Accueil > Repères > Des diplômes aux certifications professionnelles, dirigé par Fabienne (...)

Des diplômes aux certifications professionnelles, dirigé par Fabienne Maillard

Un ouvrage collectif paru aux PUR en 2008

lundi 20 avril 2009, par Tristan Poullaouec

Dirigé par Fabienne Maillard, à l’époque responsable d’un programme de recherches au Ministère de l’Éducation nationale, cet ouvrage collectif est le fruit d’un séminaire organisé de 2004 à 2006 par la Direction générale de l’enseignement scolaire en collaboration avec le Céreq et la MSH Ange-Guépin de Nantes. Il rassemble les travaux de 14 chercheurs en droit, en économie, en histoire et en sociologie [1] autour de la nouvelle emprise de la certification professionnelle des compétences sur les institutions d’enseignement.

Plus précisément, les textes réunis dans ce livre ont comme point de départ commun une interrogation sur la concurrence faite aux diplômes de l’Éducation nationale par les nouveaux dispositifs et les nouvelles normes de certification professionnelle apparus depuis les années 1980 : CQP (Certificat de Qualification Professionnelle), VAP (Validation des Acquis Professionnels), Plan de Formation d’Établissement (PFE), Validation des Acquis de l’Expérience (VAE), RNCP (Répertoire National des Certifications Professionnelles), DIF (Droit Individuel à la Formation)… Ce foisonnement des sigles symbolise assez bien la complexité de ce vaste champ de la certification, souvent aussi peu transparent pour ses utilisateurs ordinaires que pour les chercheurs non spécialistes de ces questions, même lorsqu’ils s’intéressent de près aux faits scolaires. Ces derniers ne peuvent cependant rester indifférents à la nouvelle conception du diplôme portée par les dispositifs décrits dans l’ouvrage : depuis 2002, celui-ci ne vient plus forcément sanctionner une formation explicite, un « apprentissage méthodique et complet » mais est assimilé à une certification professionnelle comme une autre, révélant des compétences acquises par l’expérience, quelle qu’elle soit.

Prenant place aux côtés d’autres publications collectives sur des thématiques proches qui regroupent souvent le même réseau de chercheurs [2], ce nouvel état des lieux met en œuvre trois partis pris de recherche. Il défend premièrement une approche critique de ces objets « volontiers fédérateurs », qui se sont installés dans le paysage social de façon presque consensuelle, voire enthousiaste, « au nom des principes d’équité, de protection des individus sur le marché du travail grâce à la sécurisation de leurs parcours, mais aussi de la hausse du niveau des qualifications professionnelles, de transparence des qualifications et de fluidité du marché du travail » (p. 15). Il implique ensuite une mise en perspective historique permanente. Le rappel de la longue genèse du modèle des diplômes professionnels en France et de sa légitimité « durement acquise » (p. 21) entre la fin du XIXe siècle et les années 1960 (G. Brucy) souligne ainsi par contraste la rapidité et l’ambivalence des transformations survenues depuis les années 1980, lorsque « la prise de puissance du diplôme » a paradoxalement « conduit à l’expansion de la ‘certification’ » (F. Maillard, p. 21). Enfin, l’ouvrage confirme l’intérêt et la nécessité de rapprocher différents angles d’analyse en mettant en commun les apports de plusieurs disciplines scientifiques sur ces questions trop souvent « fragmentées ». Sans prétendre à l’exhaustivité, il montre bien l’articulation des enjeux de formation avec les enjeux économiques, juridiques et politiques au sein du nouvel « ordre certificatoire » (p. 16) à plusieurs facettes qui se dessine : dissociation tendancielle entre formation et certification, diversification des voies d’accès aux certifications, évaluation individualisée des compétences dans le monde du travail, multiplication des organismes de certification, responsabilisation des travailleurs dans la gestion de leurs parcours…

Plutôt qu’un compte rendu détaillé de cet ouvrage, livrons ici une sélection subjective des résultats importants qui y sont développés, sans préjuger des autres intérêts que ses lecteurs y trouveront probablement. Sa première partie cherche à dénaturaliser les vertus aujourd’hui prêtées aux diplômes en montrant tout d’abord les batailles dont les titres de l’enseignement professionnel ont fait l’objet entre le patronat et la Direction de l’Enseignement Technique. Deux stratégies sont ainsi mises à jour par G. Brucy parmi les employeurs. Les représentants de l’artisanat et des industries textiles se sont opposés à la validité nationale des diplômes en lui préférant « des certifications spécifiques à une région ou à une branche ». La fraction moderniste des patrons de la métallurgie, de la chimie ou de l’aéronautique a au contraire accepté la prise en charge des formations professionnelles par l’institution scolaire tout en s’opposant à une « quelconque automaticité de leur reconnaissance » (p. 44). Au terme de son analyse de la loi de modernisation sociale de janvier 2002, P. Caillaud met en garde contre l’assimilation des diplômes et des certifications qu’elle institue. Si le diplôme sert paradoxalement de modèle à l’élaboration d’un statut juridique de la certification par un transfert de principes de droit public vers le droit privé, l’introuvable réalité juridique commune entre des certifications très hétérogènes (depuis les diplômes d’État jusqu’aux habilitations techniques de sécurité en passant par le BAFA) risque selon lui de miner les fondements mêmes des diplômes, et tout particulièrement leur caractère étatique.

La seconde partie s’attache à décrire les effets réels ou probables des nouveaux dispositifs de certification, en commençant par étudier le fonctionnement de la Commission Technique d’Homologation entre 1971 et 2002, avant son remplacement par la Commission Nationale de la Certification Professionnelle (P. Veneau, D. Maillard). Ainsi, sous l’effet de l’essor des nouvelles certifications, les diplômes de l’Éducation nationale ne sont plus le premier principe organisateur de la CTH : la priorité est désormais donnée aux registres de la qualification et des débouchés dans les critères d’homologation des titres. À l’instar du LMD et de ses ECTS dans l’enseignement supérieur, un système européen de transferts des acquis des apprentissages professionnels réalisés en formation initiale ou continue (ECVET) est en passe d’être instauré. M. Ourtau y consacre un chapitre où il analyse l’impact de ces certifications européennes sur les diplômes français à partir du cas de la maintenance aéronautique.
La troisième et dernière partie du livre se centre enfin sur les débats entre les représentants du patronat et les syndicats de salariés auxquels donne lieu la montée des nouvelles certifications. Si ces acteurs sont de longue date très impliqués dans la définition et la reconnaissance des titres professionnels, l’espace de la certification élargit aujourd’hui leur champ d’action. Depuis 2001, la CGT promeut ainsi une sécurité sociale professionnelle où le transfert des qualifications, des compétences et des droits à la formation jouerait un rôle crucial. C. Labruyère et J. Teissier montrent à la fois la convergence progressive entre ces acteurs sur la notion de « portage individuel de la qualification » et le maintien de leurs divergences quant à la reconnaissance des certifications sous forme de qualifications et de rémunérations. F. Neyrat arrive au même type de constat en se focalisant sur la VAE, dont il doute qu’elle puisse être utile à une « improbable sécurisation » des trajectoires professionnelles (p. 283).

Particulièrement dense et riche en informations, ce livre bien documenté par des recherches empiriques de première main devient vite indispensable à qui souhaite déchiffrer l’univers complexe et mouvant de la certification. Il constitue ainsi un précieux apport aux diverses sciences de l’éducation qui s’intéressent à la question vive de la place des diplômes dans nos sociétés. Regrettons cependant que l’ouvrage reste d’un abord parfois difficile, malgré le bel effort de synthèse fourni dans les introductions et la conclusion.

(note critique à paraitre dans la Revue française de pédagogie)


[1Guy Brucy, Pascal Caillaud, Françoise Dauty, Bernard Fourcade, Joachim Haas, Chantal Labruyère, Fabienne Maillard, Dominique Maillard, Frédéric Neyrat, Maurice Ourteau, Emmanuel Quenson, José Rose, Josiane Teissier, Patrick Veneau

[2Moreau, Gilles, (dir.), (2002), Les patrons, l’État et la formation des jeunes, La Dispute, Paris ; Neyrat, Frédéric, (dir.), (2007), La validation des acquis de l’expérience : la reconnaissance d’un droit, éditions du Croquant, Bellecombe-en-Bauge ; Brucy, Guy, Caillaud, Pascal, Quenson, Emmanuel, Tanguy, Lucie, (2007), Former pour réformer. Retours sur la formation permanente (1945-2004), La Découverte, Paris