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Lettre ouverte au ministre

lundi 9 juillet 2012, par L’équipe du GRDS

Lettre ouverte à Monsieur le Ministre de l’éducation nationale et
à Madame la Ministre déléguée, chargée de la réussite éducative

Le 3 juillet 2012

Monsieur le Ministre,
Madame la Ministre déléguée,

Nous avons pris connaissance de votre Lettre à tous les personnels de l’éducation nationale et c’est avec satisfaction que nous avons pu y lire votre volonté d’accorder une attention prioritaire à l’école primaire. Tous les niveaux de l’école sont concernés par l’échec scolaire, et ils doivent bien sûr bénéficier de toutes les mesures nécessaires pour qu’il soit permis de s’engager sur la voie de la réussite la plus largement partagée. Toutefois, la portée des apprentissages fondamentaux en amont du cursus des élèves, sans lesquels rien n’est possible scolairement par la suite, nécessite, nous en sommes convaincus, une mobilisation particulière.

L’école occupe aujourd’hui une place centrale dans les préoccupations des français, car les études le montrent, la résistance au chômage, au sous-emploi ou aux bas salaires est très liée au niveau d’études des jeunes générations. Cette réalité rend d’autant plus insupportable l’échec scolaire toujours source d’anxiété, de souffrance, tant chez les élèves, les parents que chez les enseignants. Malgré leur esprit de responsabilité, ceux-ci peinent trop souvent à voir leur investissement récompensé par la franche réussite de leurs élèves.

L’ouverture du second degré à partir de la réforme Berthoin de 1959 a permis une première démocratisation des parcours. Des progrès importants ont été accomplis au niveau de l’accès au baccalauréat. Toutefois, l’ampleur des inégalités scolaires n’a pas varié : 22% des enfants d’ouvriers obtiennent un baccalauréat général quand c’est le cas pour 72% d’enfants de cadres ; la voie professionnelle courte accueille massivement des élèves d’origine populaire.

Cette logique ségrégative qui marque l’ensemble du système éducatif, ne correspond plus à la visée démocratique que l’école a la mission de faire vivre, afin de former des salariés ayant un haut niveau de qualification et des citoyens à même de prendre en charge de façon instruite, cultivée, les questions individuelles, sociales et politiques auxquelles ils ont à se confronter.

Aujourd’hui élue, la gauche aura bien sûr pour tâche de tout faire pour hisser le financement de l’école au niveau des nécessités, avec la volonté de sortir du marasme dont nous héritons, mais il lui faudra aussi engager une franche politique de démocratisation en rupture avec toute logique ségrégative, ce qui implique d’interroger les dispositifs d’enseignement actuels.

Cette question nous paraît essentielle : aujourd’hui des travaux importants de la recherche montrent combien ces dispositifs sont dans l’incapacité d’assurer toute l’appropriation nécessaire des contenus d’enseignement par les élèves, et notamment par les élèves des classes populaires.

Les enquêtes du Ministère le montrent, l’apprentissage de la lecture et des mathématiques atteint des échecs qui ne sont pas tolérables. En 2007, deux fois plus d’élèves de CM2 (21%) se situaient au niveau de compétence en lecture des 10% d’élèves les plus faibles de 1987, et entre ces deux dates le pourcentage d’élèves qui faisaient plus de quinze fautes en orthographe est passé de 26% à 46%.

Entre l’entrée au CP et la sortie du CM2, l’écart entre les performances moyennes d’un enfant de cadre et celles d’un enfant d’ouvrier est multiplié par deux, et 150 000 jeunes sortent chaque année de l’école en grande difficulté de compréhension de l’écrit.

Vous le soulignez : « Il n’y a pas de fatalité de l’échec scolaire. Tous les enfants peuvent réussir. » Nous partageons cette conviction solidement étayée par la recherche aujourd’hui.

Nous insistons sur le fait que l’amélioration massive des apprentissages attendue suppose nécessairement une implication forte des enseignants, car rien ne pourra changer sans leur participation dans la réflexion des dispositifs qu’ils mettent en œuvre. Avec l’aide des formateurs et des chercheurs, c’est donc l’ensemble de la formation initiale et continue qui se verrait connaître un nouveau départ.

Concernant les premiers apprentissages de la culture écrite, des expérimentations ont été menées qui montrent l’intérêt qu’il y a à changer de dispositifs d’enseignement de la lecture et des mathématiques. Les mesures de la rénovation des années 1970-1980 et les pratiques largement partagées qui en ont découlé n’ont pas fait la preuve de leur efficacité si on en juge par les résultats des élèves que nous constatons aujourd’hui, aussi nous pensons qu’une mise à plat de cette question s’impose.

Le moyen le plus sûr pour réaliser cette mise à plat demeure l’évaluation de ces dispositifs et de ces pratiques, conduite scientifiquement, ce qui suppose sa prise en charge par le Ministère. Dès le cours préparatoire, l’école a besoin de comprendre ce qui se joue en terme d’efficacité des apprentissages lorsqu’elle s’engage dans les choix didactiques et pédagogiques qui guident son enseignement, d’où l’importance d’une évaluation lui permettant de pouvoir le faire.

Quels que soient les résultats d’une telle évaluation ils ne sauraient selon nous avoir pour conséquence de déboucher sur des instructions ressenties comme une atteinte à la liberté pédagogique. Le sens du métier qui les anime conduit toujours les enseignants à être à la recherche d’une liberté d’initiative instruite par l’intelligence des effets des dispositifs sur lesquels ils s’appuient ou pourraient s’appuyer. L’évaluation que nous proposons ne pourrait donc que rehausser cette liberté en leur offrant les moyens de réfléchir et d’expérimenter de nouvelles pratiques, exercées dans une connaissance de causes approfondie.

Il va de soi Monsieur le Ministre, Madame la Ministre déléguée, que nous sommes à votre disposition pour participer à la consultation que vous allez organiser. En vous souhaitant bonne réception de ce courrier, nous vous prions d’accepter nos très sincères salutations.

GRDS (Groupe de recherche sur la démocratisation scolaire)

P.S. Les propositions que nous vous adressons ici ne concernent que ce qui s’impose en priorité au CP dans le cadre du déroulement du cursus scolaire à son niveau fondamental et décisif pour la suite des études des élèves. Nous les avons complétées et développées dans un ouvrage édité récemment : GRDS, L’école commune. Propositions pour une refondation du système éducatif, La Dispute, 2012.