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Les trois voies du lycée : contribution d’Yves Baunay

lundi 20 novembre 2017, par Yves Baunay

[Yves Baunay, ancien dirigeant syndical, participe à la discussion collective engagée au GRDS sur la question des trois voies du lycée (qui a donné lieu à un dossier présenté par Jean-Pierre Terrail et Tristan Poullaouec). On lira ci-dessous sa propre contribution au débat.]

Expériences professionnelles et syndicales

Ma contribution part d’abord de mon expérience professionnelle. Ancien élève de l’ENSET de Cachan (1961-1963), enseignant certifié d’économie et gestion en lycée technique ; dans les sections préparant au bac de technicien G (aujourd’hui bac technologique STMG) ; dans les BTS du secteur tertiaire (commerce international, comptabilité-gestion) ; dans les sections B du bac général (dans les années 60 et 90 où n’existe pas encore le CAPES SES). J’ai fini ma carrière comme agrégé d’économie et gestion, par la promotion interne.

Cette expérience professionnelle s’est enrichie d’une expérience syndicale dans le SNES affilié à la FEN puis à la FSU : fusion du SNES classique et moderne et du SNET technique (en 65-66), nouvelle direction Unité et Action majoritaire dans le SNES (en 67-68) où j’ai assumé diverses responsabilités : S1 en lycée technique en 67-68, S2 adjoint à Paris, secrétaire général du S3 de Créteil à partir de sa création en 1973, membre du bureau national et du secrétariat national dans le S4 où j’avais la responsabilité du secteur des enseignements techniques et technologiques, et dans la formation professionnelle initiale et continue.

Dans ce cadre, j’ai suivi pour le syndicat l’impact des lois de 1970 sur la formation continue des salariés, l’enseignement technologique et l’apprentissage. Dans les années 80 et 90, j’ai participé à l’organisation de nombreux colloques, notamment le colloque « Pour la promotion des enseignements techniques longs et post-bac » les 15 et 16 juin 1990 à l’ENS de Cachan ; et élaboré les actes de ce colloque « La voie technicienne de formation » (SNES-Adapt, 1990).

J’ai représenté le SNES au Comité Syndical Européen de l’Education (CSEE) et à l’IE (Internationale de l’Éducation). J’y ai défendu une conception très ambitieuse d’une éducation technique et professionnelle intégrée dans un service public d’éducation, en contradiction avec le modèle européen de l’éducation et de la formation professionnelle.

Je représentais le SNES et la FSU dans les institutions compétentes pour la fabrication des contenus et des disciplines des formations techniques et professionnelles : les CPC (Commissions professionnelles consultatives) présidées alternativement par un employeur et un salarié.

Après ma retraite en 2001, j’ai poursuivi mon activité syndicale au sein de l’Institut de recherche de la FSU. J’ai coordonné dans ce cadre en 2001 l’organisation d’un colloque international « Une mission nouvelle pour le service public : l’éducation tout au long de la vie, pour la qualification et pour sa validation. J’ai coordonné les actes du colloque de 2001 sur la formation continue des adultes et le rôle du service public d’éducation.

J’ai contribué à la création et à l’animation du chantier travail à partir de 2006.
J’ai aussi organisé un colloque « Une culture technique pour tous » en 2003.
Tout récemment au cours de l’année 2017, j’ai contribué à l’organisation de deux colloques importants qui ont beaucoup compté dans l’évolution de ma réflexion :
• « Le travail en débat », les 1er et 2 février 2017. Séminaire pour les dix ans du chantier travail organisé par l’Institut de recherche de la FSU ; thème général des débats : « le syndicalisme aux prises avec la transformation du travail ».
• « Penser et réaliser la transformation du travail : l’apport de la démarche ergologique et de l’œuvre d’Yves Schwartz » les 12, 13 et 14 octobre 2017 ; un colloque international ayant rassemblé plus de 200 personnes au CNAM puis à la Bourse du travail de Paris.

Mais cette contribution a été surtout suscitée par ma participation aux débats d’un autre chantier ouvert par le GRDS (groupe de recherche sur la démocratisation scolaire). Le GRDS propose de « munir tous les élèves, à dix-sept ans, d’un bagage de culture commune leur ouvrant toutes les orientations ultérieures possibles et débouchant sur « un baccalauréat de culture commune ». Dans cette perspective il a ouvert un séminaire intitulé « disciplines d’enseignement scolaire ». Il s’agit de mettre en débat les contenus de cette culture commune et de questionner « les grands domaines des savoirs scolarisables et notamment « la technologie ».

Dans le cadre de ce débat, l’idée a émergé de programmer un dossier sur l’historique des trois voies du lycée : la voie générale, la voie technologique et la voie professionnelle.

Jean-Pierre Terrail et Tristan Poullaouec ont rédigé de leur côté un article : « Les trois voies du lycée : repères socio-historiques », plutôt centré sur l’enseignement professionnel. Dans cet article, ils critiquent l’idée développée au colloque de Cachan selon laquelle la voie technologique et surtout la voie professionnelle ont constitué « un formidable levier de démocratisation » de l’accès à l’éducation et à la culture.

Je rappelle ces expériences personnelles dans un cadre professionnel, syndical, associatif et politique, pour faire comprendre comment je me suis construit un point de vue sur le sujet des enseignements techniques et professionnels. C’est celui qui nous anime aujourd’hui et qui révèle des enjeux stratégiques de politiques éducatives, des enjeux syndicaux, des enjeux culturels et sociaux.

Ces expériences ne constituent pas un gage d’objectivité de mes propos. Elles font comprendre peut-être comment j’ai été amené, au sein de différents collectifs de réflexion à me confronter à des situations réelles vécues comme professionnel ou responsable syndical. Cela a contribué à nourrir ma propre activité professionnelle et syndicale, avec ses débats de normes et de valeurs inhérents à toute activité humaine. J’ai été plongé dans des processus de renormalisation des normes antécédentes, les miennes et celles établies dans les différents milieux et situations auxquels je me suis confronté. Dans ces processus de retravail des normes, notamment syndicales, des savoirs, des concepts ont émergé, qui ont nourri l’évolution de ma réflexion, comme celle de l’organisation syndicale. Cela me permet aujourd’hui de réfléchir à la façon dont chacun se construit sa propre réflexion, élabore ses points de vue, produit ses propres savoirs. Cela m’amène à la question de la production des savoirs dans nos sociétés : savoirs théoriques et savoirs d’expérience, quelle articulation entre les deux ? De ce point de vue, l’ergologie aide à penser cette question du mode de production des savoirs. Une question que les chercheurs, notamment dans les sciences sociales où l’objet d’étude est finalement l’activité humaine, devraient davantage réfléchir qu’ils ne le font aujourd’hui.

Dans mon travail de représentation des professionnels de l’enseignement technique et professionnel, comme dans mon travail de représentation de mon organisation syndicale, je me suis efforcé de combiner deux sources de savoirs : les savoirs conceptualisés soit par la recherche, soit dans les milieux syndicaux, patronaux, politiques... et les savoirs d’expériences émergeant des activités des professionnels en situation réelle de travail, sur le terrain de l’éducation. J’ai aussi participé aux processus de conceptualisation des savoirs de terrain élaborés dans le cadre de l’organisation syndicale. Une partie importante de mon activité consistait à aller écouter sur le terrain, dans les lycées techniques en particulier, ce que vivaient les professionnels et les syndicalistes, au sein des établissements.

A l’étape actuelle de notre débat au sein du GRDS, j’éprouve le besoin de réagir à l’article de Jean-Pierre Terrail et Tristan Poullaouec.

Les enjeux de l’enseignement technique et de la formation professionnelle (perspective historique)

La scolarisation de la formation professionnelle et de l’enseignement technique s’est construite par morceaux successifs avant de faire système, à la fin du 20ème siècle.

L’espace scolaire et universitaire a longtemps considéré la transmission des savoirs empruntés aux métiers, aux techniques et au travail humain comme une matière étrangère. C’est le résultat de la faible considération du travail et du faible prestige des activités de production matérielle dans la société.

Jusqu’à l’avènement de la révolution industrielle, la formation professionnelle est assurée par les corporations, dans un cadre très malthusien : l’apprentissage est souvent coûteux (il faut payer le maître), long (4 à 5 ans, jusqu’à 10 ans), dur et parfois cruel.

La Révolution, en mettant fin au système des corporations et de protection des métiers va porter un coup à l’apprentissage et au « travail réglé » qui leur étaient liés. Elle ouvre la voie à la division des tâches et à la déqualification du travail.

A la fin du 19ème siècle, pour les républicains installés au pouvoir en 1879, la formation professionnelle est liée au progrès industriel, à la puissance économique et militaire du pays.

Le débat sur la formation professionnelle va opposer :
• Les tenants de l’idée « professionnaliste » qui met l’accent sur l’adaptation à la demande locale, la formation sur le tas sous contrôle des entreprises et le tout pris en charge par les entreprises.
• Les promoteurs de la « scolarisation des apprentissages » sous contrôle de l’Etat, avec imbrication de la théorie et de la pratique dans la démarche pédagogique, l’unification des diplômes..., la promotion d’une culture technique et professionnelle à part entière.

Une direction de l’enseignement technique est installée en 1892 sous la tutelle du ministère du commerce.

Elle passe en 1920 sous la tutelle du ministère de l’instruction publique, tout en demeurant une institution autonome, dotée d’un pouvoir politique important.
Trois types d’enseignements techniques professionnels vont se constituer et s’organiser avant d’être intégrés au système éducatif dans son ensemble : l’apprentissage, l’enseignement professionnel, l’enseignement technique.
Chacun sera constitué avec des formes spécifiques d’établissements, de contenus enseignés, de pédagogie, de diplômes, d’institutions de formations d’enseignants, de statut pour les personnels...

L’apprentissage entre déclin et résurrection

1911 : un premier diplôme le CCP (certificat de capacité professionnelle) devenu CAP (certificat d’aptitude professionnelle) en 1919

1919 : la loi Astier instaure les cours professionnels de perfectionnement gratuits pour tous les employés du commerce et de l’industrie de moins de 18 ans

1925 : la taxe d’apprentissage est instituée pour les entreprises qui ne forment pas d’apprentis.

1928 : l’apprentissage est défini comme « une formation professionnelle méthodique et complète » ; la signature d’un contrat d’apprentissage devient obligatoire.

En 1939, on dénombre seulement 184.135 apprentis inscrits aux cours Astier, soit 12 % des jeunes de moins de 18 ans salariés.

En 1959, le nombre d’apprentis (307.000) est supérieur à celui des élèves de CET (collèges d’enseignement technique, 293.000)

La loi de 1971, qui fait suite au prolongement de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans définit l’apprentissage comme mode de formation initiale à part entière, « une forme d’éducation assurée pour partie dans une entreprise, pour partie dans un centre de formation (CFA), conduisant à un diplôme de l’enseignement technologique. Un service d’inspection de l’apprentissage est instituée au sein du ministère de l’éducation. La taxe d’apprentissage est portée à 0,5 % de la masse salariale.

La loi de décentralisation de 1983 donne compétence aux régions pour la formation professionnelle et l’apprentissage.

La loi Seguin du 19 juin 1987 élargit le spectre des diplômes qu’on peut proposer par l’apprentissage du CAP au BEP, au bac professionnel, au BTS et au DUT. En 1992, le diplôme d’ingénieur est ajouté.

La loi de 1993 simplifie la réglementation du contrat d’apprentissage et ajoute des moyens financiers. Les établissements publics peuvent ouvrir des formations par l’apprentissage.
En 1981 on compte 228.000 apprentis, 230.000 en 1990, 366.000 en 2000, 406.000 en 2014 dont seulement 162.000 au niveau V.

En se diversifiant, l’apprentissage se hiérarchise socialement. Il évolue vers une certaine scolarisation dérégulée et peine à trouver « l’improbable équilibre formation/production ». Il participe de plus en plus activement au creusement des inégalités sociales et de genre au profit des garçons blancs des classes sociales supérieures.

A partir de la montée du chômage massif des jeunes à la fin des années 70, les objectifs gouvernementaux visent à « diminuer assez fortement le chômage des jeunes sans pour autant assurer à ceux-ci un emploi » selon une note d’étude anonyme rapportée par Guy Brucy.

La formation professionnelle initiale à temps plein sous statut scolaire

L’enseignement professionnel à temps plein s’est développé parallèlement à l’apprentissage. L’Etat a pris progressivement en charge le financement, les contenus de formation, les diplômes, l’organisation même de la formation, le recrutement, la gestion et la formation des personnels.

A la veille de la deuxième guerre mondiale 70 % des jeunes Français passaient directement de l’école primaire au marché du travail sans formation professionnelle ni contrat d’apprentissage.

C’est après la seconde guerre mondiale, en prenant appui sur les « centres de formation professionnelle créés par le régime de Vichy, que l’Etat prend en charge « la scolarisation massive à plein temps de la formation professionnelle des ouvriers et des employés ». Dans le contexte de la reconstruction du pays, cela fait consensus. Les centres de formation professionnelle sont développés sous forme de « centres d’apprentissage », en fait des écoles de formation professionnelle à plein temps. Ces centres seront transformés en collèges d’enseignement technique (CET) en 1959 puis en lycées d’enseignement professionnel (LEP), enfin en lycées professionnels (LP).
Les ENNA (écoles normales nationales d’apprentissage) sont créées en 1946 pour former les enseignants nécessaires. La formation est inspirée par l’éducation populaire. Des pratiques pédagogiques originales sont mises au point en tenant compte à la fois des contenus enseignés en lien avec le travail réel et des publics accueillis.

Intégrée au système éducatif, cette voie spécifique de réussite alternative permet aux jeunes d’origine populaire d’acquérir une culture professionnelle complète, une culture ouvrière, sociale et politique.

Des parcours promotionnels sont progressivement construits avec le BEP, des passerelles vers la voie technologique, le bac professionnel en 1985, avec des débouchés vers les BTS.

Une conception originale de l’alternance avec les PFMP (périodes de formation en milieu professionnel) est mise en place avec les bacs professionnels en 1985. L’entreprise, les lieux de travail, le travail lui-même sont conçus comme des objets complexes, légitimes d’enseignement avec leurs dimensions humaines, sociales, économiques, techniques, environnementales et éthiques.

A partir des années 70, à l’initiative des inspecteurs généraux (Alain Bruyère, Lucien Geminard) en lien avec le directeur du CEREQ créé en mars 1970, un débat crucial est engagé. Les lois de 71 sur la formation continue des adultes, l’apprentissage et l’enseignement technique sont élaborées après un accord historique entre le CNPF et les confédérations syndicales (à l’exclusion de la FEN). Les travaux d’analyse du travail réel sont impulsés dans le cadre du CNAM par le laboratoire d’Alain Wisner, fondateur de l’ergonomie de langue française. Pour les forces progressistes, il s’agit d’apporter des réponses concrètes aux problèmes posés par la construction au sein du service public d’un système de formation professionnelle confronté à une double nécessité :
• Conduire les futurs ouvriers et employés jusqu’au terme d’une formation diplômante, reconnue par les grilles de classification et les conventions collectives négociées. Les débats sur les diplômes et leurs contenus sont menés au sein des CPC (conventions professionnelles consultatives) réunissant organisations syndicales, organisations patronales et éducation nationale.
• Prendre en considération les transformations du travail réel, du contenu des activités productives et de leur organisation.
• Le débat est d’abord mené dans une perspective « adéquationniste » qui s’avère très vite dépassée. La notion de « métier » et l’hypothèse d’une filière linéaire entre formation et premier emploi est considérée à la suite des travaux du CEREQ comme non opératoire ; on repère « des groupes d’individus entre lesquels les échanges d’informations ont une intensité particulièrement grande ».

L’approche par « compétences, aptitudes, attitudes, connaissances » mises en jeu dans les activités productives renvoie à la représentation qu’on se fait du travail réel comme activité humaine. Pour élaborer des contenus de formation de plus en plus exigeants compte-tenu des évolutions du travail, on utilise les outils et les méthodes élaborées dans le monde de la formation des adultes, qui s’avèrent plus pertinents : contrôle continu des connaissances, unités capitalisables. Bertrand Schwartz conçoit la formation en termes de capacités à acquérir pour l’action (action sur soi, action sociale, technologique ou économique).

L’évolution du rapport de forces va conduire à imposer « la logique de compétences » conçue par le MEDEF avec un certain nombre de chercheurs, de représentants du monde du travail et du monde de l’éducation. C’est finalement une représentation appauvrie du travail qui va l’emporter, l’effacement de la dimension culturelle et citoyenne des savoirs validés par les diplômes. Le déni du travail réel dans la conception des contenus de formation s’accompagne du déni de reconnaissance des diplômes, des qualifications et des compétences qu’ils valident.

Le débat semble aussi s’être appauvri entre les tenants d’une subordination étroite des formations aux contraintes de la production, et les tenants d’une logique purement scolaire, privilégiant les savoirs formels au détriment de la dimension professionnelle et de la reconnaissance des dimensions anthropologiques, épistémologiques et axiologiques du travail réel.

Le mouvement syndical des salariés comme des enseignants, plus préoccupé par les problèmes d’emplois et de précarité que par les problématiques du travail réel, ne s’est pas montré à la hauteur des enjeux politiques qui étaient en débat. Il continue à le payer cher aujourd’hui.

En 2014-2015, parmi les 828.300 élèves inscrits en troisième l’année précédente, 5 % sont allés en apprentissage, 4 % sont restés en premier cycle, 23 % sont allés en lycée professionnel pour préparer un bac professionnel, 61 % sont allés en seconde générale et technologique.

Le taux d’accès au niveau IV de formation (le bac) est de 85 % de la classe d’âge en 2015 dont 27 % dans la voie professionnelle des lycées professionnels, 16 % dans la voie technologique, 4 % dans l’enseignement technique agricole, 4 % dans l’apprentissage.

Ce taux est passé de 34 % en 1980 à 71 % en 1994 et 85 % en 2015. Il est de 88,7 % pour les filles contre 81,7 % pour les garçons (- 7%).
L’accès par la voie générale est de 47,9 % pour les filles et de 35,2 % pour les garçons (moins 12,7%).

La voie technologique et ses prolongements dans l’enseignement supérieur

Là aussi, il faut remonter au 19ème siècle. Les écoles primaires supérieures (EPS) instituées à partir de 1829, inscrites dans la loi Guizot de 1833, s’intéressent à « l’étude des sciences et de leurs applications dans l’industrie ». La branche professionnelle de ces écoles est intégrée en 1880 aux « écoles manuelles d’apprentissage ».

Tout au long du 19ème siècle, des municipalités de villes industrielles créent des écoles dispensant des enseignements techniques théoriques et pratiques (Diderot à Paris, La Martinière à Lyon, Livet à Nantes... aujourd’hui lycées technologiques). Des entreprises ou groupements industriels créent des écoles chargées d’enseigner « la pratique des arts utiles et l’application des connaissances scientifiques aux différents branches de l’industrie, de l’agriculture et du commerce ». Parfois comme à Mulhouse, de grands capitalistes sont conscients de la grande complexité des compétences développées dans le travail, en se basant sur des « observations de fabrique qui renvoient à des expérimentations en atelier » et aux « confrontations de points de vue sur le travail et les techniques ».

Dans le cadre d’une réorganisation de l’enseignement primaire supérieur sont créés en 1892 des EPCI (écoles pratiques du commerce et de l’industrie) et en 1900 des ENP (écoles nationales professionnelles) pour « former des techniciens constituant le cadre intermédiaire entre le personnel dirigeant et le personnel ouvrier ». Dans les années 30, des diplômes spécifiques sont créés : le BEI (brevet d’enseignement industriel), le BEC (brevet d’enseignement commercial), le BEH (brevet d’enseignement hôtelier). En 1939, 250 établissements publics scolarisent 70.000 élèves dont 15.000 filles.

Après la Libération sont créés de nouveaux diplômes : le BESC (brevet supérieur d’études commerciales) le baccalauréat « mathématiques et techniques » et « techniques économiques de gestion ». Dans les années 1960, les baccalauréats sont diversifiés avec les baccalauréats de techniciens F et G créés en 1965, transformés en baccalauréats technologiques en 1985. Ces baccalauréats, selon le langage de l’époque ont une double finalité : l’entrée dans la vie active (ils sont très appréciés par les grandes entreprises) et la préparation d’un diplôme de l’enseignement supérieur BTS (brevet de technicien supérieur en lycée créé en 1959) ou DUT (diplôme universitaire de technologie (créé à l’université en 1965). Pour former les maîtres de l’enseignement technique, est créé en 1912 l’ENSET (école normale supérieure de l’enseignement technique) qui s’installe en 1956 à Cachan. Dans les années 60 et 70 on crée le CAPET puis des agrégations pour les disciplines technologiques des lycées.

Conclusion : un système diversifié de voies hiérarchisées

Ainsi, à partir des années 80, coexistent trois voies de formation dans les lycées : générale, technologique et professionnelle, qui conduisent à un baccalauréat et qui permettent des poursuites d’études dans le supérieur. La scolarisation jusqu’à 18 ans des filles et des garçons passe de 60 % en 1986-1987 à plus de 80 % en 1994-95. La scolarisation des adolescents de 15-19 ans est parmi la plus élevée des pays de l’OCDE en 1995. Elle redescend depuis.

Le développement de filières diversifiées, technologiques et/ou professionnelles dans le supérieur va aussi être très rapide. En 2014, 100 % des bacheliers généraux s’inscrivent dans l’enseignement supérieur, 79 % des bacheliers technologiques, 34 % des bacheliers professionnels.

Tous ces éléments concourent à considérer que la construction des trois voies d’enseignement dans les lycées a constitué un facteur d’élévation du niveau de qualification des jeunes à la sortie du système éducatif, un facteur de démocratisation de l’accès aux catégories socio-professionnelles supérieures. Et cela en dépit des fortes inégalités qui subsistent : 32 % des enfants d’employés et d’ouvriers sortent aujourd’hui du système scolaire diplômés de l’enseignement supérieur contre 60 % des enfants de cadres ou de professions intermédiaires.

Les enjeux syndicaux

Depuis la fin du 19ème siècle est posée la question du développement d’enseignements dont les contenus sont centrés sur des savoirs théoriques et pratiques qui sont liés au monde du travail, des métiers et des techniques. Les enjeux politiques qui accompagnaient ce développement de nouveaux contenus d’enseignement ont été débattus entre des acteurs sociaux qui représentaient :
• Les entreprises : employeurs (dans leur diversité) et syndicats de salariés (la CGT et autres confédérations)
• L’Etat à travers les municipalités au début, l’Etat central par la suite et les régions plus récemment.

Il s’agissait de répondre à des besoins de formation émergeant des activités industrielles en pleine expansion et des autres activités économiques elles-mêmes en pleine transformation (agriculture, commerce, santé...) Ces enjeux de société ont motivé la création et le développement d’institutions de formation professionnelle et d’enseignement technique d’abord spécifiques, puis intégrées progressivement au système global d’enseignement. À chaque étape de leur développement et de leur transformation, ces institutions ont du recruter et former des personnels qualifiés pour assurer le plus efficacement possible ces disciplines nouvelles d’enseignement en construction.

Un syndicalisme rassemblé au sein de la FEN

Un syndicalisme spécifique s’est constitué sur la base de la défense des intérêts de ces personnels et des valeurs et conceptions éducatives qu’ils portaient en lien avec leur activité d’enseignement auprès de publics spécifiques, porteurs d’objectifs et de motivations différentes.

Il s’agissait dans un premier temps d’émanciper ces enseignants et les contenus d’enseignement de la tutelle des municipalités et des employeurs. L’intégration de ces enseignements au sein du système éducatif et du service public d’éducation et de formation professionnelle a contribué à intégrer le syndicalisme spécifique dont ces enseignants étaient porteurs au syndicalisme enseignant en général (notamment au sein de la FEN autonome après 1948 puis de la FSU à partir de 1993).

L’institution à partir de 1946 des CNPC (commissions nationales professionnelles consultatives), structurées sur le modèle des grands secteurs d’activités économiques, a créé un lieu de confrontation/coopération, entre les hauts fonctionnaires de la DET (direction de l’enseignement technique), les inspecteurs généraux, les représentants des fédérations patronales, des fédérations de branches, des syndicats de salariés, et des organisations syndicales d’enseignants.

Les personnels des enseignements techniques et de la formation professionnelle au sein des structures syndicales

Avant la deuxième guerre mondiale, les personnels de l’enseignement sont regroupés au sein de la CGT réunifiée, dans une fédération : la FGE (fédération générale de l’enseignement) créée en 1929, qui comprend notamment le SPES (le syndicat des professeurs de l’enseignement secondaire, ancêtre du SNES) créé en 1937 et le SET (le syndicat de l’enseignement technique, ancêtre du SNET).

En 1946, la FGE devient la FEN, véritable fédération d’industrie de la CGT. Au moment de la scission de la CGT en 1948, les personnels affiliés à la FEN décident après consultation individuelle de rester dans l’autonomie, seule solution pour préserver l’unité syndicale. Un seul syndicat, celui qui regroupe les personnels des centres d’apprentissage (qui deviendront les CET puis les LP) fait le choix de rester à la CGT. Il constituera le SNETP-CGT. Ce choix s’explique par le fait que les enseignants de ces établissements sont d’anciens ouvriers ayant au moins cinq ans d’expérience de travail et qui ont passé un concours. Ils considèrent que leur mission est d’abord de transmettre la culture ouvrière dans toutes ses dimensions : le travail, les savoirs d’expériences comme les savoirs théoriques, les valeurs de solidarité et de transformation de la société. La FEN créera un nouveau syndicat dans ces CA (centres d’apprentissage) : le SNETAA en prenant appui sur les instituteurs détachés dans ces centres pour enseigner les disciplines générales.

Les enseignants des établissements techniques étaient regroupés au sein de la FEN dans un syndicat spécifique, le SNET (distinct de celui des professeurs de l’enseignement général, le SNES). Chaque syndicat était porteur d’une conception spécifique de l’éducation construite à partir de leur expérience de travail, des disciplines enseignées, de leur formation et des publics accueillis.
Une première tentative de fusion entre le SNES et le SNET a été tentée en 1946-47. Elle a échoué, tant les identités professionnelles entre les personnels du technique et de ceux du classique et moderne étaient différentes. La fusion est finalement réalisée en 1965 avec des garanties statutaires qui assurent à tous les niveaux un équilibre entre les responsables issus du technique et les autres issus de l’enseignement général.

A partir de 1967, la nouvelle majorité élue à la direction du SNES par les syndiqués développe des conceptions revendicatives et éducatives qui s’opposent à la majorité fédérale dominée par le SNI (le syndicat des instituteurs). A la suite du mouvement de 1968, les organisations syndicales confédérées discutent avec le patronat d’un nouveau développement de la formation professionnelle initiale et continue et de l’enseignement technique. La FEN supporte mal d’avoir été mise à l’écart de ces négociations qui déboucheront sur les lois de 1971. Ce qui est en jeu c’est la conquête de nouveaux droits pour les salariés par l’accès à la reconnaissance de leur travail, de leurs qualifications et compétences, et la place du service public d’éducation, de formation professionnelle initiale et continue dans le service public (création des GRETA et des services communs de formation continue dans les universités).
En 1993, la majorité des syndicats de la FEN constitue la FSU, la minorité rejoint l’UNSA. Tous les syndicats concernés par la formation professionnelle et l’enseignement technique sont à l’origine de la constitution de la FSU (le SNES, le SNETAA, le SNETAP, le SNESup, le SNEP...) Ils ont fait le choix de rester regroupés au sein de la FSU plutôt que de rejoindre l’UNSA ou une confédération

Le travail et sa reconnaissance au cœur des problématiques syndicales

Le syndicalisme représentant les personnels des enseignements techniques et professionnels a dû lutter dans deux directions complémentaires :
• pour que ces enseignants soient traités à égalité de statut, de salaires, de conditions de travail, de formation, d’emploi, de carrière, par rapport à ceux de l’enseignement général exerçant au même niveau ;
• pour que les contenus enseignés, les savoirs pratiques et théoriques liés au travail, aux métiers, aux techniques soient reconnus à part entière, à égalité avec les savoirs constitués dans les autres disciplines dites générales ou artistiques... et comme partie intégrante de la culture scolaire, ou de la culture commune.

En même temps, à ces enjeux épistémiques, éducatifs, culturels, s’ajoutaient des enjeux sociaux : les élèves en formation, les apprentis et apprenants étaient considérés comme de futurs travailleurs qui devaient s’insérer professionnellement une fois leurs diplômes obtenus, et s’avérer capables « d’agir en compétence » non seulement dans leur vie de citoyen mais aussi dans leur activité de travail, pour que leur diplôme et leur qualification soient parfaitement reconnus dans les conventions collectives et les grilles de classification, lorsque celles-ci ont été instituées, à la suite du Front populaire et à la Libération.

Pour les formateurs et les enseignants, c’est à travers tous ces éléments que leur travail, leur métier et leurs missions prenaient vraiment sens et étaient pleinement reconnus.Ils se reconnaissaient pleinement dans l’expression « former l’Homme, le Travailleur, le Citoyen » qui constituait l’objectif affiché du plan Langevin-Wallon.
Ainsi, le travail réel de ces enseignants se trouvait à cheval sur le monde de l’éducation dans toutes ses dimensions culturelles et émancipatrices, et le monde du travail et de la production, dans toutes ses dimensions sociales et aussi émancipatrices pour les travailleurs.

Lucie Tanguy a étudié le travail singulier de ces enseignants de la formation professionnelle des ouvriers et employés : « une activité dont les formes, les contenus et le sens sont largement déterminés par les personnes elles-mêmes ». C’est ainsi qu’ils jouent un rôle central dans les transformations de la formation professionnelle.
Dans leur travail réel, ces enseignants des enseignements techniques et de la formation professionnelle sont amenés à retravailler les normes et valeurs en vigueur dans le monde de l’éducation, et dans le monde du travail :
• Les prescriptions de l’institution scolaire qui définit les contenus, les normes éducatives, de façon autonome.
• Les demandes sociales propres à une branche et portées par les employeurs et les salariés, à partir des évolutions de l’activité industrieuse.
• Les attentes de la société en matière d’éducation (démocratisation de l’enseignement, promotion sociale d’une majorité de la classe d’âge..., insertion professionnelle avec reconnaissance des qualifications...)
• L’état des connaissances scientifiques et techniques des savoirs d’expérience et leur évolution permanente au sein des entreprises et des collectifs de travail.
Au total, ces enseignants sont confrontés à une représentation de l’avenir du développement économique, technique, social et culturel qui donne sens à leur travail et à son utilité sociale. Ils reçoivent une formation initiale dans des institutions spécifiques de formation d’enseignants (ENSET, ENNA...)

Tant que les divers acteurs participant à l’élaboration des politiques de développement des enseignements techniques et professionnels partagent des représentations convergentes, les enseignants trouvent une reconnaissance du sens et de la valeur de leur travail, à travers la reconnaissance de la formation et des diplômes de leurs élèves une fois insérés dans l’entreprise. Avec les réformes des années 80 et 90, dans un contexte de montée du chômage et des orientations néolibérales, la recherche d’une conception cohérente entre les visées éducatives des enseignants, les demandes et les valeurs émanant du monde du travail et les attentes des publics concernés va s’avérer de plus en plus problématique. Le sens et la fierté au travail de ces enseignants en sera fortement altérée.

Une reconnaissance problématique du travail dans toutes ses dimensions

• 1) La reconnaissance du travail des personnels des enseignements techniques et professionnels, à travers leurs statuts, leur formation initiale et continue, leur recrutement, leurs salaires, leurs obligations de services

Pour les enseignants de la voie technologique, la deuxième moitié du 20ème siècle est marqué par la longue lutte syndicale :
- Pour un recrutement par concours national dans le cadre de la fonction publique et pour bénéficier des protections du statut général de la fonction publique, à partir de 1946.
- Pour la création des CAPET dans la foulée des CAPES à partir de 1953 et des agrégations dans les disciplines technologiques à partir de 1965 (agrégation d’économie et gestion, génie mécanique, génie civile etc...).
- Pour l’intégration des PT (professeurs techniques) et des PTA (professeurs techniques adjoints) dans le corps des certifiés.
- Pour le développement de l’ENSET créée en 1932 pour former les professeurs des ENP et EPCI, puis les professeurs des lycées techniques et des séries technologiques des lycées et des STS (sections de techniciens supérieurs).
- Pour l’alignement des maxima de service des professeurs des disciplines techniques sur celui des certifiés et agrégés des disciplines générales.

Les luttes persévérantes menées par le SNET puis par le SNES ont été déterminantes dans la promotion des formations des séries technologiques et de leur prolongement dans les enseignements supérieurs (STS, IUT, Maîtrises de sciences et techniques, licences professionnelles...) Pour les enseignants de la voie professionnelle, le chemin a encore été plus long pour aligner les obligations de service et les grilles indiciaires des PLP sur celles des certifiés.

Ce mouvement d’élévation et d’unification de la formation et des conditions statutaires et de travail des personnels du technique et du professionnel avec les intégrations massives dans le corps des certifiés a été parfois vu par les professeurs du classique et du moderne comme une marque de dévalorisation de leur propre travail, et de leur qualification. Lors des grandes luttes de 1989 pour la revalorisation des enseignants du second degré, le SNES et le SNETAA seront ensemble contre la direction de la FEN, pour que les enseignants du technique et du professionnel soient pleinement concernés par les mesures arrachées au ministre Jospin.

• 2) La reconnaissance des savoirs techniques, des savoirs professionnels comme partie intégrante à part entière de la culture scolaire, de la culture commune

La place et le rôle des contenus d’enseignement liés au travail, aux techniques, aux métiers, aux activités productives a fait débat dans la société et dans le monde de l’éducation et de la formation, tout au long du siècle dernier.
La loi du 21 février 1949 conçoit les centres d’apprentissage qu’elle crée pour former les futurs ouvriers et employés comme « des foyers d’humanités techniques, intégrés dans l’ensemble du système éducatif de la nation », en dispensant « l’enseignement technique, théorique et pratique d’une profession déterminée et un enseignement général comportant la formation physique, intellectuelle, morale, civique et sociale... »
Mais cela n’a pas empêché de continuer dans les faits à prendre l’enseignement général comme seul horizon de référence. On a continué à « s’interdire de penser les enseignements techniques et professionnels dans leur singularité » (Guy Brucy) comme on a continué à s’interdire de penser le travail humain dans toutes ses dimensions anthropologiques, épistémiques et axiologiques.

Ce combat est toujours d’actualité. L’enseignement technique et professionnel a joué un rôle moteur dans la croissance continue des effectifs de l’enseignement secondaire, d’abord de la Libération jusqu’au milieu des années 60, et puis des années 70 jusqu’au milieu des années 90. Le SNES et le SNET ont soutenu le plan Langevin-Wallon de 1947 qui prévoyait de porter la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans. Ce plan prévoyait de former l’homme, le travailleur et le citoyen. Il faisait toute sa place aux enseignements techniques et professionnels notamment au niveau du second cycle du second degré organisé en voies. Le SNES nouveau créé en 1965 en s’inspirant de ce plan, définit, au début des années 70 son projet « d’école progressive ». Dans le cadre d’une scolarité prolongée à 18 ans pour tous, il propose un nouveau second degré dans la continuité du collège et du lycée. Le collège ne peut être une fin, contrairement à l’école fondamentale proposée par le SNI.

« L’école doit assurer à tous les élèves le niveau de formation le plus élevé dans l’acquisition de connaissances, permette à tous d’obtenir une qualification professionnelle sanctionnée par un diplôme de l’éducation nationale et de poursuivre ultérieurement leur formation culturelle et leur formation de travailleurs et de citoyens libres et responsables. »

Il trace les structures idéales de l’orientation progressive sans filières ségrégatives. Le cycle terminal général technique et professionnel est constitué de trois sections d’égale valeur avec des passerelles entre elles, dans tous les sens. Grâce aux mesures de soutien et de rattrapage, chacun doit pouvoir suivre un cursus normal. Dans sa réflexion sur les disciplines, le SNES met l’accent sur la promotion des enseignements technologiques et artistiques, sur l’acquisition de connaissances théoriques et pratiques. Mais il ne parle pas de voies de formation.

A partir des années 80, le SNES abandonne le projet d’école progressive centrée sur la lutte contre l’échec et lui substitue « l’école de la réussite pour tous » et « un enseignement de qualité pour tous ». Il met l’accent sur la diversification au lycée. Pour le SNES, dans les années 80, l’idée d’une diversification des voies, des méthodes et des contenus devient centrale, comme moyen d’une véritable démocratisation de l’enseignement secondaire et supérieur. Le SNES envisage même une diversification à l’intérieur des voies autour de dominantes qui structureraient l’équilibre disciplinaire, les programmes s’articulant en fonction des dominantes. La seconde commune de détermination fait débat, du fait de la réduction des horaires consacrés aux enseignements à contenus technologiques. La lutte des enseignants du technique sera rude, pour maintenir un couple d’options technologiques au sein des secondes préparatoires aux premières technologiques (TSA + Productique...)

Les 15 et 16 juin 1990, le SNES est à l’initiative d’un important colloque co-organisé avec le SNESup, le SNETAP, le SNEP sur la « voie technicienne de formation ». Un livre qui constitue les actes de ce colloque organisé par quatre syndicats de la FEN a été publié : « La voie technicienne de formation ». L’objectif est clair : « faire respecter et promouvoir la voie technicienne et construire ses prolongements » ; « faire franchir à la culture technique et professionnelle les obstacles pour se faire reconnaître pleinement au sein du système éducatif et à l’extérieur par tous les acteurs et toutes les forces sociales intéressées ».

Le mot d’ordre issu de ce colloque et porté par les quatre syndicats est « la lutte pour que la voie technicienne devienne vraiment une voie d’avenir pour la réussite et les qualifications ». Ces quatre syndicats seront rejoints par le SNETAA pour être à l’offensive dans le développement par le haut de la voie professionnelle et de la voie technologique. Il s’agit d’articuler dans une dynamique progressiste : culture commune, diversification, démocratisation, de l’accès à l’éducation, à la culture et à la qualification.

Où en est le débat syndical aujourd’hui au sein de la FSU ?

Les syndicats concernés sont le SNUEP (issu du SNETAA) pour la voie professionnelle, le SNES pour la voie technologique, le SNETAP pour l’enseignement technique agricole, le SNESup pour les enseignements supérieurs. Les débats éducatifs et sociaux qui ont contribué à l’élaboration des choix politiques concernant l’enseignement technique et professionnel sont toujours d’actualité, mais ils se posent dans un contexte scolaire, économique, social et culturel radicalement différent et en évolution accélérée.

En particulier les problématiques liées au travail et à la santé au travail, à son organisation, à ses contenus, aux aspirations émancipatrices des nouvelles générations, sont devenues centrales dans les conflits et tensions qui traversent aussi bien le monde de l’éducation et de la formation que le monde du travail, des métiers et des professions. Dans ces conditions, si « l’école de la République » est toujours à reconstruire dans une société réellement démocratisée, tous les acteurs sociaux qui aspirent à la refonder sont mis en demeure de la repenser, en lien avec le projet d’une transformation et d’une émancipation du travail, par l’éducation, par la formation tout au long de la vie.

Dans cette perspective, le mouvement syndical peut retrouver une utilité sociale. Face à cette nouvelle urgence sociale et culturelle, syndicale et politique, un foisonnement d’initiatives, de réflexions plus ou moins encore peu visibles se développent.
Dans leur travail réel, les enseignants de la voie professionnelle comme de la voie technologique sont confrontés à travers leur activité quotidienne à tous ces problèmes éducatifs et sociaux (cf. la lettre rédigée par Pierre Jacques, enseignant en lycée technique, à la veille de la rentrée 2013). Ils luttent avec leurs syndicats contre les tentatives actuelles de dévalorisation de la voie technologique et de la voie professionnelle.

• 1) Le SNUEP agit « pour promouvoir un enseignement professionnel public émancipateur »

Il constate que toutes les mesures prises par le pouvoir politique, comme l’attitude de tous les acteurs sociaux ou presque, contribuent à « dévaloriser » l’enseignement professionnel. Et que l’on s’achemine inexorablement vers « la fin d’une formation globale intégrant les savoirs généraux et professionnels pour un emploi qui aurait du sens ». Selon cette analyse : :
- « Patronat, élus, gouvernements successifs saisissent la formation professionnelle comme un moyen pour tenter de résoudre le problème de chômage et notamment celui des jeunes »
- Les organisations patronales imputent la montée du chômage « à deux problèmes centraux, d’une part une formation professionnelle inadaptée à leurs besoins et d’autre part un code du travail trop rigide ».
- L’enseignement professionnel est victime d’une « soumission de l’inspection générale à un réel manque d’ambition pour tous les jeunes ».
- La réforme du bac professionnel en trois ans (en 2007) promue au nom de l’égalité entre les trois voies n’a fait qu’amplifier les problèmes rencontrés par la voie professionnelle. « Le SNUEP et la FSU sont les défenseurs souvent isolés des objectifs initiaux de cet enseignement : formation globale et complète, incluant certes les aspects professionnalisants, mais également les dimensions citoyennes et culturelles ».

Le SNUEP propose que « les contenus se recentrent sur des savoirs généraux et professionnels ambitieux permettant une approche globale du métier ».
On voit ici pointer une autre tension non résolue, évoquée par Guy Brucy et que les personnels comme le syndicat ont du mal à affronter : celle qui « au nom d’une logique purement scolaire, privilégie les savoirs formels au détriment de la dimension professionnelle des apprentissages ».

• 2) Le SNES et les personnels de la voie technologique ont été fortement déstabilisés par la réforme de la voie technologique des lycées qu’ils ont combattue mais qui s’est imposée.

Une recherche-action impulsée par le secteur des enseignements technologiques du SNES et le chantier travail de l’Institut de recherche de la FSU a montré concrètement que « en transformant la réforme pour lui donner sens, en tentant de réaliser malgré tout un bon enseignement, les enseignants dessinent des perspectives d’amélioration de la qualité de leur travail. Ce faisant, ils construisent à leur façon du bien commun, de la société, et dessinent ainsi des transformations possibles, des alternatives... »
Le SNES est confronté à la façon dont il pourrait « tirer le fil, la richesse et la fécondité » de cette exploration du travail réel, pour « enrichir sa propre activité syndicale à partir des matériaux récoltés lors des interviews » des enseignants du technique.
Partir des problématiques du travail réel dans les secteurs d’activité et de l’activité des enseignants confrontés aux situations réelles d’enseignement, pour redynamiser l’activité syndicale et construire des alternatives de transformation éducative et sociale. C’est un défi que le syndicat hésite à affronter.

Conclusion : et maintenant ?

Comment penser et reconnaître le travail des professeurs de lycées professionnels en lien avec l’activité d’apprentissage de leurs élèves ?
Comment penser le travail des professeurs des lycées technologiques en lien avec l’activité de leurs élèves ?
Comment penser la situation des jeunes sortis du système éducatif avec un diplôme de la voie professionnelle et ceux sortis sans diplôme et sans qualifications reconnues dans le monde du travail ?
Comment penser le travail et ses transformations dans les différentes activités économiques, sociales, culturelles aujourd’hui et la façon dont les nouvelles générations issues des différentes voies de formation du système éducatif vivent leur travail et leur vie ?
Le mouvement syndical, le syndicalisme enseignant comme le syndicalisme dans différents secteurs d’activité a devant lui un chantier crucial à explorer, s’il veut à la fois représenter le travail, le « point de vue du travail », agir efficacement pour sa transformation. C’est nécessaire et crucial pour penser les besoins en formation professionnelle et technique, initiale et continue, penser la société que nous voulons et construire les alternatives économiques, sociales, éducatives et culturelles avec l’ensemble des travailleurs.
Ce qui est à l’ordre du jour dans les sociétés démocratiques c’est une autre façon de concevoir le travail politique et les alternatives politiques, à partir de la prise en considération de la centralité du travail dans la vie des gens et des sociétés.
Le mouvement syndical doit construire sa place dans cette perspective de renouvellement de la démocratie dans toutes ses dimensions.

Bibliographie

Yves Baunay (coordinateur), La voie technicienne de formation, Éditions ADAPT-SNES 1990.

Yves Baunay, Francis Vergne : Formation professionnelle. Regards sur les politiques régionales, Éditions Nouveaux Regards, Syllepse 2006.

Yves Baunay, Marie-Hélène Motard, Thierry Reygades « De quoi le travail enseignant est-il porteur ? » Revue Regards Croisés n°1 p.37, janvier-février 2016.

Yves Baunay « Anticiper des situations de travail invivables ? L’exemple d’une réforme en éducation » Un article sur le suicide d’un enseignant du technique paru dans la revue Ergologia, n°15, mai 2016.

Yves Baunay « Des recherches-actions... et après ? Le travail des salariés se transforme, le travail des syndicats peinent à se transformer » Un article sur le travail syndical paru dans le livre Syndicalisme et santé au travail, sous la direction de Lucie Goussard et Guillaume Tiffon. Éditions Le croquant, 2017.

Guy Brucy dans Valoriser l’enseignement professionnel, une exigence sociale, Éditions Institut de recherche de la FSU, Syllepse, 2016.

Alain Dalançon, Hervé Le Fiblec : « L’autonomie dans le syndicalisme enseignant du second degré », Points de repères infos n°27, juin 2014, bulletin périodique de l’IRHSES 46 Avenue d’Ivry 75647 Paris cedex 13.

SNUEP, Valoriser l’enseignement professionnel : une exigence sociale, Éditions Institut de recherche de la FSU et Syllepse 2016