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Anne Barrère, Travailler à l’école. Que font les élèves et les enseignants du secondaire ?

Presses universitaires de Rennes, 2003.

lundi 9 mars 2009, par Jérôme Deauvieau

Cet ouvrage, tiré d’une habilitation à diriger des recherches, prend pour objet le travail à l’école des enseignants et des élèves de l’enseignement secondaire. Il vise à « à produire une description analytique des tâches effectuées par les uns et les autres » en les reliant aux épreuves subjectives qu’elles occasionnent. Cette entreprise est justifiée par la relative méconnaissance des activités réelles des protagonistes de l’interaction scolaire, bien souvent « écrasées » par les discours normatifs des « novateurs » ou de l’institution.

L’auteur plaide ainsi dans un premier chapitre pour une sociologie du travail à l’école qui saisit dans un même mouvement d’analyse le travail des élèves et celui des enseignants, généralement séparés dans des thématiques disciplinaires distinctes (sociologie de l’éducation pour les premiers et du travail pour les seconds). Pour analyser la façon dont les tâches scolaires se recomposent dans un contexte éducatif marqué par la massification de l’enseignement secondaire, deux enquêtes sont mobilisées. La première est constituée d’une part de 74 entretiens auprès d’élèves de lycée à qui il a été demandé également de remplir un journal de bord pendant 15 jours, d’autre part d’une enquête par questionnaire auprès d’un échantillon de 529 lycéens. La seconde, auprès des enseignants, est constituée principalement de 40 entretiens auprès de professeurs de collège et lycée. Ces investigations ont été menées dans des établissements contrastés selon leur recrutement social.

Les chapitres 2 et 3 décrivent finement les « faisceaux de tâches » du travail des élèves et des professeurs ainsi que les épreuves subjectives de chacun d’eux. Pour les élèves, trois grands types de tâches constituent leur travail à l’école. Le travail quotidien en classe d’abord, dont l’aspect routinier pose la question du sens de cette activité. Le travail à la maison ensuite, sorte de continent inconnu des professeurs puisqu’il se soustrait à leur regard, et dont la réalisation confronte les élèves à l’épreuve de l’autonomie. Les élèves considèrent enfin les activités soumises à évaluation comme le troisième grand faisceau de tâches de leur travail. Les principes de cette évaluation restant opaques à leurs yeux, le volume de travail finit par fournir l’étalon du résultat scolaire espéré, au risque de désillusions majeures lorsque la quantité de travail ne produit pas la note attendue. D’autant que se joue dans cette tâche l’épreuve subjective du verdict scolaire, qui peut facilement faire dériver l’évaluation de l’élève vers celle de la personne toute entière.

Le travail enseignant s’articule lui autour de quatre « faisceaux de tâches » : la conception du cours, la gestion de la classe, l’évaluation et le travail dans l’établissement. La première, consistant en une réappropriation critique des prescriptions curriculaires, reste encore vécue sur le mode du travail artisanal. La seconde est de loin celle qui mobilise le plus les enseignants. La gestion de la classe est une activité prise entre le souci de faire participer les élèves et le maintien d’un ordre scolaire propice aux apprentissages. L’évaluation, quant à elle, est unanimement considérée comme une tâche envahissante vécue comme une corvée. Le travail dans l’établissement, enfin, considéré par l’institution comme l’un des axes de transformation du métier enseignant, reste finalement peu développé et surtout informel. Ces faisceaux de tâches varient par ailleurs selon le type d’établissement. Dans les plus difficiles, la gestion de la classe devient une dimension encore plus prégnante pour les enseignants et le travail en équipe y est plus développé. Surtout, c’est l’articulation de ces différentes tâches qui change de forme selon le contexte d’enseignement : elles sont toutes convoquées dans les contextes difficiles autour de la gestion de la classe et plus dissociées et autonomes ailleurs.

Le travail des élèves et des professeurs ayant déjà fait l’objet de publications , c’est surtout dans la manière de mettre en regard ces deux réalités que réside l’intérêt essentiel de cet ouvrage. C’est l’objet du quatrième chapitre. L’auteur y fait le pari que la compréhension de l’interaction scolaire peut s’aborder utilement non pas seulement en l’observant hic et nunc mais en l’éclairant par l’ensemble des dimensions du travail des professeurs et des élèves. Le pari est réussi : on voit très bien comment cette interaction scolaire se nourrit des attentes décalées des uns et des autres. Les professeurs recherchent la participation des élèves en classe et y voient un signe de leur « motivation », les élèves recherchent des traces écrites du cours qui permettront de reprendre la leçon plus tard chez soi ; les professeurs sont tout entier mobilisés sur la gestion d’un ordre scolaire qui passe avant les enjeux de l’évaluation des élèves, les élèves sont au contraire centrés sur cette tâche dont ils ne comprennent pas toujours les attentes mais dont le verdict est toujours intériorisé. Ces chassés croisés des préoccupations des protagonistes de l’interaction scolaire finissent parfois par dissoudre l’enjeu essentiel de leur rencontre : l’apprentissage.

En se centrant ainsi sur le travail des enseignants et des élèves, la perspective sociologique que propose Anne Barrère rencontre les préoccupations classiques de la pédagogie. C’est pourquoi l’auteur en appelle dans un dernier chapitre, à partir des résultats obtenus, à une « vision sociologique des problèmes pédagogiques ». Les pistes avancées sont intéressantes, mais on regrettera peut-être que cette discussion assigne parfois une place à la sociologie du travail à l’école qui reste à côté des contenus même de l’enseignement ou de l’apprentissage, comme s’il s’agissait là du domaine réservé de la pédagogie. Pourtant, les questions soulevées au fil du texte sont une invitation à approfondir l’examen proprement cognitif des tâches scolaires, ce dont l’auteur convient à l’occasion en proposant par exemple d’étudier la matérialité des manières de travailler. Il n’en reste pas moins que la réflexion développée, les résultats solides obtenus et les pistes de recherche esquissées montrent de manière éclatante l’intérêt d’étudier précisément ce que font les enseignants et les élèves à l’école. A l’heure des interrogations autour de la scolarisation de masse, cet ouvrage apporte plus généralement de nombreux éclairages sur le fonctionnement de l’institution scolaire qui intéresseront autant le sociologue du travail que de l’éducation.

Sociologie du travail, vol 47, n°2, 2005.