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Lettre ouverte aux signataires de l’appel « Pour un pacte national de lutte contre l’échec scolaire »

mercredi 1er février 2012, par L’équipe du GRDS

Instant de bonheur, jeudi dernier, en découvrant la « Une » de Libé : « L’école : un devoir » avec en surtitre : « Un appel contre l’échec scolaire ». Enfin, l’école s’invite en grand, et sur un sujet d’importance, dans la campagne des législatives… Las, en peu de temps ce fut l’indignation devant l’indigence, la duplicité et pour tout dire le caractère rétrograde de cet appel dont l’objectif affiché est de « définir ensemble le modèle éducatif que nous souhaitons pour la société française ».

Que nous dit-il en effet de la nature de l’échec scolaire, et surtout que nous propose-t-il pour en sortir ? Au début du texte pointe un début d’analyse sur une des caractéristiques de notre école : la « compétition qui crée de la souffrance » et « un système de sélection » auquel il faudrait substituer un « modèle de promotion ». Voilà qui mériterait quelques explications permettant de penser des réponses progressistes ? L’école n’est ni la famille, ni le club, ni la « bande », ni la rue. Sauf erreur, sa visée première est bien la réussite de tous les élèves dans les apprentissages, source de plaisir et de développement ? Le « pacte » se trompe, au mieux, lorsqu’il amalgame « souffrance » et « effort ». Plus, il trompe sur la réalité scolaire lorsqu’il n’associe pas souffrance à échec. Car c’est bien le sentiment d’échec qui, fondamentalement, est cause de souffrance. Un texte prétendant vouloir « lutter contre l’échec scolaire » doit aborder frontalement cette question, ne pas s’en écarter. « Psychologiser », comme à d’autres moments, on médicalise le problème, conduit à inverser les causes et les conséquences. Cette posture induit une approche humanitaire et non sociale de la question scolaire. Ah ces pauvres enfants de pauvres, s’ils pouvaient au moins être heureux à l’école !

Notons que pas une seule fois n’est utilisé, à propos des apprentissages, le terme de « savoirs » mais que revient deux fois celui de « compétences » sans que cette terminologie (et son utilisation) ne soit d’une manière ou d’une autre interrogée, du point de vue de sa validité scientifique et professionnelle, son efficacité, ses effets pédagogiques sur le système (rappelons qu’elles sont en vigueur dans le primaire depuis 1995). Est également condamné le système de la notation « à l’école élémentaire » (seulement ?) auquel il faudrait substituer une « évaluation fondée sur les compétences des enfants ». Nous pensons, pour notre part, qu’il faut en effet en finir avec le système de notation et de classement en vigueur dans notre école. Mais aussi que, appliquée isolément sans s’attaquer dans le même temps à tout ce qui structure et fait dysfonctionner aujourd’hui notre système éducatif, cette mesure est un leurre. Comment passer par pertes et profits la concurrence généralisée qui s’y développe, la sélection qui s’y opère, les carences de la formation initiale et continue, les fortes interrogations qui pèsent sur les programmes scolaires, la déstabilisation du métier d’enseignant par des réformes d’essence d’abord idéologique, ségrégative (loi Fillon, socle commun), la réduction des moyens humains et matériels, l’absence de démocratie, d’autonomie pédagogique, l’autoritarisme. Et tout cela sur fond de retour de l’idéologie des dons et du handicap socioculturel...

Comment peut-on cautionner, à cent jours d’une échéance électorale déterminante, une telle entreprise de mystification, en particulier des populations dont le texte prétend vouloir défendre les intérêts, au moment où la question de la qualité et du niveau de formation des jeunes générations est devenue un enjeu central de notre société ? Il s’agit en effet d’imaginer un système éducatif non ségrégatif, permettant à tous d’accéder à des savoirs plus complexes, à une culture commune repensée favorisant leur capacité à innover, à inventer de nouveaux modes de production et de développement, bref de penser un autre monde. Or que nous propose le « pacte » ? Une énième réforme structurelle dont la logique est la poursuite de l’opposition plus que séculaire entre deux modèles d’école : le primaire et le secondaire ! En choisissant de raviver ce vieil antagonisme stérile et fatalement partisan, en promouvant le primaire comme modèle de renouveau du collège, on se détourne des faits, on fait le choix du statu quo scolaire (partie cachée du projet)… et on prend le risque du retour aux divisions de la communauté enseignante sur la base des vieilles lunes corporatistes qui faisaient autrefois les délices de la FEN. Or on le sait, l’école primaire, par ses résultats de plus en plus inquiétants, ne peut prétendre au titre de modèle. Le collège non plus d’ailleurs, accusé ici de façon absurde d’être « un petit lycée » (on croit rêver !) : on veut le « primariser » et on l’accuse – conformément à la doxa éducative en vigueur - d’être « le maillon faible du système ». Lui qu’hypocritement le « pacte » ne veut pas désigner pour ce qu’il est : un centre de tri, principalement social, des élèves. C’est Ubu roi !

Le pacte c’est aussi le maintien de la scolarisation obligatoire à 16 ans alors que plus de 90% des jeunes de 16 à 18 ans sont sous statut scolaire. Il cautionne le « socle commun » imposé aux forceps comme un viatique pour plus de 50% de ses élèves a priori privés du droit d’accès au lycée général (élèves, comme par hasard, majoritairement issus des milieux populaires), orientés au mieux vers le lycée professionnel sur des bases principalement sociales et dans lequel près de 40% des entrants ne finit pas leur scolarité, fournissant les gros bataillons des 180 000 jeunes qui sortent chaque année sur le marché du travail sans aucune formation qualifiante ! Mais hormis les invocations convenues à la revalorisation de l’enseignement professionnel, rien de bien nouveau dans la perspective ici tracée !

Autre aspect, surréaliste cette fois, le « pacte » confie aux organisations périscolaires le soin de donner aux élèves le « goût de l’école ». Ainsi ce qui devrait être le cœur de la professionnalité enseignante : faire en sorte que tous les élèves entrent délibérément en culture, est en quelque sorte externalisé, renvoyé à la périphérie du système, en escamotant totalement des questions aussi anodines que celles de la formation, tant initiale que continue des enseignants ; le désastre provoqué par l’accumulation, ces dernières décennies de réformes dont le seul point commun est d’avoir toujours cherché à préserver la fonction sélective de notre système éducatif, de l’école élémentaire au lycée, et les modalités réelles par lesquelles se mettent en œuvre les processus en cause ! Faut-il vraiment passer sous silence, pour ne gêner personne, que les inégalités scolaires, comme le souligne à juste titre le chercheur J.-Y. Rochex, se construisent aussi à l’école sur le terreau du sabordage permanent des initiatives des personnels et du manque de moyens pour faire face aux difficultés créées chez les élèves par la dégradation continue du contexte économique, social et culturel dans lequel on veut les enfermer ?

En cantonnant ses propositions à une série de mesures sans véritable ambition et assorties d’une logique consistant à noyer l’acceptation de fait des inégalités scolaires dans un psychologisme de bon aloi, le « pacte » révèle sa duplicité. Et ce serait l’« un des enjeux des prochaines élections nationales » ? Nous ne pouvons nous résoudre à l’idée qu’une démarche partisane puisse nous détourner de ce qui constitue aujourd’hui le fond du débat concernant l’avenir de notre école : quelle culture générale et technologique voulons-nous pour ceux qui – ne l’oublions pas - arriveront sur le marché du travail dans les années 2030 ? D’autres propositions de transformation progressiste de notre système éducatif sont mises en avant par des enseignants, des chercheurs, des syndicalistes, et même des partis politiques de gauche qui ne se résignent pas à une telle défaite de la pensée progressiste en matière d’éducation.

Messages

  • Je découvre tardivement cette réaction et je dois dire que cela est consternant : les signataires de l’appel pour refuser l’échec scolaire - je précise que je ne suis pas signataire de cet appel - sont d’abord loin de minorer les savoirs et leur maîtrise ; ils ne sombrent pas non plus dans le relativisme ! Je pense néanmoins que les propos tenus par le GRDS rivalisent avec les pires conservateurs : ils ont oublié que la réussite scolaire n’est pas qu’affaire de moyens, que les savoirs qu’ils consacrent sont aussi producteurs d’inégalités (au lieu de ne s’attacher qu’à rappeler que 50% des élèves intègrent la voie professionnelle, pourquoi ne défendent-ils pas la culture technique au collège et au lycée ?). Un vent mauvais souffle sur les "chercheurs" se réclamant des thèses de Bourdieu et autre, et notre système scolaire n’est pas prêt d’être réformé par des "intellectuels" qui confondent science et opinion, qui méprisent les professionnels de terrain et voient du complot partout !
    Les chercheurs - Terrail, Rochex, Crinon... - en viennent à ne lire l’expérience des élèves qu’avec les yeux des dominants : cela les conduits à disserter de manière ironique sur les pédagogies nouvelles parce qu’ils sont incapables d’imaginer d’autres manières d’enseigner et de faire réussir les élèves.
    Entre l’être et le néant, entre Aron et Bourdieu, je choisis l’Être.