissages ratés est alors particulièrement douloureux et suscite, de façon compréhensible, d’amères et parfois furieuses réactions. Devenue intenable, la situation suscite de nouveaux humanismes, qui souhaitent désormais aménager le collège unique. Celui-ci ne serait plus (ou plus seulement !) l’antichambre du lycée, mais une institution tolérante pour tous les publics qu’elle accueille, y compris pour ceux qui n’aiment ni le français ni les maths, et à qui on offre les savoirs minimum du socle commun.

Ces humanismes-là ne sont pas les nôtres. Nous ne voulons pas aménager une école injuste dont la seule ambition démocratique serait d’assurer une employabilité minimum à des élèves en difficulté que l’on ne ferait pas trop souffrir et qui ne troubleraient pas trop la paix des établissements. La volonté des familles et les exigences de la vie sociale aujourd’hui dessinent une toute autre perspective, celle d’études longues pour tous et du plus large partage des savoirs.

C’est cette perspective que nous avons adoptée pour notre part. Sa mise en œuvre passe bien par la suppression des notes et le remplacement de la concurrence par la coopération entre élèves, pas seulement d’ailleurs à l’école élémentaire, mais aussi dans l’enseignement secondaire. Mais en les accompagnant indissociablement d’une réforme d’ensemble des structures de l’institution scolaire, des parcours des élèves, des dispositifs pédagogiques, de la formation des maîtres, à défaut de quoi la suppression des notes aura inévitablement des effets contraires à ceux qu’elle voudrait servir.

Si cette proposition de suppression des notes dans le primaire est aussi vaine que nous le pensons, c’est ce qu’elle révèle par elle-même et dans l’amplification médiatique dont elle a bénéficié qui mérite d’être interrogé. Elle manifeste d’abord une différenciation primaire/secondaire là encore très « mainstream » : dans le primaire il faut être gentil avec les enfants pour les aider à grandir, dans le secondaire on passe aux choses sérieuses. C’est le caractère crucial des apprentissages élémentaires qui est ainsi passé à l’as (au moins pour les enfants des « quartiers »). D’autre part dans un contexte où l’on sent monter la conscience que l’heure est à une véritable refondation du système éducatif, et non à une mesure de plus visant à consoler les perdants, cette proposition ne joue-t-elle pas, quelles qu’aient pu être les intentions de ses promoteurs et signataires, un rôle de contre-feu ?

Il reste que l’appel de l’AFEV aura eu au moins le mérite de stimuler le débat sur l’avenir démocratique de l’école. Le GRDS est prêt à y participer, et souhaite que les enseignants dans leur masse y prennent leur part. La transformation de leur métier n’est-elle pas engagée dans tout projet de suppression des notes ?


[1Association de la fondation étudiante pour la ville, regroupant des jeunes bénévoles investis dans l’accompagnement scolaire.

Messages

    • Remplacer les notes par des lettres ou des croix, des points et croire que l’impact serait moins important sur les élèves c’est se leurrer voire même de l’hypocrisie (il suffit de voir leur réaction, elle est strictement la même : se comparer, se classer). Le problème est bien dans l’évaluation en soi, dans le système scolaire tel qu’il est fait et qui conduit aussi les parents à être en attente de résultats et les enseignants à répondre à ces attentes.

  • Abolir les évaluations pour pouvoir proclamer que tous les élèves sont égaux à et devant l’école est une véritable fumisterie et ceux qui prétendent que l’on peut appréhender le travail ou le comportement d’un élève sans jugement de valeur des escrocs intellectuels, plus experts en idéologie qu’en pédagogie.
    Depuis plus de 20 ans, en gros depuis l’objectif de 80% d’une classe d’âge au niveau bac, on ne cesse de baisser encore et encore les exigences envers les élèves : plus de classement et de liste des prix, plus de bons points, plus de punitions, plus de devoirs à la maison et son corrélat, plus de travaux de mémorisation de récitation, la dictée est devenue une activité suspecte tout comme la pratique du calcul mental, etc.
    Malgré cette politique du "toujours moins", le fossé entre "bons" élèves (issus selon vous des milieux favorisés) et "mauvais" élèves (issus des couches sociales défavorisés) ne cesse de se creuser, il serait temps de remettre le système en cause. On n’a jamais fait plus avec moins. Dire que l’évaluation est responsable de l’anxiété des enfants face au savoir et donc responsable de leur échec scolaire est une macabre farce. A force de vider les cours de leurs contenus, les enfants n’apprennent plus rien à l’école, il acquièrent leurs savoirs hors de l’école, par des leçons privées ou des parents, des clubs de toutes sortes, des abonnements à des magazines, internet. Et qui peut se payer ça ? Les plus favorisés CQFD.
    Je me souviens du temps pas si lointain où j’étais élève en primaire, dans les années 1975- 1980. J’habitais à la campagne, dans un milieu modeste, petits paysans, ouvriers, employés SNCF, quelques enfants d’immigrés algériens, italiens ou espagnols qui ne parlaient pas français à la maison, seuls deux de mes petits camarades étaient nettement plus "aisés" que les autres, ils allaient, luxe suprême, aux sports d’hiver. C’était là leur seule différence avec nous, qu’on leur faisait payer en se moquant de leur bronzage. C’était vraiment la seule différence entre eux et nous, car nous avions la chance d’avoir un vieux maître à l’ancienne, un des derniers hussards noirs de la République qui exigeait beaucoup de nous, et peut-être encore plus des plus pauvres parmi nous, persuadé qu’il était que l’éducation nous sortirait de notre condition. En CM2 nous faisions encore des lignes d’écriture, des dictées avec des imparfaits du subjonctif, du calcul mental, on connaissait la longueur de la Loire et où elle prend sa source... On allait au coin , on se faisait gronder devant toute la classe, on recevait des lignes, mais aussi des bons points, des livres en fin d’année pour les meilleurs d’entre nous et surtout un amour sincère et réciproque. Nous n’avons pas tous fait des études supérieures, loin de là, sur la petite vingtaine d’élèves de ma classe d’âge seuls 4 ou 5 ont continué après le bac et je crois être le seul à avoir fait des études de troisième cycle, mais en sortant de l’école primaire, nous savions tous sans exception lire, écrire et compter correctement et tous, sans exception, avons quitté l’école avec une formation professionnelle. La discrimination sociale, je ne la prendrai en pleine figure que des années plus tard, en entrant à hypokhâgne, où je m’étais inscrit sans savoir où je mettais les pieds sur les conseils de ma prof de français, là j’ai très vite compris quel fossé me séparait, moi le petit campagnard des enfants de la bourgeoisie aisée. Bien sûr à 18 ans j’avais lu tout Rimbaud, je comprenais passablement bien Montesquieu et Mallarmé, je connaissais mieux que la plupart de mes condisciples les surréalistes, j’adorais l’histoire, les contorsions intellectuelles auxquelles nous forçaient la philosophie, livresquement et intellectuellement parlant, je tenais la route mais... je n’avais mis qu’une fois les pieds dans un théâtre professionnel (Cyrano avec Jacques Weber et Charlotte de Turckeim à Mogador, mise en scène de Savary, je m’y revois encore), 2 fois au Louvre mais sans être capable de mesurer la valeur artistique de ce que je voyais, je n’avais jamais franchi la porte de l’opéra, d’une salle de concert classique, d’un club de jazz, je n’avais jamais bu de cocktail, je n’avais jamais visité Rome, Barcelone ou Londres. Mais le pire de tout n’était pas mon ignorance crasse de la culture autre que littéraire, ni même mon incapacité financière à pouvoir y remédier, même maintenant que j’étais en ville, c’était que personne parmi mes camarades ne fasse le moindre geste pour m’aider à combler mes lacunes, je me retrouvais de facto mis au ban du groupe et quiconque est passé par une prépa connaît l’importance je ne dirai pas de la solidarité, mais du travail de groupe pour avoir une chance de survivre dans cette atmosphère particulière de compétition exacerbée. En février, j’ai quitté hypokhâgne pour rejoindre l’université, je n’étais alors pas assez fort pour me faire seul une place dans ce monde étranger et hostile. Cet épisode a été pour moi l’aveu d’échec le plus cuisant de toute ma vie et a ôté toutes les illusions que j’avais sur l’égalité de tous face à l’éducation. La méritocratie est un leurre, pour parvenir il faut lutter, pour lutter il faut des armes et de la discipline, plus on part de bas plus il faut de bonnes armes et de discipline, le système scolaire actuel laxiste à l’excès ne procure ni l’un ni l’autre.

    • Nous nous efforçons d’œuvrer, au GRDS, en faveur d’une véritable démocratisation de l’accès aux savoirs les plus élaborés du monde d’aujourd’hui. Nous sommes donc, tout comme vous, partisans d’une école qui ait des exigences fortes à l’égard de tous ses élèves, si tant il est vrai que l’école ne peut donner beaucoup que si elle exige beaucoup. Nous sommes aussi pour une école qui donne à tous les moyens de surmonter les difficultés des apprentissages, et préserve et développe ainsi l’envie d’apprendre.

      Nos travaux de recherche nous ont convaincus que ces objectifs ne pourraient être atteints qu’à deux grandes conditions : une amélioration forte de l’efficacité des dispositifs pédagogiques en usage dans notre système éducatif ; et une réforme des structures de l’institution scolaire marquée par la mise en place d’un véritable tronc commun et la suppression de la concurrence entre les élèves (je me permets de vous renvoyer sur ces questions aux textes de notre rubrique « Vers l’école commune »).

      C’est ce dernier point qui nous intéresse ici. Nous considérons que l’on peut apprendre, et fournir des efforts intellectuels très exigeants, sans être mis en concurrence : l’entrée des enfants dans le langage, opération très exigeante et qui connaît peu d’échecs, en est sans doute la meilleure démonstration. Les apprentissages intellectuels n’entretiennent aucun lien nécessaire avec notes et classements. Par contre on ne peut apprendre sans évaluation des acquis : les enfants qui apprennent à parler ne cessent de mettre à l’épreuve, dans l’échange verbal avec les adultes, la pertinence de leurs emplois lexicaux et de leurs constructions syntaxiques.

      Les élèves donc n’ont besoin ni d’être notés ni d’être classés mais de la disponibilité d’un adulte plus avancé qu’eux dans l’ordre des savoirs et d’une évaluation qui soit un moment actif de la conduite des apprentissages (rôle qu’à l’évidence le remplissage oui/non des livrets de compétences d’aujourd’hui ne saurait assurer).

      Vous l’avez bien compris : si nous n’avons pas voulu nous joindre à l’appel concernant la suppression des notes dans le primaire, dans ce contexte, c’est bien parce que celle-ci, appliquée isolément, a toutes chances de favoriser une baisse des exigences intellectuelles à l’égard des enfants des classes populaires, et non d’engager une dynamique nouvelle et ambitieuse des apprentissages scolaires