Accueil > École commune > Éléments de discussion > Une nouvelle voie pour le lycée

Une nouvelle voie pour le lycée

mardi 7 février 2012, par Denis Paget

L’histoire de la démocratisation du lycée montre qu’elle n’a pu se réaliser jusqu’ici que par la création de formations originales : jadis par la création de sections modernes à côté des sections classiques, par la diversification des bacs généraux avec l’apparition de la section B devenue ES, par la création des brevets et baccalauréats de techniciens, puis des bacs technologiques, puis par les bacs professionnels qui ont fourni une bonne part du contingent des nouveaux bacheliers de la fin du dernier siècle. Depuis, le système stagne et cette stagnation est concomitante avec le resserrement progressif des séries et la forte réduction de cette diversité. Plus on a uniformisé, plus on a renforcé le poids du modèle pédagogique dominant et d’une culture scolaire congruente avec le seul public des couches moyennes et supérieures, qui n’est pas spontanément tournée vers la démocratisation. Seuls les bacs professionnels ont continué une diversification très forte en absorbant progressivement les champs couverts par des BEP aujourd’hui en voie d’extinction. La réforme Jospin de 1989, poursuivie par Allègre, n’a inventé aucune nouvelle formation ; elle a au contraire réduit l’éventail des séries en pariant sur les seules mesures d’accompagnement pédagogique (modules, aide individualisée). Ces deux ministres se sont totalement désintéressés des séries technologiques. La réforme Chatel qui se met en place accentue encore cette logique en réduisant les options de 3h en seconde générale et technologique à de vagues explorations des débouchés professionnels avec des horaires réduits de moitié. Elle se poursuit par un nouveau resserrement des bacs technologiques, progressivement rapprochés des bacs généraux, en supprimant toute la productique et en élevant le niveau conceptuel des programmes avec l’ambition illusoire de mener tous les élèves qui fréquentent aujourd’hui ces sections – souvent victimes de l’échec dans les matières générales - à des tâches de conception à bac+5. La disparition de l’enseignement de physique appliquée dans les séries industrielles est à cet égard emblématique des évolutions en cours. Parallèlement, les bacs professionnels sont restructurés en 3 ans au lieu de 4 par effacement des BEP.

D’une certaine façon, les différentes réformes du lycée de ces vingt dernières années sont plus allées vers une uniformisation des parcours que vers leur diversification. Ces choix ont été faits pour des raisons diverses : soit pour mettre en œuvre la conviction que le lycée unique est plus démocratique qu’un lycée diversifié, soit simplement en partant du constat que la diversification des filières et séries est plus coûteuse que l’uniformité. Les deux raisons ne s’excluent pas l’une et l’autre. C’est un processus analogue qui a prévalu, dans des conditions historiques différentes au moment où la réforme Haby a instauré le collège unique. Décréter le lycée unique comme seule voie de la démocratisation sans réfléchir à ce qu’on entend par là, ou sans envisager d’autres alternatives à l’organisation actuelle en voies et séries, risque fort d’aboutir au même résultat que le collège Haby.
La sociologie de l’éducation a bien montré que la diversification des lycées jouait en même temps dans deux directions opposées : elle a permis le prolongement des études pour un grand nombre de jeunes qui, sans elle, n’auraient pas eu accès au baccalauréat, parce qu’elle a nourri des centres d’intérêt et des lieux de réussite multiples, en stimulant la créativité pédagogique des enseignants ; mais elle est aussi très ségrégative par la hiérarchisation implicite des séries, encouragée par leurs débouchés en termes de poursuites d’études et de devenir professionnel. Cette hiérarchisation repose sur la réussite ou l’échec des lycéens en matière de « culture générale commune » qui libère ou bloque l’accès aux études supérieures. C’est la raison fondamentale qui devrait amener les politiques à penser la scolarité commune jusqu’à la fin du lycée et non plus à la fin du collège. Tous ceux qui pensent qu’un bagage de scolarité obligatoire limité à l’école et au collège serait suffisant pour une part plus ou moins importante de la population scolarisée, font semblant de croire qu’il est possible de s’insérer dans la vie avec un tel bagage. La prolongation de la scolarité obligatoire doit aussi permettre de « rejouer les épreuves » auxquelles on a échoué dans l’acquisition d’une culture générale commune, contrairement à notre système où il est impossible de se remettre à niveau une fois que le constat de l’échec est avéré dans tel ou tel domaine. Cette mise à niveau ne se fait pas de la même façon à 12 ans, à 16 ans et à 20 ans. Enfin, cette culture générale doit faciliter les changements d’orientation en garantissant l’acquisition des principales connaissances et capacités intellectuelles requises pour apprendre. C’est particulièrement important pour décloisonner les lycées professionnels avec les autres lycées et vers l’enseignement supérieur. Notons par exemple que dans certains BTS industriels, les bacheliers professionnels deviennent majoritaires mais avec des chances de succès limités. Il faudra, à l’avenir, rapprocher les trois lycées mais sans les dissoudre. La question de la culture générale commune est au cœur de ce rapprochement. Concevons-le comme progressif, sans perdre l’expérience professionnelle des uns et des autres et en ayant conscience que la dissolution des LP dans un grand ensemble entraînerait à la fois la domination des modèles des séries générales et la disparition catastrophique de la formation professionnelle du service public.

De temps à autre, on voit aussi réapparaître l’idée d’un bac « à la carte » où le lycéen composerait lui-même son menu. Une telle solution semble plus redoutable encore car la capacité à se composer un menu formateur et équilibré est de loin la moins partagée : l’amplification des parcours d’initiés serait plus ségrégative que la hiérarchie actuelle des séries. Il faut pourtant reconnaître qu’entre un tel bac et la rigidité des filières actuelles, il existe sans doute une voie médiane qui permettrait au lycéen de courir plusieurs lièvres à la fois
Je propose donc cette troisième voie : celle qui parie sur la diversification / modernisation des enseignements avec dominante pluridisciplinaire, adossée à une culture générale commune dans ses objectifs mais différenciée dans ses réalisations, sur des unités ou des crédits capitalisables pour la partie culture générale. Un tel choix suppose de créer des programmes de culture commune qui ne soient pas le décalque des enseignements de dominante ou de spécialité, qui reposent sur une « vulgarisation » bien comprise et sur une conception plus syncrétique de la culture. L’exemple de l’enseignement de culture générale et d’expression, commune à tous les BTS me semble un bon modèle permettant d’intégrer des approches sociologiques, médiatiques, philosophiques, cinématographiques et littéraires sur un objet défini.

Diversification/modernisation/capitalisation

Le lycée fonctionnerait mieux avec des baccalauréats plus divers ; ne laissons pas tomber le processus historique de diversification : la diversité permettant de multiplier les centres d’intérêt à partir de dominantes pluridisciplinaires et d’intéresser davantage les jeunes, si l’on sort un peu des disciplines académiques actuelles et si l’on prend mieux en compte la diversité des pratiques et des champs de la culture contemporaine. Si l’on doit être très exigeant sur la dominante (l’élève doit y atteindre un niveau de performance suffisant), on doit pouvoir nuancer le niveau d’approfondissement et la façon d’approcher la culture générale en fonction du profil des élèves.

Je propose pour cela trois idées à travailler pour parvenir à ces améliorations :

1-Construire des enseignements de culture générale commune sous forme d’unités de valeur graduées dans leur contenu et leur niveau (par exemple deux à trois niveaux pour chaque discipline) ; exemple en seconde :

Le choix des enseignements est évidemment discutable mais j’insiste sur la nécessité de ne pas trop charger la barque et d’éviter l’éparpillement auquel on assiste actuellement avec l’imposition à tous les élèves des LEGT d’un enseignement d’économie, de LV2 auxquels s’ajoutent les deux disciplines expérimentales. Il me paraît préférable d’opérer une sélection plus restreinte mais d’exiger une plus grande réussite (voir infra le point 3).

2-La deuxième idée consiste à réfléchir à la construction des dominantes de spécialités avec le choix d’une majeure bi-disciplinaire et d’une mineure d’ouverture ; ces dominantes devraient intégrer des enseignements nouveaux. Pour améliorer la situation, il faut innover et introduire des enseignements nouveaux à côté des existants dans divers domaines. Par exemple, introduire un enseignement d’écologie/environnement, d’urbanisme et d’architecture, d’initiation au droit, de politique culturelle et de communication, de langages de programmation, de maths appliquées aux sciences humaines, de nouveaux enseignements technologiques etc. Pour la classe de seconde on pourrait concevoir l’organisation de la façon suivante :

Etc. (voir aussi le rôle de l’EPS)
Même si l’élève ne poursuit pas il peut faire valider l’enseignement de dominante. Un dispositif analogue peut être envisagé pour les classes de première et de terminale mais en ajoutant un enseignement d’ouverture. Exemple pour le pôle lettres et sciences humaines :

3-La troisième exigence serait qu’à l’examen, on établisse deux parties différentes. En effet, le jeu des coefficients et des compensations permet aujourd’hui à un élève du technologique, par exemple, d’obtenir son baccalauréat avec des notes extrêmement faibles en matière de culture commune et c’est ensuite un handicap majeur à la poursuite d’études supérieures. Je propose donc que la partie culture commune et la partie dominante de formation soient dissociées et ne se compensent pas, à condition, répétons-le, de concevoir la partie culture commune comme n’étant pas le décalque abâtardi de la culture du spécialiste.

Ces propositions visent donc concrètement

  • 1. A éviter le tout ou rien en entrant, pour la partie culture générale, dans un dispositif de validation progressive des connaissances et compétences tout en prévoyant une sensible différenciation des exigences en fonction du baccalauréat choisi in fine par l’élève.
  • 2. A améliorer le lien entre les bacs et les premières années universitaires. Les universités peuvent aussi exiger (ou simplement conseiller ?) que telle unité soit acquise pour entreprendre tel type d’études ; ce serait une bonne approche de l’orientation en fin de terminale. L’élève qui veut se ménager des ouvertures sait qu’il doit satisfaire à certaines exigences ; c’est aussi une façon d’éviter des orientations universitaires qui ne laissent pratiquement aucune chance à ceux qui les formulent.
  • 3. A moderniser les dominantes en créant de nouveaux enseignements dans certains domaines. Leur validation est en épreuves terminales anonymes. Le poids de la dominante pluridisciplinaire se discute mais l’important c’est bien d’avoir deux parties séparées. Un tel dispositif permettrait également de revoir le système du redoublement total et de faciliter les réorientations. Tout effort serait alors validé et valorisé. S’il est bien organisé, on peut y gagner une souplesse plus grande dans l’orientation, plus conforme aux jeunes d’aujourd’hui. On peut éviter bien des décrochages, on revalorise la notion de culture générale et on obtient une plus grande diversification de l’offre.