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Une "indispensable mutation pédagogique"

lundi 16 septembre 2013, par Michel Deschamps

Jean-Pierre Terrail, "Entrer dans l’écrit. Tous capables ?" (La Dispute) est paru en septembre 2013. Le point de vue de Michel Deschamps.

Jean-Pierre Terrail, ouvrage après ouvrage et dans une démarche scientifique d’une rare constance, approfondit des positions en rupture complète avec les justifications habituelles de l’échec scolaire. Aux théories dominantes du manque, biologique (les « dons ») ou sociologique (le handicap socio-culturel), il oppose une toute autre conviction, celle des « ressources suffisantes ». J. P. Terrail y insiste et l’argumente : tous les enfants possèdent, à l’entrée dans la scolarité –par-delà la diversité des intelligences ou les inégalités de leur développement- un même outillage intellectuel, attesté par leur maîtrise du langage oral qui permet d’entrer dans l’écrit et de s’approprier les fondamentaux d’une culture commune.

Le passage de l’oralité à l’écrit n’est, certes, ni spontané ni facile.
Il nécessite une institution spécialisée : l’École, des professionnels de haut niveau, la mise en œuvre d’une pédagogie adaptée, sur lesquels Jean-Pierre Terrail exerce un réexamen critique d’une grande acuité, au risque même de heurter ou de susciter des incompréhensions.
Il serait particulièrement stérile que le regard critique sur les « pédagogies de compensation », porté par J.P. Terrail, de façon d’ailleurs argumentée et puissante, soit utilisé pour réactiver la vieille querelle des « Pédagogues » et des « Républicains » ou l’opposition, mortifère, entre le premier et le second degré !

Les difficultés des pédagogies traditionnelles à répondre aux questions posées par la scolarisation de masse, ont donné lieu à deux « réponses » :
-  celle de la compassion envers les difficultés scolaires des enfants des milieux « défavorisés » et ses pédagogies de compensation, censées combler les manques (mais contournant souvent les difficultés d’apprentissage) ;
-  celle du dogme de l’indifférenciation scolaire et son acceptation des pédagogies de sélection, (avec leur cortège de redoublement, de filiarisation et des décrochages scolaires).

Le « pédagogisme » comme l’« académisme » doivent, l’un et l’autre, faire l’objet d’une évaluation sans complaisance.

Les implications du travail fondamental de Jean-Pierre Terrail sont trop décisives pour s’accommoder d’un regard unilatéral. Le recentrage des pédagogies sur les difficultés même de l’apprentissage, les propositions visant à sortir la scolarité commune des logiques de concurrence, la réévaluation de la dimension culturelle des savoirs enseignés, la possibilité donnée aux enseignants de se réapproprier souverainement leur métier… proposent bien une « mutation » et nécessitent un vrai et grand débat.
Entrer dans l’écrit y contribue de façon majeure. Il le fait sans se départir d’une grande rigueur.

Nous ne sommes pas ici dans le domaine des opinions mais dans un travail d’élucidation, en principes, des fondements de la démocratisation de l’École.
Mais « Entrer dans l’écrit » réalise aussi une synthèse, à bien des égards neuve, entre la démarche théorique proprement dite et les implications concrètes d’une pédagogie de l’exigence.

Le travail, enfin, effectué sur le style et la clarté d’exposition le rend plus facilement accessible et appropriable que d’autres travaux plus abstraits de l’auteur.

Pour ces raisons, Entrer dans l’écrit est, à la fois, un référent et un outil militant indispensable.