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Les chemins escarpés de la réussite scolaire en milieu populaire

samedi 27 février 2021, par Janine Reichstadt

Dans son ouvrage Illégitimes (Fayard, 2021), Nesrine SLAOUI évoque son parcours scolaire et social.

Devenue journaliste, elle dit avec ces mots le sens et la force du mouvement qui fut le sien, dans ce livre où elle raconte et analyse avec lucidité et sensibilité tout ce qu’a signifié pour elle « sortir » du milieu social et culturel dans lequel elle a grandi, frappé d’illégitimité : « J’avais une revanche à prendre, celle d’une femme issue de l’immigration maghrébine qui subissait au quotidien la violence de classe, le racisme et le sexisme. Celle d’une banlieusarde de campagne à qui certains professeurs de lycée avaient dit qu’elle n’aurait jamais le niveau. Celle d’une étudiante humiliée par ses camarades qui lui imposaient leur cadre d’analyse étriqué. Je voulais balancer ma réussite au visage de ceux qui n’avaient jamais cru en moi, je voulais qu’elle cingle comme une claque. » La claque est là et bien là, la revanche aussi.

Le niveau, elle l’a obtenu. Excellente élève, elle a réussi à intégrer Sciences Po et à satisfaire ses exigences universitaires. Ses études ont été pour elle une stimulation intellectuelle majeure, essentielle, un formidable enrichissement de questionnements, de connaissances, dont elle mesure l’importance décisive.

Elle a pu comprendre ce que recouvre le « cadre d’analyse étriqué du monde » de Sciences Po. Comme ceux qui lui ressemblent, ce monde est fier de la « supériorité » dont la société dans laquelle il évolue le gratifie. Elle a pu éprouver ce qui se joue pour celui ou celle qui entre dans ce milieu sans les codes qui régissent l’entre-soi doublé d’une conscience de classe puissante, sources d’humiliation pour ceux qui ne les maitrisent pas. Elle a connu la morsure de l’inégalité culturelle de classe, mais aussi la condition d’une femme issue de l’immigration maghrébine, jugée d’avance illégitime dans ses ambitions de grande école qui « normalement » ne lui reviennent pas. Il faut lire par quels traits s’immisce cette violence dans les mots, les gestes, les attitudes…

« Miraculée de la reproduction sociale », « accident », « erreur sociologique », elle ne veut pas être perçue comme une transclasse, car tout en appartenant dorénavant à un autre monde que celui qui l’a fait naitre, l’a nourrie, l’a éduquée, elle ne se sent pas devenue étrangère à ce monde-là. Elle lui consacre de nombreuses pages dans lesquelles elle montre la richesse humaine et culturelle des siens, malmenés par la colonisation et le statut d’ouvriers « issus de l’immigration maghrébine » que la violence multiple réservée à ceux que l’on assigne à cette origine, n’a pas épargnés. Les différences sociales et culturelles qui se sont installées entre elle et eux, n’ont pas réussi à lui voler son respect et son attachement affectueux toujours vif.

Tout en étant consciente de l’usage dangereux qui peut être fait de son parcours : « la preuve que c’est possible ! », Nesrine Slaoui pense que ça vaut le coup de raconter des parcours déviants comme le sien, car ils peuvent permettre à d’autres de nourrir des espoirs et de prendre de la force pour s’engager sur le chemin escarpé de la réussite scolaire de haut niveau, même si seule une école exigeante réellement démocratique peut assurer une telle réussite pour tous.

Cet ouvrage de Nesrine Slaoui s’inscrit dans une littérature qui, au travers d’une histoire singulière, se hisse au niveau d’un riche dévoilement sociologique.

[Publié dans l’Humanité du jeudi 25 février 2021]