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Refondons l’école... oui, mais comment ?

lundi 23 février 2015, par Alain Beitone

Le 16 février 2015 est paru dans Libération un texte intitulé « Refondons l’école ».

Je précise d’emblée, pour tenter d’éviter les faux débats, que je suis en accord avec de nombreuses formulations de ce texte et qu’il se trouve parmi les signataires des personnes pour lesquelles j’ai une grande considération et avec lesquelles j’entretiens des relations cordiales voire amicales.

D’après ce que j’ai pu apprendre, les initiateurs du texte ont une intention généreuse. Ils souhaitent allumer un contre-feu face aux discours qui n’abordent l’école après les attentats de janvier, qu’en termes d’inculcation des « valeurs de la République » et en termes répressifs. Je pense en effet que l’on doit s’opposer à une telle approche de la laïcité.

Mais ce texte me semble faire fausse route.

1/ Qui signe et qui ne signe pas ?

Dans ce genre d’appel public, le choix des « premiers signataires » est évidemment un signal important. Il faut donc regarder qui signe et qui ne signe pas. Ce n’est pas du tout indifférent. C’est même révélateur des intentions des initiateurs de l’appel.

Parmi les signataires, on trouve des personnalités ou des organisations qui contribuent depuis longtemps au débat sur l’école (F. Dubet, Ph. Meirieu, J. Houssaye, le CRAP-Cahiers pédagogiques, la FCPE, la FESPI). On peut être d’accord ou pas, en partie ou en totalité, avec ces signataires, mais leur présence dans une liste d’acteurs du débat sur l’école est parfaitement légitime.

D’autres signataires sont plus énigmatiques ou discutables. Quelle est la contribution de Sylvain Bourmeau à la réflexion sur l’Ecole ? Il a beaucoup écrit ces temps derniers pour exprimer son désaccord avec Michel Houellebecq. Est-ce pour cela qu’on l’a invité à signer ? Mais alors il faudrait nous expliquer le raisonnement sous-jacent ? Et, s’il faut vraiment s’exprimer sur l’Islam dans un texte sur la refondation de l’Ecole, pourquoi pas Olivier Roy ou Edwy Plenel.

On trouve aussi dans la liste des signataires Sophie Bourquet-Rahbi et on nous précise dans le texte que la refondation de l’école doit s’appuyer sur les expériences d’école innovante. Puisqu’on invite à signer l’animatrice de « la ferme des enfants », son expérience doit être une de celles qui sont données en exemple. Or, de quoi s’agit-il, d’une école privée hors contrat qui, sur fond de retour à la terre, confie l’encadrement des enfants à des personnes « formées sur le tas ». Faut-il vraiment s’inspirer de cela pour « refonder l’école publique » ? Doit-on délocaliser les écoles de banlieues à la campagne ? Faut-il fuir ou construire l’école populaire comme l’écrivaient, il y a bien longtemps, Alain Léger et Maryse Tripier ?

Autre signataire problématique, Antonella Verdiani, l’animatrice du « Printemps de l’éducation ». Or cette association, dont l’un des parrains est Pierre Rahbi, se donne comme objectif « d’accompagner la création d’écoles différentes ». Là encore, c’est la logique de la libéralisation et de la concurrence sur le « marché éducatif » qui semble à l’ordre du jour.

Mais outre les signatures (dont certaines problématiques) qui figurent dans le texte, il y a surtout la liste des signatures qui n’y figurent pas. Ni J.Y. Rochex, ni E. Bautier, ni C. Ben Ayed, ni J.P. Terrail, ni S. Johsua (et pas un seul didacticien des sciences de la nature ou de la technologie), ni S. Bonnéry, ni Y. Chevallard (et pas un seul didacticien des mathématiques), ni J. Deauvieau, ni T. Poullaouec, ni A. van Zanten, ni R. Establet, ni Ch. Baudelot, ni B. Lahire, etc. Choisir de faire signer des partisans de la création d’écoles concurrentielles plutôt que ces spécialistes reconnus de l’éducation ne peut pas être le produit du hasard.

Tout se passe comme si ce texte cherchait à réactiver le vieux débat entre « pédagogues » et « républicains ». Nous sommes nombreux pourtant (et d’abord Ph. Meirieu et F. Dubet) à considérer que cette controverse est dénuée de portée et qu’elle embourbe le débat sur l’école. Mais le seul moyen de la surmonter, c’est de susciter des prises de position communes de ceux qui sont classés par les médias dans l’un ou l’autre camp. En retenant certaines signatures et en en écartant d’autres, cet appel nous replonge dans l’ornière.

2/ La question centrale des savoirs

Mais les signatures ne sont pas seules en cause.

Dès le second paragraphe du texte, la responsabilité de l’échec scolaire est nommée. Il s’agirait « des situations d’apprentissages le plus souvent organisées autour d’une « transmission » descendante du savoir, de l’enseignant vers l’élève ». Ainsi le problème de l’école résiderait dans le rôle trop important des savoirs et dans le caractère trop transmissif des pédagogies mises en œuvre. On pourrait comprendre une telle affirmation si nous nous trouvions avant les années 1960. Mais depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Ce qui s’est imposé c’est une « doxa pédagogique » (J.-Y. Rochex) selon laquelle les « enfants » doivent être les acteurs de leurs apprentissages, l’enseignant est un « facilitateur », l’accent est mis sur l’apprentissage du vivre ensemble, etc. Les injonctions de la hiérarchie, le contenu des supports pédagogiques, incitent (voire contraignent) les enseignants à pratiquer une pédagogie invisible créatrice de malentendus dans les apprentissages. Les élèves issus des catégories populaires, celles et ceux qui n’ont que l’école pour apprendre, ne sont pas explicitement conduits à percevoir les enjeux cognitifs des apprentissages. Cet appel se trompe don de diagnostic, ce n’est pas l’excès de savoirs ou la pédagogie transmissive qui sont en cause aujourd’hui, c’est l’incapacité à rendre visible pour tous les élèves les enjeux cognitifs des apprentissages. Ce que nous propose cet appel pour la refondation, c’est d’accentuer les travers de ces pédagogies invisibles alors qu’il faudrait inventer des démarches conjuguant les acquis des pédagogies nouvelles et ceux des pédagogies explicites.

Si le climat scolaire est dégradé dans de nombreux établissements, ce n’est pas parce que les enseignants manquent de « bienveillance » ou parce que la pédagogie est trop « transmissive ». C’est parce que les élèves issus des familles populaires, alors mêmes qu’ils s’efforcent de se conformer au « métier d’élève » (prendre la parole, donner son opinion, être actif) se retrouvent en échec, parce que les démarches pédagogiques mises en œuvre ne sont pas assez explicites sur les savoirs qu’il s’agit d’acquérir. L’ennui ne naît pas d’une trop grande directivité, mais d’une perte de vue de l’enjeu polémique et émancipateur des savoirs authentiques.

Le texte « Refondons l’école » se trompe dans le diagnostic sur la situation actuelle de l’école et il propose une thérapeutique qui conduirait à renforcer les causes des difficultés actuelles. Il faut cesser de s’agripper à une vulgate pédagogique qui remonte aux années 1930 et qui est devenue malgré tout la norme. Il faut prendre la mesure des discours et des décisions des responsables actuels des politiques éducatives (qui proposent de remettre en cause les disciplines scolaires et les savoirs qu’elles véhiculent), il faut s’appuyer sur les recherches consacrées aux inégalités d’apprentissage qui montrent que plus la pédagogie mise en œuvre est visible, plus la classification des savoirs est rigoureuse, plus le cadrage des activités d’apprentissage des élèves est précis, plus les malentendus se dissipent et plus les inégalités sociales d’apprentissage se réduisent.