Accueil > Notes de lecture > Faut-il brûler les diplômes ?

Faut-il brûler les diplômes ?

vendredi 18 janvier 2013, par Gilles Moreau, Mathias Millet

En France, être diplômé est désormais une norme sociale. 64 % d’une classe d’âge obtient le baccalauréat, contre 26 % en 1980, 4 % après-guerre. Autrefois rare et à présent commun, le diplôme est devenu incontournable : sans lui, point de salut. Les jeunes sortis du système scolaire sans diplôme (ils sont 15 %) sont promis à la «  galère  » sur le marché de l’emploi. L’instauration d’une société des diplômes a son revers, 
et le constat inquiète. L’irrésistible montée des diplômes 
— 2 millions sont distribués chaque année en France — 
fait débat : faut-il moins de diplômes ?

Dans une société où le titre est le passage obligé de toute scolarité, le diplôme est au cœur des hiérarchies. Il consacre les élus et, ce qui est nouveau, stigmatise les exclus du titre scolaire. Comme tous ne se valent pas et ne sont pas également distribués, les diplômes contribuent à la construction de destins sociaux différenciés. Il est plus probable de devenir cadre avec un diplôme du supérieur et de devenir ouvrier ou employé avec un CAP, un BEP ou un bac pro. Plus les diplômes sont élevés, plus la probabilité d’être au chômage est faible et plus le salaire augmente.

Mais au-delà de cette hiérarchie d’ensemble s’observent des hiérarchies internes. Tous les diplômes du supérieur ne s’équivalent pas à l’instar de ceux des grandes écoles qui conservent, malgré la politique des «  80 % au bac  », leur rareté et des attributs de distinction dans la masse des diplômés. Tous les diplômes professionnels ne se valent pas non plus : selon les secteurs d’activités, ils offrent des espérances d’insertion et de promotion différentes.

Le diplôme est donc classant. Il contribue à « dire » ce que sont leurs détenteurs, car la hiérarchie des diplômes en France laisse accroire une hiérarchie des savoirs dont le sommet, implicite, est défini par la culture générale héritée des lycées napoléoniens. Les diplômes professionnels et technologiques s’en trouvent souvent disqualifiés car régulièrement comparés à l’étalon de la voie générale, et donc pensés en «  creux  » ou en déficit. Si bien que les diplômes font barrières. Si sa généralisation marginalise les «  laissés-pour-compte  » du titre scolaire, le diplôme, en ses formes prestigieuses, octroie à ses détenteurs de vrais titres de noblesse, séparant l’ivraie du bon grain. Comme le faisait déjà remarquer Edmond Goblot (1925) à propos du baccalauréat : «  Le bourgeois a besoin d’une instruction qui demeure inaccessible au peuple (…) Et cette instruction, il ne suffit pas qu’il l’ait reçue ; car on pourrait ne pas s’en apercevoir. Il faut encore qu’un diplôme 
d’État, un parchemin signé du ministre, constatant officiellement qu’il a appris le latin, lui confère 
le droit de ne pas le savoir.  »

Doit-on, dans ces conditions, condamner le diplôme à l’instar de ceux qui affirment qu’il y a trop de diplômes et parlent d’inflation scolaire, insufflant l’idée que les titres scolaires ne sont plus que de la monnaie de singe ? Ce serait oublier un peu vite qu’il est, plus que jamais, «  l’arme des faibles  » comme l’a montré Tristan Poullaouec, la meilleure parade pour échapper au chômage ou aux positions précaires. Ce serait aussi occulter l’attente, y compris dans les entreprises où ils sont parfois décriés, de plus de diplômes, comme le souci grandissant, dans la population, de faire valoir des savoirs de formation. Ce serait faire fi, enfin, du caractère républicain (ce qui ne veut pas dire égalitaire) du diplôme : son obtention répond à des règles communes, il ne peut pas s’acheter, se transmettre par héritage, et surtout, tous peuvent y prétendre même si tous n’y accèdent pas.

Enseignants et chercheurs en sociologie à l’Université de Poitiers, Mathias Millet et Gilles Moreau ont publié La société des diplômes, aux éditions La Dispute en 2011.

Sommaire

Le XXe, siècle des diplômes, par Mathias Millet et Gilles Moreau

La montée des diplômes
Le diplôme, un objet social « vivant »
Le diplôme, un marqueur social

Première partie. La société saisie par les diplômes

Chapitre premier. Du diplôme comme aspiration au diplôme comme injonction, par Guy Brucy

Le temps des diplômes rares pour l’élite de l’école et du travail
La fonction structurante des diplômes dans l’État social
Des diplômes de plus en plus nécessaires et de moins en moins suffisants

Chapitre II. L’inflation des diplômes. Critique d’une métaphore monétaire, par Tristan Poullaouec

Trop de diplômés ?
Les deux faces du diplôme
L’introuvable relation formation/emploi
Destins professionnels et marché du travail

Chapitre III. Les diplômes et leur valeur, par Henri Eckert

Des diplômes aux emplois
Dévalorisation des diplômes de l’enseignement supérieur long ?
L’évolution paradoxale des autres diplômes

Chapitre IV. Diplômes tardifs et titres honorifiques, par Claude Poliak

Des autodidactes en quête de titres universitaires
Des écrivains amateurs en quête de titres littéraires

Chapitre V. Le système suisse de diplômes, par George Waardenburg

Un premier état des lieux
L’école obligatoire
Les diplômes du secondaire postobligatoire
Diplômes du tertiaire (du supérieur)

Deuxième partie. La mosaïque des diplômes

Chapitre VI. Le certificat d’études et le génie de l’école républicaine, par Patrick Cabanel

Un siècle d’histoire
Contenus et rite républicains

Chapitre VII. La création du bac pro, histoire d’une décision, par Antoine Prost

Les antécédents de la réforme
La prise de décision
Les raisons de la décision
La mise en œuvre

Chapitre VIII. La fin du BEP ?, par Fabienne Maillard

Un nouveau diplôme pour un nouvel enseignement professionnel
Une mise en cause étrangement raisonnée
Une réforme scolaro-centrée et gestionnaire

Chapitre IX. Un drôle de diplôme, le bac théâtre, par Claire Lemêtre

Une expression endogène
Deux tutelles dans l’attirance/répulsion
Le théâtre public en quête de spectateurs
Des baccalauréats artistiques
Une oeuvre de militants

Chapitre X. Le BTS, genèse d’un seuil scolaire, par Sophie Orange

L’invention du BTS
D’un diplôme marginal à une formation liminaire

Chapitre XI. La création du DEUG : professionnaliser l’université, par Céline Dumoulin et Alexandra Filhon

La loi Faure : participation, autonomie et pluridisciplinarité
Une loi qui réforme l’organisation et la pédagogie
Le mode opératoire du ministère
Un premier pas vers l’autonomie des universités ?

Chapitre XII. Le LMD comme « transformateur académique », par Sandrine Garcia

Les nouvelles règles du jeu du LMD
La démobilisation des étudiants « réels »
Une redéfinition de l’activité pédagogique vers l’administratif

Troisième partie. Diplômes et marché du travail

Chapitre XIII. Un non-diplôme : l’examen de fin d’apprentissage artisanal, par Marc Suteau

Objectifs et mise en place
La reconnaissance par l’État : une revendication des chambres des métiers
Concurrence du CAP et déclin de l’EFAA

Chapitre XIV. Les entreprises face aux diplômes : l’ambivalence de la posture, par Marie-Hélène Jacques et Frédéric Neyrat

La critique du diplôme : une constante du discours patronal
La construction d’un système de certification et de formation propre
Quand la compétence redéfinit les diplômes et les concours

Chapitre XV. Grandes entreprises, diplômes et compétences, par Prisca Kergoat

Une réforme qui accentue les inégalités
Recruter des CAP pour les former… au CAP
Des diplômes aux compétences
Une transformation progressive du public apprenti

Chapitre XVI. Diplômes et conventions collectives : un lien en voie de délitement, par Pascal Caillaud

Le diplôme, instrument de classement conventionnel des emplois ?
Le diplôme, faible garantie en termes de droits individuels du salarié

Conclusion, par Mathias Millet et Gilles Moreau

Bibliographie indicative
Lexique des sigles


Voir en ligne : Point de vue paru dans L’Humanité