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Éducation : crise systémique et perspectives

mardi 17 février 2009, par José Tovar

Crise de croissance ou crise systémique ? La question n’est pas que rhétorique. En effet, le système éducatif, dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est entré dans une crise profonde depuis plus d’une décennie s’est tout de même révélé capable de passer de 5% d’une génération d’élèves au baccalauréat en 1950 à 63% aujourd’hui.. Pour autant, des voix nombreuses se sont élevées pour proclamer que ce progrès avait été réalisé au prix d’une « baisse de niveau » généralisée des performances des élèves, et l’objectif des 80% fixé par la loi de 1989 n’a pas été atteint, alors que le taux d’accès à un baccalauréat ne progresse plus depuis le milieu des années 90. Alors, crise de croissance ou crise de système ? selon le diagnostic, les réponses ne seront évidemment pas les mêmes.

À une époque où la composante intellectuelle du travail devient de plus en plus importante, où la séparation des tâches de conception et d’exécution tend à être dépassée, où la perspective d’une formation continue tout au long de la vie tend à s’imposer comme une composante de plus en plus incontournable du processus de travail lui même, les enjeux de la question scolaire pour le développement économique, social et humain sont à l’évidence décisifs.

L’acharnement mis par le gouvernement Sarkozy à vouloir imposer des réformes du système éducatif totalement dictées par une ligne idéologique en grande partie déconnectée des réalités peut paraître à première vue aberrant, voire suicidaire. On ne peut le comprendre – et prétendre construire une contre offensive ayant quelque chance de succès - sans revenir à l’analyse d’un système fondé sur la compétition et la sélection des élites au détriment de la grande masse des jeunes. Ce système est aujourd’hui à bout de souffle. Il appelle des changements profonds tant du point de vue des contenus d’enseignement qu’il est chargé de transmettre aux jeunes générations que de ses structures et de ses modes de fonctionnement. C’est tout l’enjeu des batailles actuelles.

I : Retour sur Histoire.

La caractéristique majeure du système éducatif français réside depuis toujours dans le cloisonnement entre l’école pour l’élite par laquelle il faut passer si l’on veut accéder aux postes de responsabilités, économiques, sociales, culturelles, et l’école pour la masse qui formait les travailleurs d’exécution hier via l’école primaire avec en perspective le certif puis l’école professionnelle et le CAP, qui les forme aujourd’hui via les voies différenciées du lycée, générales, technologiques et professionnelles.

C’est ce cloisonnement que l’instauration de l’école unique à partir de 1959 prétendait bousculer en scolarisant tous les élèves sortant de l’école primaire dans les mêmes établissements de premier cycle du second degré : les CES au recrutement sectorisé en fonction du lieu de résidence, système étendu aux lycées quelques années plus tard.

Mais dans le même temps, étaient mis en place des modalités de sélection internes extrêmement rigoureux : filières, système d’évaluation et d’orientation ; le système – gestion de la massification oblige – déboucha sur un enseignement supérieur renforcé dans son caractère inégalitaire, entre universités et grandes écoles au recrutement de plus en plus ségrégatif.

De fait, le principe de l’école unique posait le droit de chacun à tous les parcours scolaires. Fonctionnant jusqu’à la classe de troisième, c’est à dire grosso modo sur toute la durée de la scolarité obligatoire, il prétendait ainsi mettre en œuvre le principe de « l’égalité des chances » préconisé en son temps par le programme du CNR et le plan Langevin Wallon.

Beaucoup de partisans de la démocratisation scolaire ont cru à cette époque que la mise en place de l’école unique aurait des effets démocratiques au sens où elle réduirait les inégalités sociales devant l’école ; en réalité, à quelques nuances près, les écarts sont restés les mêmes, quel que soit l’indicateur que l’on prenne ( obtention du baccalauréat ; accès aux grandes écoles ; accès à la culture ou à un emploi gratifiant … ). Ainsi, par exemple, si le taux d’élèves arrivant au niveau du baccalauréat est passé de 5% en 1950 à 63% en 1998, l’essentiel de cette progression est dû à la création des baccalauréats technologiques et professionnels dans lesquels on retrouve très majoritairement les élèves issus de milieux populaires. Dans les années 60, 11% des enfants d’ouvriers et 56% des enfants de cadres obtenaient un bac d’enseignement général : ; aujourd’hui les chances d’obtenir un bac d’enseignement général ont doublé pour les enfants d’ouvriers (22%) mais dans le même temps elles sont passées pour les enfants de cadres à 72% ; Le curseur a bougé ; le niveau de formation des jeunes s’est globalement élevé de façon indéniable, mais la sélection sociale par le savoir et la formation continue à être conforme à celle qui résulte des inégalités sociales d’origine.

Jusqu’au début des années 90 – c’est à dire tant que la progression du taux global d’accès des élèves au bac n’a cessé de croître - le système était globalement jugé satisfaisant par la grande majorité des acteurs sociaux, y compris parents et enseignants. Dans ce cadre, une forte proportion d’élèves ne bénéficiaient pourtant pas de cette progression et furent déclarés « en échec scolaire » ( l’expression même date de cette époque ). La crise de l’emploi se développant, ces jeunes se retrouvaient de plus en plus souvent en difficulté pour s’insérer socialement, en particulier sur le marché du travail. C’est ce qui explique que de multiples réformes se soient enchaînées au fil des années, créant des dispositifs censés « lutter contre l’échec scolaire », notamment avec la politique des ZEP après 1981. Avec des succès incontestables, il faut le reconnaître, mais de moins en moins probants au fur et à mesure que s’aiguisait la crise de l’emploi, malgré un investissement professionnel considérable des personnel, notamment des enseignants. Au total, une proportion constante au fil des années d’environ 15% des élèves sortant de l’école primaire est considérée comme étant « en difficulté scolaire lourde », et il en est de même à l’issue du collège. Et si 63% des jeunes obtiennent aujourd’hui un baccalauréat, ce chiffre masque la baisse globale des recrutements dans les filières générales – celles qui préparent le mieux aux études supérieures - qui passent de 37% à moins de 34% ; les bacs technologiques stagnant autour de 17% et surtout les filières professionnelles progressant de 8% à près de 15% en 2006, ce qui signifie clairement un renforcement des inégalités. Insensiblement, on est passé de la « lutte contre l’échec scolaire » à la gestion des élèves en difficulté scolaire, notamment au moyen du système d’orientation vers l’apprentissage ou les filières technologiques et professionnelles débouchant sur les métiers du tertiaire. Et selon les statistiques officielles, plus de 150 000 jeunes sortent encore chaque année du système scolaire sur le marché du travail sans aucune qualification attestée, à une époque où la possession d’un diplôme est devenue une condition quasiment incontournable d’accès à l’emploi.

Ajoutons que l’échec scolaire en question s’est de plus en plus concentré dans des zones géographiques et des établissements bien repérables : les « ghettos scolaires » des grandes banlieues urbaines notamment, générant une inquiétude des couches sociales dites « moyennes » ou « moyennes supérieures » qui , ( à commencer par les enseignants ), ont multiplié les pressions et procédures visant à permettre à leur progéniture de contourner la carte scolaire, allant même, parfois, jusqu’à délocaliser leur lieu de résidence principale, accentuant ainsi de fait les ségrégations spatiales déjà à l’œuvre.

On comprend dans ces conditions pourquoi le mythe de l’école égalitaire s’est effondré et que – selon une enquête menée à l’initiative de la FSU au début des années 2000 - une majorité d’enseignants est convaincue que tous les élèves n’ont pas les aptitudes requises pour faire des études et cautionnent – plus ou moins consciemment – les modes de fonctionnement ségrégatifs de notre système éducatif. Fondée largement sur l’expérience vécue de ces dernières décennies, la théorie du « Handicap socio-culturel » a aujourd’hui remplacé l’ancienne théorie des dons pour justifier les inégalités scolaires.

Aujourd’hui encore, après quarante ans de fonctionnement de cette école unique, on continue – dans le meilleur des cas - à lui reprocher de ne pas jouer son rôle et de ne pas assurer l’égalité des chances alors qu’elle n’est pas conçue pour cela…

A gauche, au niveau syndical comme au niveau politique, on met en cause pour l’essentiel la responsabilité des politiques budgétaires et le manque de moyens, notamment l’insuffisance des postes d’enseignants dont souffre l’école pour assurer un encadrement pédagogiquement efficace des élèves. Il n’est pas question ici de nier cette réalité et la légitimité de ces revendications. Elles ne sauraient pourtant occulter le fait que la politique de limitation drastique des sommes investies par l’état (budgets des collectivités territoriales compris) dans l’éducation n’est qu’un aspect du compromis historique implicite à l’œuvre sur la question scolaire depuis le début des années 60 entre les forces de la droite et du patronat - contraintes par les exigences du développement économique à promouvoir l’élévation générale des niveaux de qualification des salariés - et les forces de progrès bataillant pour plus de justice sociale, c’est à dire pour… l’égalité des chances qui resterait à réaliser, alors que toutes les expériences menées au fil des années ont montré que la baisse des effectifs par classe était insuffisante, à elle seule, pour installer les élèves en difficulté dans une perspective de réussite scolaire. A l’évidence, il fallait réunir aussi d’autres conditions, essentiellement d’ordre pédagogique, ce qui posait – entre autres – la question de la formation des maîtres.

Du coté des forces conservatrices, la bataille s’est rapidement focalisée sur la nécessité de préserver la qualité du système éducatif face aux dégradations consécutives à l’irruption, dans un système scolaire fondamentalement inchangé, de dizaines de milliers d’élèves peu adaptés aux exigences des études longues qui entraîneraient par une sorte d’effet de contagion, une « baisse généralisée du niveau scolaire » dangereuse pour les élites elles mêmes. Mais – peut-être du fait des conditions particulières à la bataille laïque remise au premier plan dès les années 1950 et, du coup, de la centration excessive sous l’influence du CNAL sur les aspects idéologiques et politiques du débat - la bataille de la qualité ne fut qu’insuffisamment assumée par la gauche qui, pour l’essentiel, persista dans une stratégie fondée sur la défense de l’existant, à améliorer, certes, mais avant tout à préserver à tout prix. On opposa alors l’école publique ( l’école de l’égalité des chances ) à l’école privée ( l’école « de la liberté » de choix des familles exigeant une qualité éducative que le service public n’était pas en mesure de satisfaire ) . La question des conditions à remplir afin que la massification du système éducatif soit synonyme de qualité pour tous restait secondaire . On connaît la suite.

Et c’est par un formidable détournement de cette revendication d’ une école de l’égalité des chances – déclarée aujourd’hui en crise profonde et qu’il faudrait rénover par une mise en extinction des errements « pédagogistes » de la période récente et un retour aux « fondamentaux de l’école de la république » - que le président Sarkozy et son ministre s’autorisent depuis près de deux ans à multiplier des réformes dont tous les acteurs de l’école s’accordent à reconnaître le caractère profondément rétrograde et destructeur… en tentant de survaloriser, dans le fonctionnement même de l’institution scolaire, des valeurs autrefois essentiellement portées par les forces de progrès et par une large majorité des enseignants eux mêmes : la préservation d’une culture générale répondant aux standards des classes dominantes, le courage et le travail, la sélection des élites par le mérite individuel, chaque situation d’échec étant renvoyée non pas aux insuffisances du système, mais aux particularités et donc à la responsabilité de chacun.

II : Eléments d’ une crise systémique.

2-1 : Les transformations profondes du public scolaire

L’allongement des études pour des générations nouvelles de jeunes issus de milieux populaires et l’ouverture du second degré à des catégories de la population de plus en plus éloignées du modèle culturel et des modes de fonctionnement dominants dans l’univers scolaire se sont produits sans qu’à aucun moment ces modèles ne soient remis en cause par les partisans de la démocratisation, car il était « naturellement » positif que la culture scolaire, qui était jusque là restée l’apanage des élites, soit enfin mise à la portée de la masse des jeunes. Les efforts faits pour adapter contenus et méthodes d’enseignement à ces nouveaux publics sont restés très limités, portant pour l’essentiel sur la recherche de stratégies compensatoires périphériques aux savoirs scolaires ( Projets éducatifs ) censées permettre à ces jeunes d’accéder à la culture. Or si cette culture a du sens pour les enfants de la bourgeoisie, elle n’en a pas forcément pour ces nouveaux élèves confrontés à des modes de pensée et d’être qui leur sont étrangers. Les conditions d’accès aux prérequis langagiers et à une culture écrite de qualité à l’école primaire, par exemple, n’ont été que très peu travaillés par l’institution. Dans ce conditions, la « motivation » pour produire l’effort intellectuel soutenu et régulier qu’impliquent la plupart des apprentissages scolaires, d’autant plus important qu’il est censé venir « combler un retard » et pallier à des « déficiences culturelles » n’a rien d’évident, d’autant que les conditions d’existence auxquelles la plupart de ces jeunes sont confrontés ( logement, rythmes de vie … et multiplicité des sollicitations autres, notamment médiatiques ) sont souvent loin d’être favorables. Par ailleurs, dans le même temps, la possibilité, voire le droit à la réussite sont largement banalisés hors et dans l’école elle même. Des modes de vie largement factices dans un système de surconsommation où le désir et le ludique sont quotidiennement exacerbés et manipulés, autorisant de grands espoirs de promotion sociale et de réalisation personnelle sont quotidiennement proposés aux élèves alors que leur impossibilité réelle est régulièrement vérifiée et incomprise. A un âge où l’on se construit son identité personnelle souvent par opposition au monde des adultes, ces jeunes sont plongés dans un système éducatif qu’ils ne comprennent pas et qui ne les comprend pas, où ils subissent dès l’école primaire une insécurité scolaire faite au quotidien de multiples humiliations, prélude à une insécurité sociale dont ils perçoivent par ailleurs les effets dévastateurs. D’où le ressentiment, l’amertume, les phénomènes de « refus d’apprendre » une culture scolaire largement délégitimée, et parfois la révolte de ceux qui acceptent mal d’être les victimes d’une situation vécue comme une injustice individuelle. Devant cette situation, force est de constater que l’institution scolaire comme les enseignants sont largement démunis Enfin, les enseignants, dans leur très grande majorité, n’ont pas été préparés professionnellement à cette transformation radicale des conditions dans lesquelles ils devaient exercer leur métier et ils s’épuisent, depuis de longues décennies, à expérimenter tant bien que mal des démarches et dispositifs pédagogiques plus ou moins bien maîtrisés tout en exigeant - en vain - des diminutions d’effectifs par classe permettant de rendre l’exercice du métier moins épuisant. Dans ces conditions, même la formation pédagogique initiale reçue dans les IUFM perdait de sa crédibilité, et la suppression des Instituts de Formation des Maîtres décidée par le gouvernement semblaient, jusqu’à une date très récente, être entérinée sans grande réaction des premiers intéressés.

2-2 : Les « mensonges » d’un système

De la maternelle à l’université, l’élève suit un parcours scolaire balisé d’épreuves successives. Le système, fondé sur une succession ininterrompue d’évaluations dès l’école maternelle et tout au long de la scolarité, organise le classement puis l’affectation dans des structures de plus en plus sélectives ( classes, puis filières, établissements… ) censés répondre au mieux aux capacités et aux besoins constatés. Au final, c’est l’orientation vers des « voies de formation » pratiquement étanches : voie technologique ou voie professionnelle pour les élèves en difficulté, voie généraliste pour les élèves jugés en mesure de se confronter aux nécessités de la théorisation et de l’abstraction ; et répartition selon les goût et surtout les capacités appréciées par le conseil de classe entre les filières au sein de chacune des voies. Il s’agit bien d’un processus de décantation progressive, l’école assumant aujourd’hui une fonction autrefois assurée par la société elle même, lorsque les enfants d’ouvriers passaient le certificat d’études primaires et se dirigeaient ensuite , sauf exceptions, « spontanément » vers l’apprentissage d’un métier . Les enfants de la bourgeoisie allaient, eux, tout aussi « spontanément » vers les lycée et les études supérieures. Les choses étaient claires, et clairement assumées par les familles : on devenait ouvrier parce que c’était le destin « normal » d’un enfant d’ouvrier, etc. Mais il n’en va plus de même depuis le développement de la crise sociale des années 80/90 où le chômage de masse et l’instabilité de l’emploi alimentent une exigence consumériste d’ « efficacité » et de « rentabilité » de la formation. Crise économique et dévalorisation du travail manuel d’un coté, sélection et orientation par l’échec vers le technique ou le professionnel de l’autre se sont conjugués pour entraîner une stigmatisation des enseignements professionnels vécus par les jeunes et leurs familles comme des voies de l’échec scolaire.

Le problème est que non seulement l’enseignement professionnel souffre d’un taux d’échec scolaire très important ( plus de 40% des élèves entrés en LP en sortent en cours de scolarité, sans diplôme, et nombre de formations offertes , notamment dans le secteur tertiaire ne débouchent que très difficilement sur l’emploi ), mais que, de plus, même l’enseignement général au lycée est entré dans une dangereuse crise d’efficacité. La part des terminales générales tend à diminuer au profit des filières professionnelles. Les enseignements scientifiques voient leurs effectifs se maintenir sans progresser, mais s’effondrent au niveau universitaire, et les enseignements dits « littéraires » ( menant vers des études en sciences humaines ) ne cessent de perdre des élèves, seule la filière « économique et sociale » tirant son épingle du jeu. En fait, les élèves et leurs familles choisissent une filière à l’issue du collège, ou de la classe de seconde non pas en fonction de leurs aptitudes ou de leurs penchants pour un domaine de formation précis, mais en fonction de leur sélectivité, réelle ou supposée, et des possibilités qu’elles ouvrent de poursuite d’études. Et même chez les élèves « qui réussissent », des acquisitions incertaines dans certains domaines de culture générale compromettent la qualité des qualifications obtenues.

Par ailleurs, la formation professionnelle initiale fait aujourd’hui l’objet d’interrogations multiples et contradictoires liées aux nouvelles exigences d’élévation des qualifications, à l’importance de plus en plus grande prise par la composante culturelle et généraliste des connaissances et compétences nécessaires pour faire face aux transformations des contenus mêmes des métiers, à l’importance des diplômes dans l’accès à l’emploi mais aussi, et de plus en plus, à l’évidente nécessité de concevoir le développement de la formation continue comme le prolongement d’une formation initiale de qualité.

2-3 : Lisbonne 2000 : des exigences nouvelles via l’Europe

Pour que les jeunes générations disposent d’un bagage scolaire à la hauteur des exigences de la construction de « l’ économie de la connaissance » telle que préconisée par le grand patronat et les gouvernements européens, le projet défini au sommet de Lisbonne pour 2010 était d’atteindre sur l’ensemble de l’Union européenne, 85 % d’une génération de diplômés du second cycle de l’enseignement secondaire et 50% d’une génération avec une formation de niveau licence. Cette formation devait réponde à des critères dits « de compétences » par opposition à ceux, plus traditionnels dans le monde universitaire des « savoirs » ou des « connaissances » ; les diplômes eux mêmes ( Bac pro, généraux et techniques, Licence, Master ) étant définis par des « référentiels de compétences » individualisés au maximum. D’où la stratégie poursuivie avec obstination d’autonomie et de mise en concurrence entre eux des établissements scolaires, des parcours scolaires suivis par les élèves et donc des formations et certifications délivrées. Cette stratégie est pour l’instant en échec au niveau des lycées, elle est passée mais soulève aujourd’hui une opposition grandissante au niveau des universités et de la recherche. Nous verrons de quoi demain sera fait, mais nul doute qu’une bataille essentielle se joue à ce niveau. Pour autant, en 2007, pour ce qui concerne la France, seuls 78 % d’une classe d’âge atteignait le niveau ( et non le diplôme ) du baccalauréat et à peine 30% un niveau licence… !

Nous sommes donc bien loin des objectifs affichés et la stagnation constatée ci dessus n’incite guère à l’optimisme ! peut être faut il voir là l’explication de la fébrilité du gouvernement du président Sarkozy à vouloir imposer aux forceps des réformes, de l’école élémentaire, des lycées, de la formation des maîtres, de l’université, etc... dont personne ne veut ? Les choix fondamentaux liés à la conception même des savoirs scolaires et à la démocratisation du système éducatif sont donc aujourd’hui au cœur d’une batailles politique décisive pour l’avenir de la société.

III : Comment débloquer la situation ?

Il faut sortir de l’ impasse théorique et politique qui compromet aujourd’hui les capacités de développement de la société. Il y a bien, en effet, crise structurelle de cette école, car elle se révèle incapable d’exprimer la dynamique des savoirs résultant de l’Histoire combinée à l’expérience sociale des populations auxquelles elle s’adresse. Elle n’est pas, en l’état, en mesure de répondre aux exigences nouvelles résultant des évolutions sociales, économiques et culturelles de son époque. Il est donc nécessaire de répondre à la question : que faut-il non pas améliorer dans le fonctionnement de cette école qui reste, selon la formule de Bourdieu en 1964 une « école de la reproduction » mais changer radicalement dans les structures même d’organisation et de fonctionnement de cette école.

3-1 : En finir avec l’école de la sélection

L’école unique organise la mise en concurrence systématique des élèves, qui sont évalués dès la petite section de maternelle. « Mais en quoi les apprentissages de la culture écrite , que ce soit à l’école maternelle ou plus avant, à l’école, au collège ou au lycée, exigent-ils des notes, des classements, et des hiérarchies » interroge J P Terrail, chercheur en sciences de l’éducation ? La mise en concurrence se traduit immanquablement par le classement, la sélection par l’orientation . On doit admettre, dès lors, que « la suppression radicale de la concurrence entre les élèves est la première condition de toute entreprise de démocratisation scolaire » . Sa réalisation implique la mise en place, dans le cadre d’une véritable école commune, de la maternelle ( dès deux ans ) jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire (et porter celle-ci à 18 ans prendrait acte de la situation actuelle), d’un tronc commun complété à des niveaux dont il reste à réfléchir la pertinence par des modules ( ou options ) permettant une personnalisation éventuelle de la formation . Elle implique aussi la suppression de toutes les modalités de remédiations ou compensations pénalisantes (redoublement, enseignement spécialisé, classes de niveau, etc. ) au profit de soutiens ponctuels et personnalisés. Les enseignants débarrassés des tâches de sélection seraient ainsi rendus à leur véritable mission de transmission des connaissances, et les jeunes pourraient apprendre autrement que sous la pression permanente de l’idéologie de la compétition et de la « rentabilité » des études. Il s’agirait là d’une véritable révolution culturelle dans la conception même de notre système éducatif, et il faudrait naturellement avancer prudemment vers cette transformation, en définir des étapes, peut-être des limites. Mais après tout, les systèmes scolaires relativement performants de Norvège ou de Finlande ont bien réussi à mettre en place un tronc commun de ce type, sans redoublements ni filières…

Une telle ambition implique que les enseignants soient mis en capacité d’élaborer dès l’école maternelle les façons d’apprendre les plus adaptées aux spécificités des publics d’élèves auxquels ils ont affaire. Il faut à cet effet concevoir des formations pédagogiques (initiale et permanente) de très haut niveau, directement en relation avec les avancées de la recherche en sciences de l’éducation, à l’opposé de ce que tente aujourd’hui d’imposer le gouvernement Sarkozy.

3-2 : Contre les spécialisations précoces, repenser la culture scolaire

L’instauration d’une véritable école commune en France passe d’évidence par un remaniement d’ensemble des contenus et des pratiques d’enseignement intégrant des pans entiers de cultures aujourd’hui délaissées, notamment celles issues des pratiques sociales et professionnelles. La définition des contenus de l’enseignement commun, autrement dit de la culture commune qu’il convient de transmettre aux jeunes générations, n’est pas chose aisée. Elle mériterait le plus large débat public.

3-3 : Pour une gestion démocratique de l’institution scolaire à tous les niveaux

Il ne pourra y avoir de transformation progressiste du système scolaire d’une telle ampleur sans l’adhésion active des différents acteurs de l’école à un projet partagé : personnels éducatifs, parents et élèves dans des établissements qui soient de véritables lieux de citoyenneté active pour tous. Il faut rompre avec la caporalisation rampante du système, au profit d’une conception partenariale entre la société, les familles et les jeunes eux-mêmes.

À

Messages

  • Cet article de M. José Tovar, riche de bon sens et très pertinent sur bien des points, me laisse perplexe néanmoins sur la question du "déblocage de la situation". L’idée d’associer tous les "partenaires de la communauté éducative" (certes, je note qu’il est dit "institution scolaire" et non communauté ou "école du Vivre ensemble")dans un projet citoyen de transformation du système actuel en pleine débâcle, me paraît être le meilleur moyen pour n’y point parvenir.
    On trouve cette idée dans l’Appel effrayant de Bobigny. La raison est la suivante : les catégories sociales qui tirent encore un bénéfice de l’école actuelle feront tout pour s’opposer à la création de cette école commune. Elles ont trop à y perdre. On ne décrète pas par Oukaze la fin de la concurrence acharnée entre les classes, les catégories, les groupes et même les individus. Le principe compétitif est à la base du capitalisme. Qui, à ma connaissance est l’ordre sur lequel repose nos sociétés de plus en plus déchirées, de moins en moins "intégratives". Nous ne sommes pas dans ce petit pays du Nord de l’Europe entre la Suède et la Russie.
    Bien cordialement.

    • Pour le dire en forçant le trait, on pourrait résumer votre propos dans une formule quelque peu lapidaire : "On n’y peut rien". En conséquence de quoi, soit on laisse filer et qui vivra verra (appréciation pessimiste ) ; soit on s’efforce de colmater quelques brèches, par l’application de réformes partielles qui ne changent rien sur le fond mais qui sont susceptibles d’ aider quelques individualités à s’en sortir malgré tout ( version optimiste : c’est celle, par exemple, des nouvelles formes de la méritocratie ). Il est clair que la réflexion et les pistes ouvertes par ce texte ne s’inscrivent dans aucune de ces deux perspectives. Je voudrais montrer pourquoi je pense qu’il y a une autre manière de poser le problème tout à fait crédible à partir de vos deux remarques principales.

      1) : « les catégories sociales qui tirent encore un bénéfice de l’école actuelle feront tout pour s’opposer à la création de cette école commune. ». La question est de savoir quelles sont ces catégories sociales, quelle importance représentent-elles socialement (et accessoirement, sur un plan numérique), et surtout si elles ont un avis si tranché et si homogène que vous semblez le suggérer ? Autrement dit : il n’est pas certain que, y compris du point de vue de ceux auxquels vous faites allusion (c’est à dire, je suppose, la haute bourgeoisie, celle qui détient les leviers du pouvoir et quelques fractions des couches moyennes-supérieures intégrées dans leur fonctionnement économique et social) on soit si satisfait que cela de l’état du système éducatif. On ne comprendrait pas, sinon, pourquoi l’OCDE et les instances européennes se donnent tant de mal pour inciter les gouvernements des pays européens à réformer le système dans l’objectif d’améliorer la compétitivité de l’économie ou, sur un autre registre, pourquoi une pléiade de scientifiques de renom, par exemple, tiraient récemment la sonnette d’alarme devant les conséquences prévisibles désastreuses de la réforme des lycées qui entraîne une diminution des horaires en mathématiques et risque à terme de mettre en danger la compétitivité des entreprises nationales et européennes du fait du niveau insuffisant de nos ingénieurs et de nos chercheurs dans les disciplines scientifiques ?
      Ma conviction, en vérité, est que l’inquiétude devant les insuffisances grandissantes de notre système éducatif ( voir résultats de enquêtes PISA ) gagnent aujourd’hui les couches les plus aisées de la population, celles qui détiennent les leviers des pouvoirs ( économique , social, culturel…) et que cette situation crée des conditions de plus en plus favorables à une remise en question des principes qui organisent l’école actuelle, et donc d’une alliance politique entre tous ceux, de plus en plus nombreux, qu’un changement de perspective intéresse. C’est aussi à ceux là que s’adresse notre proposition de démocratisation du système

      Par ailleurs, je maintiens que toute réforme d’ampleur du système éducatif ne peut réussir que si elle est portée par un mouvement majoritaire parmi les personnels du système éducatif et ses usagers. A contrario, si tel n’est pas le cas, l’histoire de ces dernières décennies montre que c’est l’échec assuré

      2 ) : « Le principe compétitif est à la base du capitalisme. Qui, à ma connaissance est l’ordre sur lequel repose nos sociétés de plus en plus déchirées, de moins en moins "intégratives" ». Au moins les choses sont claires : c’est bien, en effet, au système capitaliste qu’il s’agit de s’attaquer. La seule question qui vaille est alors : Comment on fait ?

      Le fond de ma pensée est qu’il faut (re)faire de la question scolaire une grande question politique, de démocratie, de citoyenneté , c’est à dire ayant à voir avec un projet de société comme ce fut le cas - toutes proportions gardées - à la fin du XIXème siècle avec la création de l’école obligatoire, ou à la libération avec le plan Langevin-Wallon. Et à l’évidence, transformer une institution comme celle-là avec autant d’implications symboliques et politiques, ne pourra se faire que si l’ensemble des acteurs et des partenaires du système éducatif s’y investissent.
      D’abord en répondant à l’urgence de se rassembler pour faire front à l’offensive libérale, sauver ce qui subsiste de meilleur dans ce système, notamment au niveau des services publics aujourd’hui menacés de démantèlement. Mais, si se battre pour la défense de l’existant, voire dans le même mouvement pour des réformes alternatives à celles que veut imposer le gouvernement en place qui sont perçues comme porteuses de dégradations est indispensable (c’est souvent le premier stade de la lutte), notre propos se situe dans un cadre plus large : il faut désormais organiser l’action pour transformer la structure même du système éducatif dans le cadre d’un projet global de transformation sociale .
      En effet, comme nous l’avons vu, gouvernement et patronat font de l’école un des outils stratégiques du projet politique de remodelage en profondeur de la société française. Les faire reculer et les battre suppose la mobilisation dans la rue, mais pas seulement. Il est urgent de mettre à l’ordre du jour la question de l’alternative aux politiques néolibérales en vigueur et de travailler à en créer les conditions, ce qui suppose d’oser s’aventurer dans des voies nouvelles, d’avoir l’audace de sortir du cadre imposé, de rompre avec les logiques intellectuelles, économiques et culturelles du capitalisme et de la société telle qu’elle est structurée. Pour cela il est impératif que tous ceux qui pensent que le système actuel ne peut que contribuer à l’aggravation des inégalités et injustices qui rendent l’air de nos sociétés de plus en plus irrespirable se rassemblent sur un projet de transformation et s’attellent à refonder une pensée novatrice qui prenne en compte les réalités du monde d’aujourd’hui.

      Je partage pour ma part, avec d’autres, une conviction : ouvrir le chantier de la transformation progressiste du système éducatif est à la fois une urgence et une des conditions du changement de société. Il faut produire l’utopie concrète de notre temps, le projet d’une école de la justice, de l’égalité et de la réussite pour tous par des formes d’éducation communes, solidaires et coopératives. C’est dans cette perspective que nous soumettons à la réflexion de tous des quelques propositions.