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Les inégalités de réussite sont-elles construites au sein des écoles ?

mercredi 6 mars 2013, par Janine Reichstadt

Il est décisif de travailler cette question avec les enseignants réunis en collectifs de réflexion et de recherche.

Il n’est sans doute pas excessif de penser que l’école puisse avoir rendez-vous avec l’histoire, tant le mouvement du réel devient porteur de transformations allant dans le sens d’une authentique refondation démocratique.

Du côté des élèves et des parents, le temps est venu de ne plus supporter l’inégalité de réussite scolaire inscrite dans un système à la logique brutale de sélection, d’orientation, toujours au détriment des enfants d’origine populaire. En panne depuis la moitié des années 1990, la démocratisation voit aujourd’hui se porter sur elle une demande de réussite scolaire inédite dans l’histoire, dont témoigne l’investissement important sur les devoirs des familles des classes populaires.

22 % d’enfants d’ouvriers obtiennent un bac général quand c’est le cas pour 72 % d’enfants de cadres, alors que les familles populaires aspirent très majoritairement à un bac et à des études supérieures pour leurs enfants. Or, dès le primaire, ces familles tremblent devant les difficultés lorsque celles-ci commencent à apparaître, et les chiffres ne leur donnent pas tort. En 2007, 21 % d’élèves de CM2 se situaient au niveau des compétences en lecture des 10 % d’élèves les plus faibles en 1997, et entre l’entrée au CP et la fin du CM2, l’écart entre les performances moyennes d’un enfant de cadre et celles d’un enfant d’ouvrier est multiplié par deux. Vouloir accorder la priorité au primaire est de ce fait une excellente idée – les premiers apprentissages sont déterminants pour la suite des études –, mais à la condition de prendre la mesure des ambitions politiques auxquelles cela nous confronte, tant du côté des moyens que les richesses produites et accumulées en France permettent objectivement de dégager, que du côté d’une réelle volonté de refondation profondément démocratique.

Les enseignants ont été particulièrement malmenés sous l’ère des ministres précédents : on s’explique et on comprend leur amertume, leur colère, voire leur désarroi. Les suppressions de postes par dizaines de milliers, les salaires à l’étiage, les injonctions de réussite au travers de dispositifs de remédiations, d’aides, de soutiens, lancées au gré des changements ministériels, sans la moindre réflexion sérieuse sur les causes des échecs et l’intérêt de chaque «  nouveauté  » parue au BO, ont scandé leur quotidien ; la valse des sigles témoigne de ce maelström. Et, «  cerise sur le gâteau  », une formation initiale et continue en déshérence, dramatique pour les élèves, mais aussi pour les enseignants, trop souvent confrontés à la contradiction entre l’ambition naturelle qu’ils ont de faire réussir leurs élèves et les difficultés qu’ils rencontrent pour y parvenir auprès de bon nombre d’entre eux.

Les enseignants ne rejettent pas la difficulté, bien au contraire. Ils savent bien qu’elle est inhérente à leur travail et source de l’intérêt qu’ils portent à leur métier. Mais quand les difficultés se font trop lourdes parce qu’on ne met pas tout en œuvre pour qu’ils puissent aller plus loin dans leur réflexion, interroger 
collectivement leurs pratiques, comprendre pourquoi des élèves comprennent ou ne comprennent pas, échouent, deviennent «  ingérables  », le sentiment d’impuissance que ces difficultés finissent par générer devient vite insupportable et inadmissible. Le travail enseignant comme les autres travaux réclame la maîtrise de son exercice.

Toutes ces contradictions se sont considérablement exacerbées et ont fini par forger une rencontre objective entre les préoccupations profondes et les attentes des élèves, des parents et des enseignants. Des préoccupations et des attentes qui ne pourront s’accommoder d’un simple changement des rythmes scolaires, ni d’une formation initiale et continue théorique et pratique bâclée, ni du déni des mesures nécessaires pour enrayer la désaffection catastrophique au niveau des candidatures aux concours.

Dans l’Humanité du 19 février 2013, Bertrand Geay souligne que «  l’un des enjeux décisifs de la réforme des modes de recrutement et de formation des personnels est d’assurer leur maîtrise des savoirs scolaires et des manières de les enseigner  ». Cet enjeu est effectivement décisif et met à l’ordre du jour de façon pressante la nécessité de se centrer sur l’activité de la classe et donc de travailler sur ce qui, dans les dispositifs et les pratiques d’enseignement dont les enseignants ne sont pas seuls responsables, conduit à des apprentissages réussis ou concourt à générer de la difficulté scolaire.

Aujourd’hui, de multiples travaux de chercheurs démontrent que certaines pratiques communément mises en œuvre sont contre-productives, notamment pour les élèves d’origine populaire qui ne trouvent pas chez eux les moyens efficaces de la remédiation, autrement dit que les inégalités de réussite sont largement construites au sein des dispositifs d’enseignement. Il est donc décisif de travailler cette question avec les enseignants réunis en collectifs de réflexion, de recherche. Avancer cela est parfois perçu comme une volonté de les accuser, de les culpabiliser de façon irresponsable. Mais l’irresponsabilité n’est-elle pas plutôt ici du côté de la dénégation du problème, de son évitement ? Irresponsabilité vis-à-vis des élèves bien sûr, mais aussi vis-à-vis des enseignants lorsqu’ils ne parviennent pas à trouver des solutions solides pour prévenir les échecs.

Un tel travail a aussi besoin d’autre chose, d’une sorte de «  carburant  » idéologique, celui de la conviction profonde de l’éducabilité universelle. Aujourd’hui cette conviction n’est pas largement acquise : l’idée que les enfants d’origine populaire souffriraient de handicaps socioculturels a la vie dure. Or il est nécessaire là aussi d’engager une large réflexion ambitieuse appuyée sur la pratique, car il ne suffit pas de répéter à l’envi qu’ils sont tous capables. Il est décisif d’aller jusqu’à l’appropriation profonde des raisons pour lesquelles ces enfants ont eux aussi, en tant qu’êtres de langage, les ressources dont l’école a besoin pour leur permettre d’entrer dans les apprentissages de la culture de l’écrit, et de construire une franche réussite scolaire.

Mais il y a plus. On pense trop souvent que les difficultés familiales dues à la précarité économique et sociale compromettent fatalement toute réussite scolaire. Toutefois, sans nier l’impact de cette précarité, a-t-on suffisamment réfléchi au rôle et aux effets d’une réelle mise en activité intellectuelle sur les savoirs, conduite avec toutes les exigences nécessaires (sans les détours ludiques ou autres souvent utilisés), et qui par l’intérêt qu’elle mobilise devient capable de capter l’attention, la compréhension, au moins pendant le temps de l’école et forcément au-delà ? Songeons à la double peine que représente le fait de vivre dans une famille qui connaît ces difficultés et celui de se sentir perçu comme rendu incapable de par cette situation, d’entrer dans l’intelligence des choses de l’école.

Il est temps, il est vraiment temps de promouvoir une authentique refondation du système éducatif en capacité de définir les mesures institutionnelles nécessaires, les besoins matériels, intellectuels et professionnels qui conditionnent la réussite de la relance de la démocratisation, une démocratisation qui elle-même conditionne très fort le destin proche et plus lointain de la société française.


Voir en ligne : L’Humanité

Messages

  • « Aujourd’hui, de multiples travaux de chercheurs démontrent que certaines pratiques communément mises en œuvre sont contre-productives, notamment pour les élèves d’origine populaire qui ne trouvent pas chez eux les moyens efficaces de la remédiation, autrement dit que les inégalités de réussite sont largement construites au sein des dispositifs d’enseignement. »

    Disons-le clairement : les pratiques du constructivisme pédagogique sont désastreuses. Complètement désastreuses pour les élèves qui ont des difficultés, assez désastreuses pour les élèves moyens et plutôt désastreuses pour les bons.

    Pour ceux qui en douteraient encore, l’inefficacité du constructivisme est aujourd’hui clairement prouvée. Les sciences cognitives ont déterminé son erreur ontologique : les apprentissages scolaires ne se font pas “naturellement”. C’est pourquoi cela ne marche décidément pas.

    Et ce sont les classes sociales ayant le plus besoin d’école qui, depuis une trentaine d’années, subissent de plein fouet ce manque d’enseignement explicite, progressif et structuré.

    Le pire, c’est que les promoteurs de ces pratiques d’enseignement désastreuses se targuaient d’être des “progressistes”. Voir le dernier livre de Sandrine Garcia, À l’école des dyslexiques, qui rappelle l’influence acquise par les mouvements d’éducation “populaire” et de ces charlatans qui ont trahi les humbles. Et qui ont toujours scandaleusement pignon sur rue.

    Les mauvaises habitudes, matraquées pendant des années par les IEN et les formateurs, sont maintenant tellement ancrées chez les instituteurs que beaucoup d’entre eux prennent pour argent comptant ce qui n’est que croyance et idéologie. Il sera très difficile d’extirper les mythes pédagogiques qui prévalent toujours…

    Pourtant, nous devons parvenir à une École moderne et efficace, donc instructionniste. Nous pouvons même faire l’économie de collectifs de réflexion et de recherche (que Janine Reichstadt – que je salue – appelle de ses vœux) puisque les techniques d’enseignement efficace ont fait l’objet d’études outre-Atlantique depuis les années 1980. Nous savons aujourd’hui comment enseigner efficacement, notamment grâce aux pratiques explicites qui sont décrites et modélisées. Ce type d’enseignement permet à des élèves de quartiers défavorisés d’obtenir, aux standards d’évaluation, des scores plus élevés que ceux des beaux quartiers. Je renvoie au site Form@PEx pour qui souhaiterait en savoir davantage.

    Le modèle constructiviste est toujours dominant, mais le modèle explicite émerge depuis les années 2000. Aidons-le : les efforts de tous finiront bien par payer.

    Et le plus tôt sera le mieux !

    Voir en ligne : http://www.formapex.com