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Pas de collège unique sans lycée unique

samedi 2 avril 2011, par Jean-Pierre Terrail

« Au moment où l’offensive néolibérale est la plus brutale,
le syndicalisme présente le visage le plus assagi de son histoire et se prive d’inventer le futur »
(Stéphane Sirot, l’Humanité-Dimanche, 24-3-2011). En dirait-on très différemment des partis de gauche ?

1/ Première question : le taux actuel d’échec scolaire est-il soluble dans une réforme démocratique du système éducatif ?

Serait-il exagéré de parler d’un refus de masse de mettre cette question sur la table, voire d’une véritable chape de plomb du silence à son propos ?

Une réponse cependant lui est donnée, à la fois négative et non explicitée.

Comme si les apprentissages de la culture écrite étaient par nature hors d’atteinte de tout une partie des jeunes générations. Qu’avoir une partie de ses élèves en échec à la fin de l’année faisait partie de l’ordre des choses. Comme s’il allait de soi que l’on ne pouvait élever le niveau moyen de scolarisation qu’au détriment de la qualité des contenus transmis. Que devant le constat des difficultés rencontrées par toute une partie des élèves qui prolongent leurs études, la seule solution était de leur suggérer d’en rabattre sur leurs ambitions (« Mieux vaut un bon CAP qu’un bac mal ficelé »). Qu’à l’égard des élèves qui galèrent au collège, il fallait penser « socle commun », et travailler à l’acquisition de « compétences » plutôt que de faire de la transmission des connaissances (selon les termes propres de Bernard Hugonnier, directeur adjoint à l’éducation de l’OCDE).

Vont dans le même sens :

- l’idée que soutenir la capacité de tous les élèves à réussir ne servirait à rien si ce n’est à culpabiliser des enseignants en souffrance.

- l’absence de tout débat sur la thèse du handicap socioculturel, ciment idéologique d’une école inégale, qu’illustre le fait que la seule recherche qui entreprend d’en proposer une argumentation critique sur le fond [1] n’a même pas été chroniquée dans la presse syndicale [2].

- le constat que, malgré la diffusion des données d’enquête révélant le rendement pédagogique limité de notre enseignement primaire, les programmes scolaires de la droite et du PS restent tournés vers le collège, qu’il conviendrait de « primariser », sans rien proposer concernant la démocratisation des apprentissages élémentaires.

Il me semble à l’inverse tout à fait raisonnable de donner une réponse positive à cette première question. Oui, il est possible de réduire considérablement les taux d’échec actuels. D’une part parce que la fameuse thèse du handicap socioculturel ne résiste effectivement pas à un examen un peu serré, lequel confirme sans réserves la pertinence du « tous capables » promu par le GFEN. D’autre part parce qu’il existe des données d’observation et d’expérimentation indiquant des pistes sérieuses pour une forte amélioration de l’efficacité de notre enseignement élémentaire [3] : et que l’on sait de longue date que la réussite ou l’échec des élèves se joue pour l’essentiel dès les premiers apprentissages.

2/ Deuxième question : peut-on porter la scolarité obligatoire à 18 ans ?

Prenant acte de ce que plus de 85% des jeunes sortent aujourd’hui de fait à 18 ans et plus, c’est ce que propose la gauche syndicale et politique. 85% toutefois ce n’est pas 100%. Cette proposition est tout à fait irréaliste, voire démagogique, si l’on n’explique pas ce que l’on va faire des 15% de jeunes qui dès le collège n’en peuvent plus de l’école. Ces derniers sont « en grande difficulté de compréhension de l’écrit ». Les promettre, comme le proposent la droite et le PS, au vernis d’employabilité du socle commun, c’est les livrer sans défenses au patronat et les condamner à la galère professionnelle ; et de toutes façons ce n’est pas ça qui les tiendra à l’école jusqu’à 18 ans. Revenir à une orientation à la fin de la cinquième vers un enseignement professionnel ultra court ou vers l’apprentissage n’est pas une solution très différente, ne répondrait ni aux aspirations des familles ni aux besoins d’un développement économique et social démocratique, et là aussi contredirait le recul à 18 ans de l’âge de la scolarité obligatoire.

On peut tourner la chose comme on veut : annoncer la scolarité obligatoire à 18 ans est une promesse illusoire si elle ne s’accompagne pas d’une amélioration des apprentissages élémentaires suffisamment conséquente pour que les 150 000 jeunes qui chaque année se retrouvent aujourd’hui « en grande difficulté de compréhension de l’écrit » arrivent au collège après une entrée satisfaisante dans la culture écrite.

Il est urgent que la gauche politique et syndicale qui a pris parti pour l’obligation scolaire à 18 ans s’explique sur la façon dont elle entend rendre possible cette amélioration.

3/ Troisième question : le collège doit-il être l’antichambre du lycée ?

Depuis que François Dubet a imputé les problèmes du collège unique à son ambition d’être « l’antichambre du lycée », la formule a fait florès. Bruno Julliard, rédacteur du programme scolaire du PS, reprend explicitement la critique à son compte dans un entretien au Monde du 9 mars 2011 (Q : « À quoi ressemble votre collège ? » ; R : « En finir avec l’idée que c’est l’antichambre du lycée »). En restant tout aussi silencieux que la droite sur la subtile hypocrisie du socle commun : l’ampleur des connaissances correspondant aux différentes « compétences » n’étant pas spécifiée, il y a ceux pour qui ces connaissances permettent l’accès au lycée, dont le collège aura été effectivement l’« antichambre » ; et les autres, qui n’auront rien à dire puisque le collège n’est pas censé jouer ce rôle.

Dès 1959 De Gaulle était d’accord pour que tous les jeunes entrent au collège, mais voulait une barrière infranchissable à l’entrée du lycée. Un demi siècle plus tard, l’incapacité de toute une partie des élèves à bénéficier normalement des enseignements du collège rend les deux tiers de leurs enseignants sceptiques quant au principe du collège unique et du même coup réceptifs à l’égard de la politique du socle commun. N’est-il pas en effet raisonnable de tirer les leçons de l’expérience ?

Il est évidemment plus facile de croire ce que l’on voit (surtout quand on le vit comme une galère quotidienne !) que d’imaginer ce qui pourrait être et de lui accorder quelque crédit.

Quoiqu’il en soit il y a dans ce contexte deux solutions. Ou bien l’on prend acte de la situation actuelle, et on entreprend de la rendre plus supportable tout en l’aménageant au mieux des intérêts de « l’économie » : c’est la solution du socle commun et de ses variantes de gauche. La seule autre solution est d’admettre le principe d’un enseignement primaire qui conduirait tous ses élèves à la réussite de leurs apprentissages élémentaires, et d’entreprendre d’en réunir les conditions.

Dans cette seconde perspective, il n’y aurait plus lieu de chercher les moyens de traiter la grande difficulté scolaire au collège, quels qu’ils soient, des SEGPA aux classes relais, des connaissances aux compétences, de l’école à l’apprentissage. Le collège pourrait jouer normalement son rôle d’appropriation poursuivie des bases de la culture écrite (et donc… d’antichambre du lycée), sans se soucier davantage des questions de compétence que l’on ne s’en soucie aujourd’hui dans les « bons » établissements. Quant aux élèves, ils se comporteraient tous comme se comportent aujourd’hui ceux que les difficultés d’apprentissage n’ont pas fait chavirer : ils souhaiteraient poursuivre leur scolarité au lycée dans la voie de l’enseignement général, considérant eux aussi que le collège est une étape vers la poursuite normale de leurs études au lycée. Rappelons à ce propos que même dans les conditions d’aujourd’hui plus de 85% des parents dans les familles ouvrières souhaitent que leurs enfants décrochent un diplôme de l’enseignement supérieur… et que dès que ces derniers en ont les moyens scolaires, ils partagent massivement cet objectif.

4/ Quatrième question : quel lycée pour l’école commune ?

Une amélioration générale des apprentissages élémentaires permettrait de mettre en place un tronc commun qui engloberait l’enseignement primaire, le collège, et conduirait tous les élèves au lycée. Mais comment concevoir celui-ci ?

Trois hypothèses sont a priori envisageables : le maintien de l’organisation actuelle en filières séparées ; une réorganisation du dispositif qui articulerait les filières autour d’enseignements communs plus ou moins étendus, transformant en quelque sorte les filières en options au sein d’un lycée unique ; la suppression des filières au profit d’un véritable tronc commun, au moins jusqu’en première et à l’obtention d’un bac de culture générale et technologique qui ouvrirait au choix des élèves sur trois options de terminale préfigurant les orientations ultérieures.

La première hypothèse n’est pas crédible : à la fois parce que les filières professionnelles et technologiques actuelles sont conçues pour des élèves en échec dans les matières fondamentales de la culture écrite, et dotés d’une capacité de travail intellectuel autonome limitée ; et parce que des élèves arrivant au lycée en réussite au moins relative de leur scolarité générale n’auraient aucune raison de se spécialiser trop tôt en se coupant, à 15 ou 16 ans, de toutes les autres orientations possibles.

Reste alors le choix entre les deux autres hypothèses, qui supposent l’une et l’autre un lycée unique.

Pencher en faveur de l’une ou l’autre dépend certainement de la façon d’envisager le processus de démocratisation. Si l’on part de l’idée (admise le plus souvent on l’a dit comme allant de soi) que l’efficacité des dispositifs d’enseignement ne peut être améliorée qu’à la marge, on raisonne dès lors nécessairement en termes d’adaptation de l’école actuelle à une visée plus démocratique, et la question devient : comment faire évoluer les filières actuelles pour en rapprocher les contenus et les élèves au sein d’un lycée unique ? C’est très clairement le schéma à l’œuvre dans les propositions de lycée unique avancées par Denis Paget, qui valorisent l’hypothèse 2. Mais le problème soulevé au point précédent reste alors sans solution : sans amélioration massive de la transmission des savoirs, la scolarité obligatoire à 18 ans est un leurre et le lycée unique ne saurait être le lycée de tous.

Par contre, si l’on admet la possibilité d’une telle amélioration, on doit se mettre à raisonner en termes de refondation du système éducatif à partir de sa base, et particulièrement du CP et de l’enseignement élémentaire, les transformations (à la fois des contenus, des façons d’enseigner, et de l’organisation des parcours) intervenant au fur et à mesure de l’avancée des élèves « nouveau système » dans leurs études. Dans cette seconde perspective on voit les choses sous un angle bien différent. La mise en place d’un cursus unique de culture générale et technologique au lycée (hypothèse 3) n’apparaît plus comme un aménagement de la situation actuelle (aménagement inévitablement perçu comme plus ou moins utopique parce qu’une partie des élèves n’auraient pas les moyens de suivre un tel cursus). L’instauration de ce cursus s’impose comme la seule réponse démocratique à ce que seront les aspirations des parents et des élèves dans une école refondée et efficace, et à ce que sont d’ores et déjà les besoins du pays en matière de développement de la qualification professionnelle et de la culture et de la conscience citoyennes. Dans cette seconde perspective, c’est le maintien d’un système d’options filiarisées (hypothèse 2) qui perd sa crédibilité, pour les raisons indiquées concernant l’hypothèse 1 : pourquoi se spécialiser à 15 ou 16 ans, quand on a les moyens de continuer à enrichir sa culture générale et technologique en préservant tout l’éventail des choix possibles jusqu’à 17 ou 18 ans ?

À ceux que l’ampleur de l’écart entre le système actuel et le projet d’une école commune incluant le lycée inquièterait, on rappellera qu’il est plutôt moindre que celui qui séparait le Plan Langevin-Wallon du dispositif de scolarisation de l’époque, hérité de la Troisième République, l’école unique de la Cinquième ayant complètement légitimé le droit de chacun aux meilleurs parcours scolaires.

5/ Cinquième question : comment engager la dynamique de la refondation ?

La cohérence de l’École unique Cinquième République est profonde et très généralement sous-estimée. C’est à elle que l’institution doit d’être une très belle réussite, en s’avérant capable de répondre complètement aux intentions de ses promoteurs de la fin des années 1950 : assurer une élévation sensible de la formation des jeunes générations, sans pour autant remettre en cause le caractère réservé (à une proportion croissante mais toujours strictement limitée des élèves) de l’accès aux savoirs élaborés de la culture écrite.

Le miracle de cette école est de permettre une relative transmission des savoirs tout en étant en son entier organisé par et tourné vers l’exigence du tri social, grâce à la mise en place du dispositif d’évaluation/hiérarchisation/orientation dont Berthoin soulignait dès 1959 le caractère absolument crucial pour l’institution.

Les effets culturels de ce dispositif sont proprement admirables. Ainsi la possibilité de donner de mauvaises notes, de faire redoubler, d’orienter vers des classes d’enseignement spécialisé ou vers des classes de faible niveau, d’anticiper une orientation vers l’enseignement professionnel court, rend possible l’acceptation de l’échec des apprentissages et cautionne, à la fois pratiquement et symboliquement, le renoncement à l’éliminer ; la thèse du handicap socioculturel faisant office de clé de voûte idéologique de l’ensemble. Chaque moment du dispositif contribue solidairement à l’activité de triage : toutes les études sur l’orientation montrent combien les décisions finales résument le parcours des élèves depuis la petite section de maternelle (chaque évaluation médiocre, chaque recours à une supposée remédiation s’avérant à l’examen comme un pas de plus vers l’éjection précoce).

Autrement dit la cohérence de l’école unique ne tient pas seulement à la solidarité de ses différentes modalités de fonctionnement, mais aussi à la solidarité de l’amont et de l’aval des parcours. Ce qui se passe en aval (l’orientation) dépend de ce qui s’est passé en amont (dans les premières années de la scolarité). Mais la réciproque est tout aussi vraie : ce qui se passe en amont peut se passer ainsi parce que l’aval est organisé de façon à accueillir aussi bien des élèves en échec que des élèves en réussite.

L’observation est décisive, et on en retiendra ici deux conséquences.

  • D’une part cette cohérence est telle qu’elle ne permet d’espérer aucune amélioration significative tant qu’elle est en place. Il est d’ailleurs frappant que les écarts de chances de réussite scolaire selon l’origine sociale n’aient pas connu la moindre amélioration en un demi-siècle, malgré le dévouement des enseignants et la récurrence décourageante des campagnes de « lutte contre l’échec scolaire ». La démocratisation scolaire a besoin d’une véritable refondation de l’école, qui déconstruise les actuelles cohérences.
  • D’autre part l’école refondée doit exhiber sa propre cohérence. Elle a un besoin crucial, on l’a assez souligné, d’une élévation massive de son rendement pédagogique, et cela dès l’entrée dans l’enseignement élémentaire. C’est cette transformation de l’amont qui permettra à tous les élèves d’accéder au lycée unique. Mais cette transformation de l’amont n’aura pas lieu elle-même sans transformation de l’aval. C’est l’existence du lycée unique, très fermement posée dans son principe (dans la pratique le lycée unique ne pouvant entrer en fonction qu’avec l’arrivée de la première promotion d’élèves de l’école commune), et donc l’objectif incontournable de conduire tous les élèves au bac unique de culture générale et technologique, qui peut seule créer les conditions d’une transformation des façons de faire dans les petites classes. La seule façon en effet de donner du crédit à la possibilité pour tous de surmonter les difficultés d’apprentissage, et d’engager l’institution, ses enseignants et les chercheurs dans une confrontation résolue à ces difficultés, en affrontant autrement les questions de l’enseigner et de l’apprendre, c’est bien de supprimer tout ce qui aujourd’hui permet de sanctionner l’échec et de chercher avec les enseignants les moyens de le traiter réellement.

De ce point de vue, on peut dire qu’il n’y aura pas d’école élémentaire performante sans collège unique, et de collège unique sans lycée unique. Tout autre dispositif recréera immanquablement les anticipations et les ornières d’aujourd’hui. Et la nécessité de prévoir une transition pour les élèves de l’entre-deux (ceux qui poursuivront leur parcours avant que la réforme n’ait produit tous ses effets) ne saurait en rien être opposée à l’exigence d’une réforme globale de l’école et des profondes révisions culturelles qu’elle seule peut susciter.


[1Cf. Jean-Pierre Terrail, De l’oralité. Essai sur l’égalité des intelligences, La Dispute, Paris, 2009.

[2À l’exception il est vrai de Nouveaux Regards, revue publiée par l’Institut de recherches de la FSU

Messages

  • Bonjour,

    Je suis assez surpris que vous n’évoquiez dans aucun article, et en particulier celui-ci, la thèse de R.Boudon selon laquelle le principal moteur de l’inégalité des chances scolaires est l’orientation inégale des élèves à résultat égal en fonction de la catégorie sociale de leurs parents.

    Si une telle thèse était juste, cela imposerait de remettre en cause le système d’orientation (et l’existence du redoublement) plutôt que la pluralité des filières - tout en ne diminuant en rien l’importance du combat en amont contre les inégalités initiales.

    Deux questions se posent à la lecture de votre texte :

    1) Y a-t-il un texte où vous justifiez de manière détaillée votre proposition, un tronc commun fort jusqu’à fin de la scolarité obligatoire à 18 ans, face à une proposition médiane, visant principalement à réduire l’inégalité d’orientation, d’un système éducatif à orientation plus souple et réversible - par le biais de passerelles entre enseignement pro et enseignement général ou d’un tronc commun avec options "colorant" le cursus en pro ou général ?

    2) Par ailleurs, si vous pensez que c’est bien lors des premières années de scolarisation que se joue le point crucial avec la mise en place d’un mécanisme où les inégalités initiales s’amplifient d’année en année, pourquoi ne pas défendre en priorité un abaissement de la scolarité obligatoire (vers 3 ans par exemple) et une hausse des ambitions de la maternelle (pour notamment réduire les inégalités de lexique entre enfants des classes supérieures et enfants des classes populaires et faire acquérir le code sociolinguistique élaboré/légitime à ces derniers) ?

    • 1/ La thèse de Boudon (1973) rejoignait à sa façon celle de Bourdieu sur l’auto-exclusion des enfants des classes populaires. L’une et l’autre correspondent de moins en moins à la réalité des faits. Quand les élèves appartenant à des familles d’ouvriers ou d’employés obtiennent des notes égales ou supérieures à la moyenne, ils font désormais massivement le choix de continuer dans les filières d’enseignement général : n’oublions pas qu’aujourd’hui 9 parents sur 10 dans les familles ouvrières souhaitent pour leurs enfants un diplôme de l’enseignement supérieur, quasiment autant que les parents cadres, même s’ils ne rêvent pas comme ces derniers des plus grandes écoles. C’est seulement lorsque les enfants sont en difficulté et obtiennent des notes insuffisantes qu’ils renoncent à un maintien dans l’enseignement général plus facilement que les parents cadres. Le problème essentiel de la démocratisation scolaire est donc bien celui de la réussite des apprentissages, particulièrement au moment de l’entrée initiale dans la culture écrite.

      2/ Concernant nos réflexions sur l’enseignement secondaire de l’école commune, on peut se reporter, sur ce site dans la rubrique Vers l’école commune, à « Une seule solution démocratique, l’école commune », ainsi qu’aux pièces du débat sur le lycée unique. On peut également consulter l’ouvrage de B. Calabuig et J. Tovar, Faites chauffer l’école. Principes pour une révolution scolaire, Syllepse ; ainsi, dès janvier 2012, que l’ouvrage publié par le GRDS à La Dispute, De l’école unique à l’école commune. Propositions pour une refondation du système éducatif. Nous avons lancé le débat sur le lycée unique : vous pouvez, en y prenant part, contribuer à enrichir la réflexion collective. Pour notre part, au GRDS, quelques principes essentiels nous animent en la matière : a/ L’avenir démocratique de nos sociétés, on a envie de dire leur avenir tout court, requiert une élévation massive de la formation culturelle, scientifique et critique des jeunes générations ; b/ Une très forte réduction de l’échec dans les apprentissages élémentaires, si décisifs pour toute la suite de la scolarité, est possible, et alimentera par elle-même la poursuite d’études ; c/ La transformation des dispositifs scolaires et pédagogiques qui rendra possible cette réduction de l’échec de masse suppose un véritable électrochoc institutionnel et culturel. Poser au départ du processus de refondation qu’il s’agit désormais de conduire tous les élèves au terme d’un tronc commun de haut niveau nous paraît à cet égard absolument indispensable. À défaut, le maintien de filières de moindre ambition, quelle qu’en soit la forme, apparaîtrait inévitablement comme un échappatoire possible, et pèserait négativement sur les chances de réussite de l’entreprise refondatrice (on ne saurait surtout pas oublier qu’aujourd’hui l’emprunt des voies dévalorisées est quasiment anticipé dès la maternelle !).

      3/ Nous sommes effectivement partisans d’une obligation scolaire à partir de 2 ou 3 ans, et d’une forte ambition pour la maternelle (nous préférons d’ailleurs parler d’école enfantine). Nous n’avons pas encore suffisamment travaillé collectivement sur le contenu de cette ambition pour que je m’exprime sur ce point au nom du GRDS, j’indique ici seulement mon propre avis sur la question. L’institution scolaire a fondamentalement pour vocation de permettre l’entrée de ses publics dans la culture écrite (ce rappel n’impliquant aucune dévalorisation des autres missions dont elle est chargée dans le monde d’aujourd’hui). Mais il n’y a aucune raison d’organiser cette entrée dès avant 6 ans. La démocratisation scolaire n’a nul besoin d’un démarrage prématuré des apprentissages de la culture écrite, et encore moins du maintien de tout ce qui a accompagné ce démarrage dans l’actuelle école maternelle, en matière d’évaluation précoce et systématique, de fichage, de soumission des enfants à la pression permanente et à des formes d’examen scolaire anticipé. L’école enfantine peut très bien jouer un rôle important dans le développement linguistique, culturel et intellectuel de ses publics tout en faisant l’économie d’une entrée précipitée et inutile dans des apprentissages que le CP peut assurer sans problème. Citons à cet égard les conclusions d’une étude menée à l’IREDU-CNRS et concernant les effets de la scolarisation en maternelle : « Ces constats demanderaient à être analysés en profondeur, il n’en reste pas moins que l’on peut déjà proposer des pistes de réflexion concernant l’école primaire. Les analyses montrent que les élèves sont d’autant plus armés à l’entrée au collège qu’ils ont développé des compétences élevées dans certains apprentissages à l’école maternelle. Les activités numériques et la structuration du temps sont des domaines particulièrement importants à travailler. Le recours à des activités systématiques et structurées qui génèrent des effets transversaux et durables sur les acquisitions des élèves ne signifie pas pour autant que le programme de l’école maternelle doit être calqué sur celui de l’école élémentaire. Des activités ludiques (jeux mathématiques) ou l’éducation musicale peuvent être considérés comme des vecteurs d’apprentissage particulièrement pertinents » (c’est moi qui souligne), Bruno Suchaut, Le rôle de l’école maternelle dans les apprentissages et la scolarité des élèves, Conférence pour l’AGEM, Bourges, 2008. Je rappellerai pour terminer ce qu’on oublie trop souvent dans ce domaine : les ressources linguistiques des élèves issus des familles « cultivées » tiennent à la proximité avec la culture écrite entretenue dans leur famille. S’il est utile que tous les enfants puissent développer ces ressources dans l’école enfantine, on ne saurait donc avoir une vision unilatérale de ce développement : ce n’est pas seulement parce qu’ils parleront mieux grâce à l’école enfantine qu’ils entreront plus facilement dans la culture écrite, c’est aussi et surtout parce que l’enseignement élémentaire leur permettra d’entrer correctement dans la culture écrite qu’ils développeront leurs ressources lexicales, syntaxiques, et au bout du compte réflexives.

    • Je partage votre proposition d’une "élévation massive de la formation culturelle, scientifique et critique des jeunes génération" qui requiert une "une très forte réduction de l’échec dans les apprentissages élémentaires".

      Sans avoir prétention à proposer une alternative élaborée au système actuel, l’électrochoc que vous proposez m’inquiète un peu. Je m’explique, le principal défaut de l’enseignement secondaire - de ma propre expérience, l’ayant quitté il y a 5 ans - est le caractère monolithique et dépassé de ses enseignements. La motivation est essentielle pour la réussite des apprentissages. Or, pour beaucoup d’entre eux, les élèves pensent "à quoi bon" ? La pédagogie est en cause mais pas seulement. Pourquoi ne pas offrir une grande modularité de l’enseignement secondaire, avec par exemple des sciences sociales, de l’informatique, ou même de la philosophie dès le collège, afin que chacun puisse découvrir sa vocation (les arts, les sciences, l’artisanat, la santé,...) ? Avec, si on pousse une telle logique jusqu’à son bout, un système de crédits à capitaliser ? Le tronc commun pourrait se réduire aux enseignements vraiment fondamentaux pour tout citoyen (par exemple des maths et du droit/connaissance des institutions) Peut-être ma vision est elle déformée par l’enseignement universitaire...

      Par ailleurs, si je regrette fortement la dévalorisation des enseignements techniques (voie de garage actuelle) je ne pense pas que la fusion de l’enseignement technique et professionnel avec l’enseignement général puisse se faire sans une réflexion profonde sur leur articulation et les raisons de leurs hiérarchisation (la division du travail manuel et du travail intellectuel remonte à long dans l’histoire de l’Occident).

      Enfin, une authentique démocratisation scolaire passe aussi sur une refonte du supérieur, reposant sur une dichotomie université/grandes écoles, une mesure forte serait la suppression des classes préparatoires au profit de concours ou d’admission sur dossier dans les grandes écoles au niveau du bac ou/et au cours de la licence, avec sur le long terme l’intégration la plus poussée possible des grandes écoles au sein du système universitaire.

      A mes yeux, une révision de la maternelle jusqu’à l’université du système scolaire est nécessaire. Elle doit porter une double exigence : d’égalité et de qualité. Et s’assurer du plaisir des apprenants et des enseignants. Une vraie "société de la connaissance" serait une société qui chérirait les connaissances, toutes les connaissances !

    • Je conviens volontiers du caractère un peu brutal du terme « électrochoc », qui peut être mal perçu et reçu dans un contexte où l’on sait la brutalité précisément des agressions dont le métier enseignant est l’objet. Il s’agissait pour moi de marquer fortement l’exigence d’une sorte de révolution de la culture professionnelle de notre métier. Celle-ci reste tellement imprégnée, malgré toutes les professions de foi sur le « tous capables », de la conviction de l’inéluctabilité de l’échec, qu’elle me paraît insuffisamment adéquate, en l’état, avec toute démocratisation d’ampleur de l’école.

      Sur la culture commune : nous engageons actuellement le travail, au GRDS, sur les axes d’une réforme des contenus d’enseignement de l’école commune, et notamment sur ce que pourrait en être la dimension technologique, et nous accueillons avec plaisir et intérêt toutes les collaborations sur ces questions…

      Une des questions posées en matière de culture commune est celle, que vous soulevez, de la nécessaire actualisation des contenus. C’est une vraie question, que nous abordons avec prudence, n’étant pas de ceux qui considèrent que le premier problème de notre système éducatif est « d’ouvrir l’école sur la vie ». Il suffit à cet égard, pour se convaincre qu’une entrée réussie dans les apprentissages de la culture écrite amène ses bénéficiaires à nouer un tout autre rapport avec des domaines de pensée dont l’utilité sociale n’est pas immédiatement évidente, d’observer que, dans tous les milieux sociaux, et en règle générale, les « bons élèves » s’impliquent volontiers dans les savoirs qu’on leur propose, du moment qu’on leur en fait voir l’intérêt intellectuel et culturel. Cette remarque ne vise pas bien sûr à éluder le problème des contenus, mais à écarter d’entrée de jeu une conception de leur réforme qui sacrifierait la forte ambition que nous devons avoir pour tous à des préoccupations dominées par l’utilitarisme (« à quoi bon ? ») ou le souci de plaire à tout prix. Mais, bon, une fois de plus, nous n’avons pas l’outrecuidance, au GRDS, de prétendre fournir une école démocratique clé en mains, en nous substituant à l’indispensable débat le plus large possible, notamment sur ces questions des contenus. Dans chaque discipline d’ailleurs les collègues et leurs associations ont amassé un capital de réflexion (plus ou moins développé et plus ou moins consensuel) sur les savoirs qu’ils s’efforcent de transmettre. Le temps vient de formaliser, de confronter, de faire converger ces acquis afin de pouvoir engager une nouvelle étape dans leur développement opérationnel.

      Quant au monolithisme… Parler d’école commune renvoie pour nous au projet de savoirs partagés de haut niveau dans les domaines fondamentaux de la culture écrite et d’une formation commune en matière d’éducation physique, artistique, citoyenne. Ce projet ne serait tout simplement pas concevable s’il ne permettait pas également à chaque jeune de s’investir de façon plus approfondie dans l’un ou l’autre domaine de son choix, comme nous le soulignons dans les textes que nous avons publiés. L’univers des savoirs partagés doit être suffisamment consistant pour permettre à chacun de choisir librement, au terme du tronc commun, l’orientation qui lui convient. Comment circonscrire précisément cet univers, comment organiser l’offre des approfondissements spécialisés possibles, ces questions nous renvoient à la détermination des contenus de la culture commune et à la poursuite du travail collectif.