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Inégalités scolaires : penser la domination ou la contradiction ?

lundi 21 octobre 2019

L’Humanité du 10/10/2019 a publié quatre textes en réponse à la question « Quelle enfance et quelle scolarité en fonction des classes sociales ? » Deux retiennent plus particulièrement mon attention, celui de Bernard Lahire et celui de Tristan Poullaouec, pour la clarté avec laquelle ils envisagent l’enjeu fondamental et décisif de la question.
A partir de l’ouvrage qu’il a dirigé (Enfances de classe, au Seuil), Bernard Lahire développe précisément tous les aspects de l’inégalité sociale profonde qui façonne la vie des enfants de grande section de maternelle. Aux deux bouts de l’espace social les conditions de vie matérielles et culturelles s’inversent totalement. Des enfants vivent dans la plus extrême précarité quand d’autres bénéficient de moyens socio-culturels très élevés. Or tous ces enfants âgés de 5 à 6 ans sont aux portes du CP, classe de l’entrée dans le savoir lire, l’écriture et les mathématiques, outils intellectuels décisifs sans lesquels pas grand-chose des apprentissages scolaires n’est possible. Que peuvent alors devenir les enfants des classes populaires qui s’assoient sur les bancs de l’école, étrangers aux « délits d’initiés » dont bénéficient les autres de par leur origine ?

La réponse de Bernard Lahire s’appuie sur la réalité des inégalités socio-culturelles, pour refuser que l’on demande à l’école d’endosser une part significative de responsabilité dans les échecs scolaires des enfants des classes populaires, au motif qu’ils n’ont pas hérité des diverses prédispositions et connivences, jugées nécessaires à la réussite. C’est ce que discute Tristan Poullaouec. Sans nier bien sûr les inégalités profondes et les rapports à l’école inégaux, il entend mettre en avant la réalité de l’éducabilité universelle en s’appuyant sur le fait que l’entrée au CP c’est l’entrée dans l’écrit d’enfants qui sont déjà entrés dans la langue. Or la langue offre à tous les ressources intellectuelles sur lesquelles l’école peut s’appuyer pour construire de l’égalité dans la réussite des apprentissages.

Crucial, ce point est encore trop absent de la réflexion des principaux acteurs. Tristan Poullaouec le dit bien, l’avantage très net des uns n’explique pas l’échec massif des autres. Les autres, les enfants des classes populaires sont eux aussi des êtres de langage. Ils n’ont pas tout ce que les « héritiers » ont au départ, mais ils ont de quoi entrer réellement dans la culture écrite, clé des apprentissages scolaires. Tenir compte sérieusement de cette dimension et la faire vivre sans arrière-pensée, ce n’est pas nier les inégalités de départ, c’est se convaincre des possibilités objectives sur lesquelles on peut s’appuyer pour permettre à tous de s’approprier efficacement les exigences intellectuelles de la culture scolaire, et ainsi, aller jusqu’à éviter la double peine à ceux qui voient les inégalités scolaires s’ajouter pour eux aux inégalités sociales. C’est inscrire la démocratisation scolaire dans un projet réaliste.

Janine Reichstadt