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De l’amende à la cagnotte : lieux communs sur l’absentéisme

dimanche 11 octobre 2009, par Etienne Douat

Après l’amende pour les parents d’élèves absentéistes, la mise place d’un référent policier pour des établissements particulièrement concernés par le phénomène, l’attribution d’un code barre aux élèves de certains lycées pour faciliter l’appel ou l’envoi informatisé de SMS aux parents des « sécheurs » en temps réel, voici aujourd’hui l’expérimentation de la « cagnotte collective » pour récompenser l’assiduité des élèves dans trois lycées professionnels pilotes.

Ces différentes mesures « innovantes » conçues pour lutter contre les manquements à l’obligation scolaire depuis le début des années 2000, partagent un même présupposé : le choc qu’elle provoquera chez les élèves décrocheurs (face à la menace financière qui pèse sur leurs parents, l’intervention de la police ou la perspective de la cagnotte de fin d’année, etc.) les conduira à « réaliser » leur erreur et à modifier leur comportement de façon à retrouver le chemin de l’assiduité et des apprentissages.

Le décrochage scolaire, résultat de multiples facteurs

Or, que nous apprennent les enquêtes réalisées ces dernières années sur le sujet ? Que le décrochage scolaire dans le secondaire est un long processus articulant des dimensions de la socialisation familiale, du parcours scolaire, de la sociabilité juvénile ou encore des décisions institutionnelles : difficultés ou malentendus dans les apprentissages dès le primaire, disqualification symbolique du travail voire de la personnalité des élèves, contradiction entre les exigences scolaires et la culture familiale (concernant notamment le rapport à l’écrit, au temps et au corps), exclusions répétées, orientation largement subie vers des filières socialement dévalorisées, difficulté à trouver un stage au lycée ou épreuve de la discrimination à l’embauche, etc.

C’est dans leur agencement et leur renforcement mutuels que ces différents traits possibles de la trajectoire des élèves peuvent jouer dans le sens d’un décrochage scolaire. En admettant qu’un rapport conflictuel à l’école et aux savoirs scolaires soit ainsi le produit d’une série d’expériences socialisatrices durables, on peut raisonnablement faire l’hypothèse que le dispositif annoncé, parce qu’il ignore les véritables ressorts du décrochage, ne débouchera sur aucun résultat significatif, comme ce fut le cas pour les mesures antérieures plus répressives.

Mais que l’expérimentation rate sa cible officielle de lutte contre l’absentéisme comme le pronostiquent déjà beaucoup de professionnels de l’éducation ne signifie pas pour autant qu’elle soit neutre ou anodine. Tendanciellement, l’initiative vient encore renforcer une logique politique essentiellement gestionnaire qui semble avoir abdiqué face aux questions, aussi difficiles qu’incontournables, du sens de la confrontation aux savoirs scolaires, notamment dans les milieux populaires, de l’auto-exclusion des apprentissages et, plus largement, des mécanismes complexes de sélection des publics et de différenciation des filières dans un système aujourd’hui massifié mais toujours très inégalitaire.

Exacerber l’esprit de concurrence entre « méritants » et « non-méritants »

En soutenant que l’horizon d’une simple prime pour réaliser un projet collectif puisse raccrocher les absentéistes, le dispositif « cagnotte » actualise aussi une approche utilitariste et mercantile de l’école tout en agréant, en creux, une conception pour le moins problématique des enjeux de la présence en cours, d’un projet éducatif ou encore de la « motivation ».

En outre, le fait de confier aux groupes-classe concernés par l’expérimentation la charge collective de « respecter le contrat d’assiduité » avec les équipes éducatives en espérant ainsi remporter le gros lot en fin d’année risque encore d’exacerber une logique déjà bien ancrée de culpabilisation individuelle et d’esprit de concurrence entre les « méritants » et les « non-méritants ».

Ce n’est finalement pas tant l’échec annoncé de cette mesure par rapport à la problématique de l’absentéisme qui nous interpelle que son caractère symptomatique d’une politique éducative à court terme et souvent démagogique ignorant presque systématiquement tous les acquis de la recherche dans le domaine de l’éducation. Acquis sur lesquels pourrait pourtant s’appuyer un projet ambitieux de transformation de l’école, encore si loin de nos idéaux démocratiques.


Voir en ligne : La Bourse aux Projets de Classe, une expérimentation de l’Ecole d’économie de Paris


Les lecteurs intéressés par cette question trouveront probablement matière à approfondir leur réflexion sur le site du sociologue Laurent Mucchielli, qui y consacre une rubrique entière : http://www.laurent-mucchielli.org

Messages

  • Il s’agit là d’une analyse que je trouve très pertinente et dont je partage entièrement le point de vue. Cette idée de cagnotte est tout simplement contraire aux principes de l’école républicaine. L’école ne se monnaye pas : ce type d’annonces constitue un ersatz de solution et une lourde dérive démagogique. La démarche est anti-pédagogique pour l’enfant, culpabilisante et stigmatisante pour les parents. Pour lutter contre l’absantéisme ne peut-on pas, plutôt, envisager une réelle réforme de l’orientation ?

    Christian