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L’École en France. Crise, pratiques, perspectives, dirigé par Jean-Pierre Terrail

mardi 17 février 2009, par Janine Reichstadt

L’ouvrage publié sous la direction de Jean-Pierre Terrail [1] mérite une très grande attention en cette rentrée. Il procède à un examen critique particulièrement riche, fouillé, clair, percutant et jamais culpabilisant de la situation de l’école en France, tant dans ses dimensions historiques, sociales, économiques, politiques que pédagogiques.

Y sont étudiées les logiques patronales dans l’histoire de leurs rapports à l’école, et dans l’usage qu’elles font aujourd’hui des diplômes, les logiques institutionnelles de gestion des flux d’élèves dans des filières hiérarchisées qui recoupent l’origine de classe de ceux-ci et assurent la reproduction des structures sociales, les politiques libérales qui poussent à la subordination du système éducatif aux logiques de compétitivités capitalistes.

Les contradictions majeures de l’école unique en crise sont amplement analysées : elle a eu des effets profondément démocratiques dans l’essor spectaculaire de la scolarisation longue des jeunes générations, mais dans le même temps, l’inégalité sociale des chances d’accès à la franche réussite scolaire, aux diplômes les plus élevés reste quasiment inchangée. L’école unique aujourd’hui n’est pas une école démocratique.

Fondamentale est la mise en évidence dans ce livre de l’impact déterminant du parcours en primaire sur le destin des élèves. L’inégalité de réussite des apprentissages fondamentaux de la culture écrite est au principe des inégalités scolaires postérieures et de la sélection. D’où la nécessité impérieuse d’interroger les modalités de ces apprentissages. Cela passe par l’étude du monde enseignant dans ses rapports au savoir, aux élèves et au métier, mais aussi par celle des dispositifs de scolarisation qui pilotent à distance l’activité des maîtres et bien sûr par l’examen critique de tout ce qui dans les pratiques d’enseignement peut faire obstacle à la démocratisation.

Sont interrogées notamment les pédagogies nouvelles, le constructivisme, les vertus supposées du concret pour accéder à l’abstrait, l’absence de reconnaissance forte de l’existence des capacités intellectuelles d’abstraction et de raisonnement logique chez tous les élèves à partir du moment où ils ont accès au langage, l’identification entre pédagogie explicite et passivité de l’élève. Est critiquée la façon dont l’école impute massivement la cause de leurs difficultés à l’origine populaire des élèves concernés, la façon aussi dont elle délègue aux familles une partie des apprentissages dont elle devrait avoir la charge, faisant ainsi jouer aux ressources familiales un rôle primordial dans la production des inégalités scolaires. Autant d’interrogations et de critiques (pas toutes citées ici) pour envisager avec réalisme la perspective d’une école pour tous, véritable école commune dont la nature et les ambitions sont détaillées.

La dernière partie du livre fait une large place à trois praticiennes des apprentissages élémentaires des mathématiques et de la lecture, dont la pensée des contenus de savoirs et des principes pédagogiques sont en rupture avec ceux qui font norme. On se contentera, faute de place, d’inciter plus que vivement les lecteurs à être attentifs à ces chapitres : ils ouvrent concrètement les perspectives d’une réelle démocratisation de l’école. C’est un livre très important qui mérite d’être largement débattu dans les écoles, les IUFM et bien sûr ailleurs. Son projet démocratique s’ancre également dans son écriture très accessible aux non spécialistes, ce qui n’est pas peu de chose.

(L’Humanité, 1-9-05)


[1Stella Baruk, Jérôme Deauvieau, Geneviève Krick, Christian Laval, Laurence Ould Ferhat, Colette Ouzilou, Tristan Poullaouec, Jean-Pierre Terrail, La Dispute, 2005