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De l’oralité, par Jean-Pierre Terrail

Essai sur l’égalité des intelligences

mercredi 9 septembre 2009, par Roland Pfefferkorn

Jean-Pierre Terrail se propose d’examiner en positif les ressources intellectuelles propres dont sont dotés tous les êtres parlants, et en premier lieu tous les enfants avant leur entrée dans le monde de l’écrit. En effet l’oralité ou la pratique du langage, est le plus souvent pensée en négatif par rapport à l’écriture. Elle est envisagée comme ne disposant pas des pouvoirs conférés à la pensée par l’écrit. Contrairement à cet a priori largement partagé par les milieux lettrés depuis trois siècles, ce qui intéresse Terrail c’est précisément tout ce dont la pensée humaine est capable quand elle ne dispose pas du support de l’écriture.

En 2002 l’auteur avait déjà publié un livre remarqué (De l’inégalité scolaire, La Dispute, 384 pages) qui se proposait de repenser dans son ensemble cette question cruciale. Il proposait déjà une critique précise de la dite « théorie du handicap socioculturel » qui représente aujourd’hui la principale explication de sens commun et la légitimation essentielle des inégalités scolaires. Dans ce nouvel ouvrage il change de perspective en s’attaquant cette fois à ce qui constitue véritablement l’impensé de cette « théorie ».

A nouveau dans une démarche résolument pluridisciplinaire, en mobilisant les acquis des recherches de terrain, empruntant à l’observation ethnologique, à l’histoire, à la sociologie, la psychopédagogie et à la linguistique il propose une critique de l’ethnocentrisme et du scriptocentrisme qui en est son fondement. Il distingue le fait de parler de la façon de parler, et s’attache à l’évaluation des compétences intellectuelles développées par la pratique du langage, quelles qu’en soient les modalités.

La question qui résume ses interrogations est la suivante : quelles sont les compétences les plus générales de l’espèce humaine qui sont redevables aux propriétés du langage et qui sont inhérentes à sa pratique ? Or ce que démontre admirablement ce travail c’est que, même en l’absence de la moindre compétence en matière d’écriture, tout sujet parlant maîtrise l’abstraction, le raisonnement logique et la réflexivité. Ceci est notamment vrai de l’enfant ou du « sauvage », langage et raison sont donnés simultanément.

On l’aura compris, cette question est tout sauf anodine puisque tous les enfants parlent avant d’apprendre à lire et à écrire, y compris donc les enfants des catégories populaires. Ils ont tous appris à communiquer, à comprendre à se faire comprendre sans le recours de l’écrit, même les élèves disposant des ressources culturelles les plus modestes. Autrement dit, l’héritage culturel des uns ne justifie en rien l’échec des autres.

Nous avons affaire ici à un plaidoyer fort contre les thèses fatalistes, celle des dons comme celle du handicap socioculturel. Terrail présente un argumentaire aussi rigoureux et convaincant que précieux qui vient conforter tous ceux, parents comme enseignants, qui croient à l’égalité. La formule souvent incomprise du pédagogue Jacotot défendant « l’égalité des intelligences » devient finalement limpide car en effet « les élèves sont tous capables ».

L’Humanité, 9 septembre 2009


On pourra lire également le compte rendu de Didier Epsztajn sur son blog.