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Laïcité et formation des enseignants, par Alain Beitone

lundi 26 janvier 2015

Chacune et chacun a conscience de la gravité de la période depuis les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper casher. Tout naturellement l’école et la formation des maîtres sont interpellées. Mais on entend, et jusqu’au sommet de l’Etat, de nombreuses bêtises. Comme s’il s’agissait d’inculquer la laïcité dans le cadre d’un enseignement de « morale civique ». Exit donc l’ambition (déçue) de l’ECJS (Éducation civique juridique et sociale) : une formation au débat public argumenté (un échange public d’arguments fondés en raison).

Bien mieux, on invoque la menace de sanctions contre les élèves qui poseraient de mauvaises questions et la laïcité, qui devrait s’inscrire dans un projet éducatif émancipateur, est associée au renforcement de l’autorité. Comme si, en lieu et place de « la force du meilleur argument » (P. Bourdieu), on faisait appel au conseil de discipline. On entend aujourd’hui des appels au rétablissement de l’ordre, comme si la menace de sanction pouvait contraindre les élèves à adhérer à l’idéal laïque.
Dans cette perspective évidemment, le rappel des textes officiels, un vague catéchisme républicain et l’étude de « cas pratiques », peuvent tenir lieu de formation des futurs enseignants.

Les textes officiels sont utiles à connaître, mais le catéchisme républicain ne sert à rien. Faut-il rappeler sur ce point la position de Condorcet (que tout futur professeur devrait connaître) ?

Former les futurs enseignants à la question laïque, ce devrait être aujourd’hui aborder de front les enjeux sociaux et politiques de la laïcité. Prolonger ce qu’avaient fait Hugo quand il combattait la loi Falloux et Jaurès lorsqu’il se battait "Pour la laïque". Ces textes pourraient d’ailleurs être utilement étudiés avec les futurs professeurs.

Aujourd’hui cependant, la situation est pire qu’à leur époque. La droite et l’extrême-droite se présentent comme "laïques". La laïcité est mobilisée comme argument de maintien de l’ordre, plus que comme composante de l’émancipation. Elle est parfois utilisée de façon discriminatoire contre les musulmans. Des sites internet se présentant comme défenseurs de la laïcité sont en réalité des bastions de la réaction et du racisme.

Les professeurs doivent donc prendre la mesure des enjeux politiques de la question laïque. Car les élèves, si on les autorise à s’exprimer, posent des questions politiques : celles de la situation au Proche Orient, celles de la liberté d’expression, celles de l’égalité entre les différentes confessions, celles des discriminations. Bien sûr ces discours véhiculent parfois des propos inacceptables (antisémites ou islamophobes), ils s’inscrivent parfois dans une logique de concurrence mémorielle, ils reposent sur des préjugés et des références complotistes. Mais les professeurs ne peuvent y faire face que sur la base de savoirs solides, de la maîtrise des enjeux politiques et culturels. Pour cela il faut plus de formation en histoire des relations internationales, en sociologie et en histoire des religions, en philosophie politique. Au lieu de quoi on nous propose d’imposer des valeurs et de menacer de l’appel au CPE et au chef d’établissement.

Combien de nos futurs professeurs en dehors peut-être de ceux de SES, d’histoire-géographie et de philosophie, sont capables d’expliquer que les USA sont un État laïque, combien peuvent parler avec recul et de façon pertinente de la situation au Proche-Orient, combien savent ce qu’est le Syllabus de Pie IX, combien savent ce qu’est un concordat, combien peuvent parler des positions de Locke et de Voltaire sur la tolérance, combien peuvent distinguer « laïcisation » et « sécularisation », combien peuvent traiter sérieusement du communautarisme, combien disposent de la formation épistémologique permettant d’éviter à la fois l’arrogance scientiste et la démission relativiste ? etc.

Un discours aseptisé et moralisateur sur la laïcité, sur fond d’évacuation du politique et de maîtrise insuffisante des enjeux est la pire chose que l’on puisse faire en matière de formation des enseignants !

La laïcité, c’est le refus des dogmes et l’exercice de la raison critique. La laïcité est une question politique ou elle n’est rien !

Messages

  • Bravo ! Je fais suivre au centre social ST Gabriel (MARSEILLE quartiers Nord) et à mes collègues des écoles et collèges du secteur .. trop souvent hélas aux abonnés absents ! Ils n’on lu ni Condorcet ni Jaures faute de formation des maîtres supprimée sous Sarkozy-DARCOS !
    GERARD PERRIER

    • Je suis tout à fait d’accord avec cette réflexion d’Alain Beitone.

      Cela n’empêcherait pas cependant, d’inclure dans l’enseignement (histoire, sociologie, philosophie, etc.) un enseignement qui (à partir de travaux scientifiques et pédagogiques) propose des éléments rigoureux de compréhension des religions, dans les contextes où elles ont été produites et se sont développées.

      Dans cet esprit, j’avais créé en 1989, au CRDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique de Besançon), avec le concours initial de la Ligue Française de l’Enseignement, une collection pédagogique nationalement diffusée (CNDP), qui s’intitulait "Histoire des religions et des courants de pensée". Nous avions fait appel à des spécialistes universitaires, justement pour sortir d’enseignements religieux sur les religions,mais aussi de ce prêchi-prêcha pseudo-laïque, qu’on trouvait ici ou là sur le sujet. Les principaux auteurs étaient des spécialistes connus des questionstraitées : Michel Clévenot, Guy Gauthier,René Nouailhat, Pierre Lévêque, Emile Poulat, Mohamed Cherif Ferjani, Jean-Paul Willaime, Jean Bauberot, et d’autres, sans oublier les enseignants de collège ou lycée, qui apportèrent un concours pédagogique irremplaçable. Ces livres portent principalement sur les origines (des dieux ("De Lascauxà Rome)", du christianisme, sur l’islam, le protestantisme, les religions dans le monde actuel...sans oublier une histoire de la laïcité.

      Ces livres, échelonnés entre 1989 et 1996 eurent beaucoup d’écho du côté enseignant. On pourrait sans difficulté, les rééditer aujourd’hui, car ces auteurs avaient fait un travail remarquable. La suite de l’histoire, du côté ministériel (voire présidentiel) a été sidérante, disons d’opportunisme (J’en ai évoqué quelques aspects dans un article de la revue La Pensée,n° 319, juillet-septembre 1999).

      Ceci pour dire que -indépendamment d’une réflexion politique sur ce que devrait être la démocratie- l’enseignement de ce que sont les religions et les Eglises, devrait être pris au sérieux, avec toute la rigueur scientifique que s’impose, comme sur tous les autres sujets enseignés), y compris pour donner à comprendre les philosophies qui les ont superbement ignorées ou combattues. Qui, déjà, a écrit que "l’homme a créé Dieu à son image" ?