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Vers le lycée unique ? Un entretien entre Bernard Calabuig, José Tovar et Roland Hubert

vendredi 1er avril 2011, par José Tovar

Nous reproduisons ici un débat initié entre les auteurs de "Faites chauffer l’école : principes pour une révolution scolaire" (Syllepse, 2010) et le co-secrétaire général du SNES. Ce texte est déjà paru dans la revue Enjeux Unité et Action.

Dans votre ouvrage, vous proposez un schéma du lycée autour d’un tronc commun sanctionné par un "baccalauréat de culture générale". Pouvez vous préciser cette orientation et indiquer ce qui vous a conduit à chuter sur un tel schéma ?

Bernard Calabuig et José Tovar :
Trois remarques au préalable. Premièrement, notre livre affirme un projet politique. Au travers de la réforme du système éducatif que nous souhaitons et dans le même mouvement est posée la question de la forme de société que nous voulons construire, et de la méthode pour y parvenir. Nous abordons la question scolaire en termes d’émancipation pour tous, et non en termes de gestion immédiatement opérationnelle du réel, ce qui oblige à s’interroger sur l’institution, le sens profond de ses finalités et donc de ses modalités d’organisation et de fonctionnement.
D’autre part, le travail récent de J.- P. Terrail sur l’oralité (La Dispute, 2009) confirme scientifiquement ce qui, jusqu’ici, n’était qu’un parti pris idéologique : tous les enfants, à partir du moment où ils ont appris à parler, disposent des outils intellectuels et cognitifs pour réussir une scolarité normale. Ce qui signifie que si ils n’y parviennent pas, c’est - entre autres raisons - parce que l’école ne sait pas exploiter ces possibilités. Ce constat est opposable à toute idéologie des dons, mais aussi à la théorie du « handicap socio-culturel » déclaré insurmontable, sauf pour quelques individus particulièrement méritants. Il y a une vraie bataille d’information et de formation à mener auprès des personnels de ce point de vue. Ce n’est pas par hasard que le pouvoir a décidé de démanteler l’INRP !
Or, nous faisons un constat : toute l’expérience de notre système éducatif depuis l’adoption des lois Berthoin et Haby (années 50-60) ayant entrainé son unification progressive et la massification des enseignements de second degré montre que la multiplicité des réformes et dispositifs mis en place durant ces cinquante années pour réduire les inégalités et assurer la réussite scolaire de tous sont un échec. La sélection sociale, qui se faisait autrefois à l’entrée dans le système scolaire passe aujourd’hui par l’école, et particulièrement par un système d’orientation résultant d’un processus de distillation progressive conduisant aux voies et filières du lycée.

D’où les trois raisons qui, fondamentalement, expliquent notre position :

Première raison : Si l’on refuse de prendre acte des effets dramatiques que produisent les inégalités sociales et culturelles à l’école en les ignorant ou en les aménageant, il n’y a guère qu’une solution : les supprimer. L’école commune que nous préconisons se fixe comme objectif l’éradication de l’échec scolaire ou, pour le dire au positif, la réussite scolaire de tous les jeunes. Elle procède de la suppression de toute mise en concurrence des élèves et des établissements, et de la mise en place d’un véritable tronc commun dont la fonction principale sera de nourrir tous les élèves d’une culture commune de haut niveau. Autrement dit, elle écarte toute modalité de classement et d’orientation des élèves sur la base de l’échec scolaire.
Cette solution concerne l’ensemble du système éducatif, dès l’école maternelle, parce qu’une entreprise de réussite scolaire de tous les élèves passe nécessairement par une amélioration considérable de l’efficacité des apprentissages fondamentaux dès l’école élémentaire et tout au long de la scolarité obligatoire. Elle concerne également, qu’on le veuille ou pas, le lycée, parce que la très grande majorité des élèves dont la scolarité s’est bien déroulée jusque-là souhaitent, nous le savons bien, poursuivre au lycée un cursus d’enseignement général.

Deuxième raison : Sans entrer dans des explications détaillées qui demanderaient de longs développements, nous avons la conviction que l’ambition d’une transformation émancipatrice de la société par le dépassement de toutes les formes de domination, d’exploitation et d’aliénation passe par l’extension infinie des champs du savoir et de la culture accessible à tous afin que chacun puisse accéder à la compréhension du monde dans lequel il vit, s’épanouir selon ses aspirations propres, quels que soient ses choix professionnels ou intimes. Disant cela, nous ne prétendons pas que le savoir et la culture sont émancipateurs en eux mêmes, mais nous disons par contre qu’il n’y aura pas émancipation sans maîtrise d’un haut niveau de connaissances et de culture.

Enfin, et pour nous en tenir à la question du développement de l’économie et des métiers aujourd’hui, un accroissement continu du poids des connaissances et des compétences dans les activités de travail, l’explosion des savoirs et la révolution informationnelle exigent une formation et une qualification accrues, une formation professionnelle repensée et, de plus en plus, continue « tout au long de la vie » active. Les capacités à analyser, à conceptualiser, à délibérer et à communiquer prennent une dimension décisive dans l’exercice des métiers, y compris manuels. Elles apparaissent de plus en plus comme des qualités essentielles dans une économie en perpétuelle évolution, au point que les connaissances purement techniques acquises au niveau de la formation initiale risquent d’être rapidement caduques si elles ne sont pas régulièrement réactualisées à l’aune de nouvelles exigences. Des métiers nouveaux, à forte exigence de savoirs apparaissent chaque jour, tandis que d’autres disparaissent, et il ne sera plus rare de changer plusieurs fois de métier dans une vie professionnelle.
Ces bouleversements supposent la mise en place d’un système de formation initiale plus riche, faisant plus et mieux appel à une culture générale et technologique démultipliant les ressources intellectuelles des individus, ressources sur lesquelles pourront s’appuyer pour que soient efficientes les adaptations, voire les ruptures, permettant la reconstruction permanente des savoirs professionnels tout au long de la vie. D’où la nécessité de reconsidérer dans un sens plus ambitieux la forme et le contenu de la formation initiale.

Pour toutes ces raisons, nous posons le principe d’une prolongation de l’âge de la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans incluant l’acquisition d’un « haut niveau de culture commune » pour tous les élèves dans le cadre de l’école commune telle que nous la définissons . Du coup, on comprend que la formation professionnelle ne peut venir qu’après cet acquis.

Dernière remarque : nous sommes pour le maintien de la formation initiale comme responsabilité du service public. Il était donc nécessaire de fixer un palier raisonnable permettant, pour ceux qui choisiraient d’entreprendre immédiatement l’apprentissage d’un métier, de le faire sans repousser indéfiniment l’âge d’entrée dans la vie professionnelle.

D’où la proposition de fixer à 17 ans et à la classe de première du lycée le bilan des études généralistes communes à tous, aboutissant au passage d’un « Baccalauréat de culture générale » (dont la forme resterait à définir), la classe de terminale s’organisant ensuite autour d’un choix d’options débouchant sur l’obtention d’un baccalauréat de spécialité, premier palier d’orientation pré-professionnelle permettant aux élèves de choisir en toute connaissance de cause entre une formation professionnelle immédiate (en lycée professionnel) ou des poursuites d’études, courtes (BTS, IUT) ou longues (Universités ; Grandes écoles).

Roland Hubert :
Si nous partageons l’essentiel des analyses sur la situation actuelle et les enjeux d’une réforme ambitieuse du système éducatif, nous divergeons sur les conclusions, ou tout au moins une partie d’entre elles.
Notre projet se fonde sur deux principes : « l’éducabilité » de tous les jeunes d’une génération et la lutte résolue contre le poids des inégalités sociales dans les trajectoires scolaires.
Cela signifie que tous les jeunes doivent pouvoir maitriser, en fin de scolarité ce que l’on appelle la culture commune, ensemble de savoirs, de méthodes et de clés pour comprendre le monde et y agir en citoyen. La complexité du monde d’aujourd’hui et l’élévation du niveau de qualification qu’exige l’évolution générale des métiers impliquent de prendre le temps de l’acquisition de cette culture commune et, en conséquence, de porter la scolarité obligatoire à 18 ans. Outre le fait qu’un tel schéma dégagerait le collège de la pression de l’orientation, il redonnerait au second degré une unité largement mise à mal dans les projets gouvernementaux (avec l’école du socle par exemple).
L’enjeu est donc alors de concevoir un baccalauréat qui tout en restant le premier grade universitaire donnant accès, de droit, à l’enseignement supérieur soit aussi un diplôme dont la valeur et la reconnaissance ne dépende ni du parcours suivi pour l’obtenir ni de l’établissement fréquenté.

Avant d’aborder la question centrale de la structuration du lycée, il importe d’analyser d’une part les facteurs qui, dans sa diversification en 3 voies, produisent l’inégalité et d’autre part ce que cette diversification apporte dans l’acquisition de la culture commune.
Sur le premier point, peut-on se contenter de constater le déséquilibre dans la composition sociale des 3 voies sans se poser la question du devenir des élèves qui les fréquentent et du poids des représentations sociales des savoirs enseignés ? Est-ce parce que la hiérarchie des disciplines perdure dans l’inconscient collectif et dans les stratégies des familles les plus favorisées qu’il faudrait continuer à imposer à tous comme seule entrée une culture légitimée dans laquelle une part importante des jeunes ne se retrouve pas spontanément ? Il ne s’agit pas de renier cette culture mais bien de se poser la question d’y faire entrer tous les jeunes et surtout ceux qui en sont les plus éloignés. A ce titre la réponse à la question des apports de la diversification à la démocratisation est claire : les voies technologiques et professionnelles, parce qu’elles donnent le temps aux élèves de construire dans les disciplines « non générales » le rapport aux savoirs et à la culture indispensable à toute activité scolaire, construction qu’ils ne parvenaient pas à faire dans les disciplines générales.
Réduire le temps dévolu aux disciplines technologiques et professionnelles, temps indispensable pour la mise en œuvre de démarches intellectuelles et de pratiques pédagogiques efficaces, mettrait en difficulté une part importante d’une génération.
La hiérarchie actuelle des voies du lycée est surtout le produit de pratiques sociales fondées sur la hiérarchie des savoirs, des champs de la culture et en conséquence des disciplines, hiérarchie que l’histoire du système a confortée.

Pour résumer, nous pouvons tirer de l’histoire de la diversification deux enseignements importants : on peut parvenir à l’acquisition de mêmes « compétences » (au sens capacité à transférer des savoirs et à les mobiliser dans des situations particulières) par des cheminements différents ou en travaillant sur des objets différents ; l’éparpillement qui conduit à des horaires réduits dans les disciplines est inefficace pour tous ceux qui ne font pas partie de la petite minorité qui entre naturellement et rapidement dans l’activité scolaire et en comprend les enjeux.
Concevoir un tronc commun jusqu’en première est un leurre parce qu’il conduira à un éparpillement des disciplines (sauf à en exclure des éléments de la culture), qu’il ne permet pas réellement la diversité des approches dans une disciplines donnée en s’appuyant sur ce qui est construit dans les disciplines qui structurent aujourd’hui les différentes séries (SES, enseignements technologiques, enseignements artistiques), et enfin qu’il ne permettrait pas plus qu’aujourd’hui de construire une véritable interdisciplinarité au cœur des enseignements disciplinaires.

Dans un tel schéma, les disciplines technologiques et générales semblent exclues. Quelle place leur réservez-vous ?

Bernard Calabuig et José Tovar :
Elles ne sont pas exclues, au contraire ! nous pensons que les savoirs scientifiques et techniques ainsi que ceux issus de l’expérience du travail doivent entrer dans le cadre de la culture générale dont doivent bénéficier tous les élèves, et ce dès le plus jeune âge. Et ce n’est pas là, pour nous, qu’une question de principe : ce n’est qu’ainsi qu’ils pourront être revalorisés dans leur esprit, et que l’on pourra redonner une véritable dignité à certains métiers aujourd’hui fortement dévalorisés.
Cette remarque implique que l’on se penche enfin sérieusement sur ce que devraient être les contenus de ce que nous appelons une « culture commune de haut niveau ». Nous faisons quelques propositions en ce sens dans notre livre.

Roland Hubert :
Elles ne sont pas exclues, certes. Mais dans quelles conditions seraient-elles enseignées et avec quel objectif ? L’opposition que nous avons aujourd’hui avec le ministère à propos de la réforme des séries industrielles et de laboratoire porte justement sur ces questions. Il y a une différence fondamentale entre « donner une coloration technologique » à une culture générale qui ainsi deviendrait plus ouverte et investir ces disciplines pour faire culture. La force des séries technologiques et professionnelles est justement d’avoir su offrir un parcours qui mène à l’acquisition d’une vaste culture par un travail intellectuel exigeant dans les disciplines technologiques à partir de démarches pédagogiques spécifiques qui demandent du temps et par un équilibre avec les disciplines générales pour lesquelles, finalement, les jeunes (re)trouvent une motivation et du sens. Dénaturer les disciplines technologiques comme le fait l’actuel gouvernement, au nom d’une illusoire égalité des parcours, serait un bond en arrière dont les élèves issus de classes populaires seraient les premières victimes. Et tout cela sans vraiment pouvoir atteindre l’objectif d’élargir la culture générale de tous.

Vous placez la classe de terminale comme une propédeutique vers une formation professionnelle ou vers la poursuite d’étude longues. N’est-ce pas un sacré retour en arrière par rapport à une diversification du lycée qui a permis, jusqu’aux années 90 une massification et une certaine démocratisation, du second degré ?

Bernard Calabuig et José Tovar :
Nous ne nions pas cette dimension positive des évolutions du système éducatif ces dernières décennies. Nous disons simplement que ce système a atteint ses limites : S’il a permis une réelle démocratisation des études durant la phase de massification du second degré, il est aujourd’hui en panne, et la droite s ‘appuie sur ses difficultés pour justifier les réformes rétrogrades qu’elle veut imposer. Nous pensons qu’il faut franchir une nouvelle étape de démocratisation : c’est tout le sens de notre proposition.

Qu’est-ce qui vous faire croire qu’un tel schéma du lycée serait plus démocratique qu’une structure diversifiée, sur quels fondements théoriques vous appuyez-vous pour penser cela ?

Bernard Calabuig et José Tovar :
La suppression radicale de l’échec scolaire représenterait un progrès démocratique considérable, permettant aux jeunes de choisir leur orientation professionnelle en fonction de leurs inclinations réelles et non de manière plus ou moins imposée à partir de leurs insuffisances scolaires comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui.

À partir des contraintes de l’existant, quelles seraient les évolutions souhaitables et possibles pour un lycée vraiment démocratique dans un avenir proche ?

Bernard Calabuig et José Tovar :
Il faut transformer en priorité l’école maternelle et élémentaire, puis le collège, pour en faire réellement l’école de la réussite scolaire de tous. Le reste suivra. Tant que cet objectif ne sera pas atteint, rien ne sera possible en aval, et on continuera à chercher de nouvelles formules de compensation pour gérer l’échec scolaire, la diversification des voies de formation étant une de ces modalités.
Bien sur, nous nous plaçons dans le cadre d’un changement politique, qui impliquera que l’on donne à l’école les moyens du changement : moyens quantitatifs en personnels, mais aussi qualitatifs, notamment par une réforme démocratique de la formation initiale et continue des enseignants. Il faudra également en finir avec la caporalisation en cours du système à tous les niveaux, et redonner la liberté et le pouvoir d’initiative aux personnels, qui doivent « reprendre la main » sur leur métier. Car nous sommes convaincus que rien ne se fera sans leur engagement volontaire dans les transformations à mettre en œuvre, encore moins contre eux.

Roland Hubert :
Oui, le système a atteint ses limites. Mais la seule question qui vaille est : pourquoi ? Nous ne pensons pas que les 3 voies aient failli dans leur mission, même si après une montée en charge assez rapide, elles n’ont pas réussi à attirer plus de jeunes et que l’équilibre entre elles s’est stabilisé. La notion de spécialisation est elle-même à interroger. Par exemple, la série S et les séries STG, qui permettent un approfondissement d’un champs disciplinaire sans sacrifier les autres, sont aujourd’hui moins « spécialisées » que la nouvelle série L dans laquelle la culture scientifique est particulièrement absente.
L’objectif d’une réforme du lycée doit être double : trouver les conditions d’une répartition interne plus équilibrée (répartition socioprofessionnelle et en fonction du sexe) et réenclencher la hausse du taux de passage de la troisième vers le lycée. N’oublions pas que nous sommes encore loin des 80% d’une génération au niveau baccalauréat !
Cela nécessite de travailler sur l’échec scolaire en amont et sans doute d’imaginer d’autres parcours au lycée ou tout au moins, plus modestement, d’autres façons de travailler au lycée et au collège dans de meilleures conditions.

Le socle commun conçu pour assurer pour donner une sorte de viatique à ceux qui abandonnent l’école à 16 ans et complété par les politiques ségrégatives du type CLAIR, ERS d’un côté et internats d’excellence de l’autre, transforme de fait la notion même d’échec scolaire.
Il n’ouvrira pas plus largement les portes du lycée. La priorité est d’obtenir son abandon dans une refonte du collège. La FSU et ses syndicats du second degré ont dans cette lutte une responsabilité majeure qu’ils entendent assumer pleinement.


L’échange peut se poursuivre sur le forum que le GRDS a ouvert sur cette question, à l’adresse suivante :
http://democratisation-scolaire.fr/phpBB.
Notre introduction au débat et les explications pour participer au forum sont disponibles ici.