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Le travail enseignant. Le visible et l’invisible

mardi 30 novembre 2010, par Yves Baunay

Le travail enseignant est peu visible. Il n’en est pas moins réel et pénible.
Ce livre veut donner à voir l’invisible, souligner les tensions et les évolutions. Il veut le faire en croisant, avec le regard et l’analyse de chercheurs, la parole et les témoignages d’enseignants et de militants rencontrés pour certains lors des stages et des forums animés par le Chantier Travail de l’Institut de recherches de la Fédération syndicale unitaire (FSU).

Coordonné par Yves Baunay, Marylène Cahouet, Gérard Grosse, Michelle Olivier, Daniel Rallet.
Edité par l’Institut de Recherches de la FSU et Syllepse – 2010 – 8 Euros

L’Institut de recherches de la FSU a ouvert à l’automne 2007 un chantier sur le travail.

Un premier dossier « Changer le travail, changer la vie » a été publié dans la revue de l’Institut : « Nouveaux Regards » n°37/38. A l’époque, on était encore dans le déni de l’activité de travail : cet aspect largement invisible du travail. L’Institut avait alors entrepris de mener sa recherche avec les chercheurs en ergonomie (Dominique Cau-Bareille et Laurence Théry), psychologie du travail (Yves Clot, Jean-Luc Roger), en psycho-sociologie du travail (Dominique Lhuilier), en psycho-dynamique du travail (Christophe Dejours, Philippe Davezies), en ergologie (Yves Schwartz, Jacques Duraffourg), en sociologie du travail (Danièle Linhart, Marie-Anne Dujarier)… Les travaux de ces chercheurs et ceux de quelques intervenants comme Christine Castejon, puis Cécile Briec, nous ont aidé à dévoiler les enjeux anthropologiques du travail, notamment du travail enseignant, largement ignorés du mouvement syndical comme de la recherche en sciences de l’éducation.

En s’appuyant sur les méthodes spécifiques développées pour appréhender le travail, l’Institut de la FSU a multiplié les expériences, avec des enseignants, des syndicalistes et des chercheurs pour faire émerger la parole de celles et ceux qui réalisent le travail, au delà du prescrit et des conditions concrètes, déterminées de l’extérieur.

C’est pendant cette période qu’on est passé du déni du travail à l’explosion médiatique sur le thème obligé de la « souffrance » et du « stress » au travail, à la suite des suicides chez Renault et à France-Télécom. Et le travail a émergé dans le débat public. Les termes mêmes de ce débat constituent aujourd’hui un vrai sujet de réflexion et de recherche (voir Yves Clot « Le travail à cœur » - 2010).

Le livre de l’Institut de la FSU sur le travail enseignant est tiré de ces initiatives. Il veut donner à voir l’invisible, tout ce qui se joue dans le travail réel, dans l’articulation entre les aspects micro et macro de l’activité.
Il croise le regard et l’analyse des chercheurs, la parole et les témoignages d’enseignants, les réflexions des militants syndicaux sur leur propre cheminement et leur activité syndicale.

Mais ce dévoilement n’a pas pour finalité la déploration. Il est indissociable de la volonté de transformer ce travail que l’on rend visible.
Le transformer parce que derrière, il y a des hommes et des femmes qui cherchent malgré tout à faire un travail de qualité, un travail où ils se reconnaissent, un travail reconnu par les pairs, un travail reconnu utile par la société, un travail où on se construit en construisant de la société…
Le livre est conçu comme un outil à disposition de tous ceux qui ne devraient pas ignorer que le travail n’est jamais une simple exécution de ce qui est demandé de faire. Mais un espace où se déploie la créativité de chaque acteur.

Mais pour saisir le travail réel, que d’obstacles à surmonter ! Il faut adopter une certaine posture, un certain regard sur le travail, sur le sien comme sur celui des autres. Il est nécessaire de considérer le travail comme une activité de sujets humains acteurs de leur travail, déployant un certain pouvoir d’agir, utilisant leurs propres ressources et celles du collectif :

- Une activité de sujets singuliers avec leur propre histoire, leur expérience unique, leurs valeurs, leurs savoir-faire.

- Une activité de sujets qui affrontent des situations singulières, originales, largement imprévisibles, où le réel résiste à la réalisation concrète de la tâche à accomplir.

- Une activité où les sujets, au delà des prescriptions, font des choix, mobilisent et créent des savoirs, déplient des débats de valeurs avec eux-mêmes et avec les autres dans le collectif de travail et au-delà.

- Une activité par laquelle les sujets, individuellement et collectivement, ne se contentent pas de s’adapter à leur environnement mais transforment cet environnement, transforment le collectif de travail, se transforment eux-mêmes.

Dans l’enseignement, le réel auquel est destinée l’activité, ce sont les élèves qui déploient eux-mêmes une activité d’apprentissage.
C’est en cela que chacun se construit dans son travail et en même temps construit du collectif, de la société, du vivre ensemble.
Et cela est vrai, quelle que soit l’activité professionnelle et les conditions de cette activité. Adopter ce regard sur l’activité, ne revient pas à nier les contraintes les plus ou moins dures, les obstacles provenant des conditions de travail, de l’organisation du travail, du management, de la hiérarchie…
Au contraire, il s’agit de comprendre comment, dans ces conditions spécifiques, toujours socialement situées et déterminées, les sujets réalisent malgré tout leur activité ; comment ils cherchent malgré tout à réaliser un bon et beau travail, un travail de qualité et à préserver au mieux leur santé ; comprendre ce que cela engage chez les individus, ce que cela leur coûte, ce que cela leur procure comme plaisir/ou déplaisir, satisfaction ou insatisfaction, comment cela peut développer la santé ou l’altérer…
Cette posture est nécessaire pour écouter, entendre, comprendre les sujets humains parlant de leur travail.
C’est toute cette épaisseur de l’activité qui recèle les enjeux humains du travail et fait de celui-ci un élément central dans la construction des individus, des rapports sociaux, de la culture et de la société.
Le livre peut être aussi un objet de réflexions pour tous ceux et celles qui construisent des projets de transformation de l’école comme le fait le GRDS. Les réformes scolaires actuelles sont d’abord reçues par les enseignants comme des constructions très éloignées de leur métier et du travail réel tels qu’ils le conçoivent.

Réfléchir à une transformation progressiste de l’école, c’est aussi se saisir de l’expérience professionnelle de tous les acteurs qui cherchent malgré tout à faire un travail de qualité. Plusieurs chapitres du livre montrent que ces professionnels ont une haute conception de leur métier et y mettent du leur pour lui donner corps. Dans leur activité même ils sont porteurs de réserves d’alternatives pour opérer les choix permanents qu’il faut faire pour que le travail tienne et avance malgré tout. Ils sont porteurs de débats de critères, de normes, de valeurs qui les guident pour opérer ces choix. Ils investissent des savoirs et en créent dans leur activité. C’est en cela qu’ils sont nécessairement créatifs et innovants, et font vivre le métier. Toute transformation durable de l’école doit se saisir de cette ressource essentielle contenue dans l’activité de tous ceux et celles qui par leur travail transforment le réel, pour y inscrire les principes, les valeurs, les contours d’une école de la réussite pour tous. Tout projet de transformation démocratique de l’école devra envisager les conditions à réaliser pour que l’activité de ces professionnels leur permettent de déplier individuellement et collectivement leur activité, les débats de normes et de valeurs sous-jacents, les confrontations et controverses sur le métier entre pairs.

À notre avis, toutes ces dimensions doivent être prises en comptes, dès la phase d’élaboration des projets d’école. Ça peut changer beaucoup de choses dans leurs contenus mêmes.
C’est un enjeu à la fois de démocratie et d’efficacité dans le travail politique de transformation de l’école.


Pour commander
Le livre « Le travail enseignant » 8 Euros.
S’adresser à l’Institut de Recherches de la FSU
Par mèl : institut@institut.fsu.fr
Par téléphone : 01.41.63.27.60
Par courrier : 104 Rue Romain Rolland – 93260 LES LILAS