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Vous avez dit rupture ? À propos du projet du PS pour l’Éducation
Note de lecture
vendredi 1er avril 2011, par
Précédé d’une introduction qui déclare se situer en rupture non seulement avec la politique suivie par le gouvernement de droite, mais aussi avec l’école d’avant la droite, quand le parti socialiste était au pouvoir, le projet, intitulé « Éducation et Formation pour l’égalité » se présente en trois parties : 1/ Changer l’école pour la réussite de tous ; 2/ Construire l’orientation tout au long de la vie ; et 3/ Bâtir la continuité professionnelle. Il a vocation à être une des composantes du projet politique que le PS entend proposer aux électeurs en 2012 à l’occasion de la campagne des présidentielles. Il a été adopté par la « Convention pour une égalité réelle » du PS le 11 décembre 2010.
Au niveau du diagnostic, on partagera le constat sur l’état de « crise majeure (du système scolaire) … qui impose de tout reconstruire » d’autant plus facilement qu’il prend en compte les travaux les plus récents de la recherche en éducation sur « l’incapacité du système à faire échec à la reproduction scolaire et sociale », et qui, « pire, accroît les écarts entre les jeunes des milieux défavorisés et ceux des milieux plus aisés [1] ». De même, on ne peut qu’approuver l’ambition affirmée de vouloir « changer l’école… pour l’émancipation de tous ». Enfin, on saluera la volonté de traiter globalement la question éducative comme une question politique majeure, partie essentielle d’un projet de société, ce qui implique de s’intéresser de près au rôle que peuvent jouer dans un tel projet éducatif les associations de parents d’élèves et celles d’éducation populaire ainsi que celui des collectivités territoriales, même si, expériences à l’appui, on peut légitimement s’interroger sur l’efficacité d’un projet qui n’engagera pas nécessairement le candidat PS éventuellement élu [2] et s‘inquiéter de l’absence de tout chiffrage du coût des réformes proposées « qu’il faudra mener à bien dans un contexte budgétaire et économique… de contraintes » [3]. Déjà, on pressent le pire. On voudrait bien, mais on ne peut pas : c’est la crise, il faut parer au plus pressé. Il faut préserver la compétitivité des entreprises ; Le marché… Air connu [4].
Mais une première conclusion s’impose : même s’il était appliqué, ce programme ne répond pas à la gravité de la situation. Si crise majeure il y a bien, la nature de celle ci n’est pas analysée et les mécanismes qui ont conduit aux blocages actuels sont ignorés. L’état des lieux est sommaire et relève plutôt du constat : « La hiérarchie latente entre les voies et les séries, l’absence de véritable suivi individuel et, plus généralement, la logique de sélection généralisée reviennent à abandonner à leur sort, sous couvert d’une prétendue politique d’égalité des chances, les élèves les plus en difficulté ». Fort bien, mais les questions qui fâchent ne sont pas posées : pourquoi les élèves n’apprennent ils pas ? pourquoi le plaisir d’apprendre, si évident dans les grandes classes de maternelle et les premières classes de l’école élémentaire disparaît-il si rapidement ? pourquoi plus de 20% des élèves arrivent-ils en 6ème avec de grandes difficultés en lecture et en mathématiques, au point que la perspective de toute poursuite d’études leur est d’ores et déjà rendue pratiquement inenvisageable ? Et pourquoi ce sont près de 50% des élèves qui éprouvent des difficultés plus ou moins importantes dans ces enseignements fondamentaux ? Ces problèmes ne seront pas résolus par des créations massives de postes, car ils sont bien antérieurs aux dégâts causés par les suppressions de ces dernières années. Or de leur résolution dépend toute la suite des scolarités. De même que les difficultés de l’école élémentaire n’ont pas commencé avec les programmes révisés sous le ministère Darcos. « Mis en danger par la mise en concurrence avec les écoles privées, maltraité par les politiques gouvernementales, souffrant d’un déficit de reconnaissance, notre système éducatif est, malgré d’incontestables réussites, souvent dépassé et injuste. Il nous faut donc cesser de le retoucher à la marge et entreprendre de profondes ruptures ». Exit les responsabilités du PS dans les politiques éducatives menées pendant deux décennies avant le retour de la droite au pouvoir. La volonté de rupture ainsi affirmée d’entrée de jeu vaut donc d’être interrogée.
Cela dit, le texte comporte nombre de propositions intéressantes, bien que parfois insuffisantes eu égard à l’ampleur des problèmes évoqués.
- Il en va ainsi, par exemple, de la priorité absolue accordée à l’école primaire et la proposition de porter la scolarité obligatoire à 3 ans, avec un « droit à l’école maternelle à deux ans » [5]. Partant du constat que « c’est là que l’essentiel se joue, que les inégalités peuvent être résorbées, c’est donc là qu’il faut concentrer les moyens », l’engagement est pris de « mettre à plat les programmes et les évaluations Darcos », ainsi que « d’affecter, là où cela s’avérera nécessaire, un deuxième professeur [6] dans certaines classes pour personnaliser l’enseignement ».
- Un retour à la sectorisation des recrutements des élèves s’imposera également à l’enseignement privé sous contrat, qui sera soumis, du coup, à la même obligation de mixité et diversité de recrutement que l’école publique et verra disparaître ainsi son argument essentiel dans le jeu de la concurrence entre privé et public.
On apprécie également, comme mesures positives :
- le retour à la semaine de cinq jours éducatifs comprenant des temps de loisirs culturels et sportifs organisés en lien avec les équipes enseignantes, les collectivités et organisations d’éducation populaire » [7].
- la remise en cause de la prolifération d’évaluations auxquelles sont soumis élèves et enseignants, ainsi que celle des redoublements, et la volonté de « réellement donner plus – qualitativement et quantitativement – à ceux qui en ont le plus besoin »… sur la base d’une diffusion de la « dotation non par dispositif, mais par établissement »… afin de « promouvoir des initiatives innovantes pour lutter contre l’échec scolaire ».
Toutes ces mesures sont à l’évidence de nature à rassurer la masse des enseignants et des parents d’élèves confrontés à l’invraisemblable accumulation de réformes désastreuses promues par les ministres Darcos et Chatel.
On regrettera, pourtant, que la question fondamentale des mécanismes qui, dès l’école élémentaire et tout au long de la scolarité, entraînent, qu’on le veuille ou pas, une mise en concurrence des élèves au sein même de la classe, comme des classes et des établissements entre eux, ne soit qu’à peine effleurée (le « fonctionnement par évincements successifs de notre système… la hiérarchie entre les voies et les séries… la logique de sélection généralisée… »).
Mais d’autres propositions sont plus discutables, voire franchement inquiétantes :
- Il en va ainsi, par exemple, de la formation des enseignants, qui devrait redevenir « une priorité absolue dans le cadre d’IUFM reconstruits et rénovés » mais « qui devra comprendre une part de spécialisation disciplinaire, une part de formation professionnelle… et une option dans une deuxième discipline », manière habile d’en revenir à la bivalence des enseignants du second degré indispensable pour enseigner au « collège, dernier lieu éducatif traversé par une classe d’âge » (le PS ne prévoit pas la prolongation de la scolarité obligatoire au delà des 16 ans aujourd’hui). Cette disposition converge avec la proposition que des enseignants puissent enseigner à la fois en élémentaire et au collège : « nous proposons la participation d’enseignants du primaire au collège et réciproquement dans le cadre de projets communs ».
- Dans la même veine est posée la nécessité de la stratégie de « responsabilisation accrue (des établissements et des équipes enseignantes) pour élaborer des politiques de projets et d’innovation… et ainsi garantir une transmission plus effective du socle commun », le tout dans le cadre d’une « autonomie des établissements et de leurs équipes pédagogiques à qui sera confiée une part importante de la dotation horaire globale pour donner corps au projet d’établissement et aux projets locaux ». Comme le remarque à juste titre un article du journal Le Monde [8], « c’est une nouveauté pour un parti très attaché à la dimension nationale de l’éducation ». Bien inquiétante nouveauté, en effet !
En fait, l’essentiel de ce projet réside dans l’acceptation de la stratégie développée par le gouvernement Sarkozy d’un système éducatif dual, organisé en deux grands blocs :
- D’un côté des établissements ou groupes d’établissements basés sur le rapprochement école/collège dans une continuité fondée sur le « socle commun » instauré par la loi Fillion de 2005 [9]. Cette notion – désignée également sous l’appellation de « fondation sur laquelle bâtir la suite de leur parcours scolaire », ou de « base que viendra enrichir l’ensemble des nouveaux savoirs acquis tout au long de la vie » fait l’objet d’un développement destiné manifestement à rassurer ceux qui craindraient la suppression (programmée par la droite dans sa réforme du collège) de certaines disciplines d’enseignement, ou tout au moins de volumes horaires tels que ces enseignements n’auraient plus de sens : le concept précisé devient le « socle commun de savoirs sur un champ très large de disciplines et de compétences ainsi que l’appropriation des codes et des règles de vie en société reposant sur les grandes valeurs de notre république ». Elle est manifestement à l’opposé de la notion de « culture commune de haut niveau pour tous dans le cadre d’une scolarité obligatoire portée à 18 ans » revendiquée notamment par la FSU et, à gauche, par le PCF, qui exprime une toute autre ambition [10]. Pour les anciens militants de l’ex FEN, la proposition ainsi formulée ne manquera pas de rappeler le projet d’ « école fondamentale » porté par l’ex syndicat SNI-PEGC dans les années 70/80, avec le succès que l’on sait [11]...
- D’un autre côté, le lycée qualifié « de toutes les réussites », auquel le projet accorde une attention réduite et très décevante : l’organisation du système en trois voies de formation est conservée sur la base de « parcours modulaires » et « d’unités d’enseignement constituant un portfolio de compétences ». Mis à part la volonté de rapprocher ces différentes voies de formation en les mettant progressivement en synergie dans les territoires [...], tout en conservant leurs spécificités [...] et de développer les enseignements et projets communs, la question de l’inégale valeur des formations conduisant à un baccalauréat est à peine effleurée. Rien sur les programmes, ni sur les horaires d’enseignement. En fait, cette organisation ressemble à s’y méprendre à celle instaurée par la réforme Chatel, avec « une seconde conçue comme un cycle de découverte et de transition » et les deux années suivantes comme « cycle d’orientation et de qualification ». Le projet s’inscrit clairement dans une continuité Lycée/Enseignement supérieur, sans dire un mot des inégalités qui ne cessent de se creuser entre la minorité de ceux qui accèdent aux grandes écoles et la majorité qui entrera dans les filières universitaires.
Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas de ne pas trouver dans ce projet de véritable réflexion sur la proposition de prolonger la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans, pas plus que d’une relance du service scolaire de la psychologie de l’éducation et de l’orientation des élèves… pas plus – hormis quelques proclamations de principe sur la nécessité de « remettre à plat les formations de niveau V à III - que d’une stratégie crédible de revalorisation de l’enseignement professionnel initial [12].
Enfin, après quelques développements convenus sur la nécessité de lutter contre le décrochage et garantir à tous les élèves une deuxième chance, le projet prévoit la création d’un « service public d’information et d’orientation de proximité » regroupant « les professionnels de l’orientation de l’éducation nationale avec les Missions Locales de Pôle Emploi et autres services d’orientation professionnelle » mis en place par les collectivités territoriales. Cette proposition va à l’encontre des revendications des personnels CO-psy du second degré, et introduit en fait la dernière partie du texte, importante par la place qui y est consacrée (près d’ 1/3 de l’ensemble) et le sujet, habituellement traité hors de la question des Enseignements scolaires proprement dits. On comprend vite pourquoi, puisque il est ici prévu de « faire de l’école un lieu de formation tout au long de la vie et plus généralement de la vie locale » : « les établissements scolaires devront être ouverts en soirée, le Week End, et pendant les vacances à des actions d’éducation populaire… les équipements informatiques, professionnels, les plateaux techniques, les CDI ainsi que le matériel pédagogique devront être des ressources dans le cadre de la formation tout au long de la vie ».
Au total, derrière un vocabulaire accrocheur et des propositions reprenant souvent des revendications du mouvement syndical enseignant mais restant toujours à la périphérie ou à la marge de l’essentiel, le choix est fait d’un système éducatif à deux vitesses, fortement axé sur la dimension éducative du service public [13] mais peu soucieux de la qualité et du processus de transmission des savoirs constitutifs d’une culture générale pour tous digne des enjeux de civilisation du XXIe siècle, et essentiellement préoccupé des modes de fabrication de la main d’œuvre de demain dans une conception de la division du travail dont l’inspiration se situe nettement du côté des instances européennes : un socle commun permettant à une partie des élèves ayant suivi le cursus de l’école obligatoire (école-collège) jusqu’à 16 ans d’acquérir les supposés fondamentaux permettant de s’insérer dans la société et dans le monde du travail aux niveaux de qualification des métiers d’exécution, et un ensemble Lycée/Enseignement supérieur chargé de fournir à « l’économie de la connaissance » les cadres dont celle-ci aura besoin dans la compétition internationale. Pour compléter l’ensemble, un long développement sur la nécessité d’une formation continue des travailleurs conçue comme un aspect essentiel de la stratégie de « Formation tout au long de la vie » dont on peut craindre qu’elle serve de compensation aux insuffisances de la formation initiale.
Vous aviez dit « Ruptures » ?
[1] INSEE : France, portrait social, édition 2006 ; Dossier : Les inégalités de réussite à l’école élémentaire : construction et évolution , par J. P. CAILLE et F. ROSENWALD
[2] Dans une interview au Monde de l’Éducation du 9 mars 2011, B. Julliard minimise cet aspect du problème : il estime que « tous les candidats potentiels sont d’accord sur la voie à suivre ; … notre école traverse une crise majeure, et il faut tout reconstruire… Les leaders socialistes font de ce sujet une de leurs premières priorités »
[3] Interview citée
[4] Précision : il ne s’agit pas ici de référence au texte faisant l’objet de cette étude, mais d’un discours théorique, bien que renvoyant à d’autres, bien réels, si souvent entendus…
[5] On se souvient que cette proposition faisait déjà partie – quasiment dans les mêmes termes - du projet élaboré par le PCF et son réseau école en 2005, repris dans la proposition de loi déposée par les groupes parlementaires la même année en opposition au projet de loi Fillon
[6] On reconnaît là une revendication déjà ancienne du SNUIPP.
[7] Le document fait référence à plusieurs reprises aux associations d’éducation populaire comme partenaires naturelles du système éducatif. On ne pourra s’empêcher, à cet égard, de se référer au foisonnement d’initiatives de réflexion et de propositions qui s’est développé dans différents secteurs de l’éducation populaire concernant les réformes qu’il conviendrait de mettre en œuvre dans la conception même et le fonctionnement du service public d’éducation. Lancées par une kyrielle d’associations - parfois très spécialisées, et de création récente - depuis le début des années 2000, notamment en lien avec l’adoption par la Ligue de l’Enseignement en juin 2005 de son projet « Refonder l’École, pour qu’elle soit celle de tous », elles ont produit - sur la base de force colloques et rencontres de spécialistes – un corpus abondant et diversifié. Le processus continue aujourd’hui, ouvertement destiné à élaborer une pensée nouvelle à gauche sur la question scolaire, à la suite du fiasco politique et idéologique de la période précédente marquée par le désastre du ministère de C. Allègre. Manifestement, le PS capitalise dans son projet les fruits abondants de cette réflexion.
[8] M. Baumard (responsable de la rubrique Éducation) : « Du jardin d’enfants à la fin d’une carrière : l’école rénovée selon le parti socialiste » in Le Monde, N° daté du 19 10 2010
[9] Politique développée dans le rapport parlementaire « Grosperrin » et le rapport convergent du HCE. Lire notre article à ce sujet sur ce site.
[10] Dans l’interview au Monde de l’éducation citée ci-dessus, B. Julliard souhaite « une redéfinition du socle commun de connaissances et de compétences… piliers de la culture commune et partagée dont nous souhaitons doter chaque élève à la fin de la scolarité obligatoire ». Les marges de négociation restent ouvertes…
[11] Pour plus d’informations sur cette question : De la FEN à la FSU. Documents pour l’Histoire, Institut de Recherches de la FSU.
[12] La perspective d’une rémunération des élèves en stage de formation en entreprise (formule proposée en son temps par J.-L. Mélenchon, alors secrétaire d’état à la formation professionnelle du gouvernement Jospin) ne résout en rien la difficulté, notamment pour les élèves d’origine populaire, à trouver des stages véritablement formateurs, encore moins l’exploitation éhontée dont ils font trop souvent l’objet de la part des patrons d’entreprise lorsqu’ils en trouvent. Ce n’est pas d’une « remise à plat » dont a besoin la formation professionnelle initiale, mais bien d’une conception radicalement nouvelle, appuyée sur une autre politique de l’emploi et d’implication du patronat dans l’ensemble de la formation professionnelle.
[13] Les initiés reconnaitront, au passage, la marque du projet éducatif de la Ligue de l’enseignement, source d’inspiration évidente de l’ensemble de ce projet. Pour plus d’indications sur cette question, voir notre article : « Genèse du projet du PS pour l’éducation »
Messages
1. À propos du projet du PS sur l’Éducation, 27 avril 2011, 11:00, par rudolf BKOUCHE
Rien de bien nouveau de la part du PS. Attaquer Darcos et Chatel en oubliant Jospin montre les limites de la pensée du PS sur l’école.
Il y a longtemps que le PS a oublié la question de la démocratisation de l’enseignement.
Un discours vague qui n’engage à rien.
rudolf BKOUCHE
professeur émérite
université de Lille 1