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Enseignement moral et civique (EMC)
Une formation académique sur l’EMC. Par qui ?... Et pour quoi ?
dimanche 5 juin 2016, par
Dans le courant de l’année scolaire 2015-2016, "1 000 enseignants et personnels" se voient désignés pour participer, pendant deux jours, à un stage sur l’enseignement moral et civique (EMC). Le premier jour est consacré à la laïcité (sur laquelle portera l’essentiel de mon commentaire), la seconde session à d’autres thèmes du programme de baccalauréat professionnel. La formation théorique est dispensée, le matin, par une inspectrice ; l’après-midi, deux enseignants nous présentent des documents en vue de leur exploitation pédagogique. Les personnels sélectionnés ont à charge d’ "accompagner leurs pairs" dans chaque académie [1].
● L’introduction de l’EMC dans les programmes scolaires fait l’objet d’une publication au Bulletin officiel spécial n° 6 du 25 juin 2015 [2] . Son objectif est de "permettre aux élèves de bien comprendre le bien-fondé des règles régissant les comportements individuels et collectifs (principe de discipline), de reconnaître le pluralisme des opinions, des convictions et des modes de vie (principe de coexistence des libertés), et de construire du lien social et politique (principe de la communauté des citoyens)."
L’EMC se veut transdisciplinaire [3] mais fait l’objet d’un enseignement spécifique de la part des enseignants d’histoire-géographie. Deux thèmes ou deux séries de thèmes sont traités chaque année.
● Pratiquement personne ne conteste la mission éducative de l’école. D’ailleurs, certains des thèmes abordés l’étaient déjà dans le cadre de l’enseignement du précédent programme d’ "éducation civique juridique et sociale" (ECJS). Reste qu’un certain nombre de questions se posent, notamment : la question des horaires, la question de l’articulation entre éthique et politique, la question du rôle de l’enseignant dans l’enseignement de l’EMC.
14 heures pour l’EMC ?
● Avec des programmes de plus en plus lourds, les professeurs ont parfois sacrifié, tout ou partie de l’éducation civique pour "venir à bout" des autres matières que sont l’histoire et la géographie :
Entre 2009 et 2015, l’examen d’éducation civique portait toujours sur le thème obligatoire de Bac Pro [4] ; sachant à quoi s’en tenir, les enseignants négligeaient les autres thèmes qu’ils ne traitaient souvent même pas. C’est donc pour remédier à cette situation que l’’EMC n’élit plus de thème obligatoire.
Aujourd’hui encore, les enseignants de lettres-histoire - quadrivalents - dispensent des cours en histoire, en géographie, en histoire de l’art et en enseignement moral et civique. Et nombreux sont ceux qui ponctionnent sur les horaires de français le nombre d’heures qui leur fait défaut pour "boucler" le programme d’histoire-géographie.
● Les recommandations du ministère donne la répartition suivante :
Le découpage horaire donne un avantage certain à l’EMC sur les autres disciplines, alors que les thèmes sont deux fois plus nombreux en histoire et en géographie et que l’EMC ne compte que pour 20 % des points à l’épreuve du bac.
Ce décompte mathématique des thèmes n’est d’ailleurs pas toujours pertinent car le poids quantitatif et qualitatif de ces thèmes est inégal :
Certains thèmes sont "encyclopédiques" [5], comme le second thème de l’année de Terminale qui aborde notamment des notions et des institutions aussi diverses que 1° La bioéthique. 2° les OGM, 3° les thérapies géniques..., 3° Le rôle du Haut Conseil des Biotechnologies, 4° Les évolutions de l’éthique médicale, 5° La question du consentement du patient. 6° Le rôle du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), 7° Le principe de précaution. Mais un thème unique, comme celui de la laïcité en classe de Terminale, pèse d’un poids politique supérieur au précédent étant donné l’attachement des politiques à la "nouvelle laïcité" de 2004.
Enfin, certains aspects sont, pour l’instant et officieusement, mis de côté comme tous "les sujets non stabilisés", notamment la fin de vie, la gestation pour autrui (GPA). La mise à l’écart de ces sujets laisse d’ailleurs entrevoir la prévalence de l’approche légaliste des intervenants [6]. Comme si les questions posées n’étaient pas aussi importantes que les questions résolues. Comme si la prudence exigeait que l’examen du baccalauréat dût se limiter à ce que la justice ou la loi ont déjà tranché pour permettre au ministère de se retrancher derrière leurs boucliers.
Quid de l’intellectuel critique face à l’intellectuel de gouvernement ?
La seconde interrogation tient à l’organisation du stage sous l’égide d’une inspectrice de l’Éducation nationale, à la fois présidente (arbitre) et "auteure" (productrice de deux synthèses sur les thèmes de la laïcité et la discrimination, sous l’angle juridique). Le statut – et non la personne de l’inspectrice [7] – pose la question de l’autonomie du champ du savoir à l’égard du politique :
Depuis le décret du 18 juillet 1990, les personnels d’inspection sont placés sous la tutelle du recteur d’académie. "Ce rapprochement géographique de l’autorité hiérarchique a eu pour première conséquence une diminution de l’autonomie des inspecteurs". En contrepartie du "prestige de sa fonction", l’inspecteur a "un devoir de loyauté" envers le pouvoir politique, y compris "taire ses opinions (…) lorsqu’il a un désaccord sur le fond avec la politique ministérielle en cours". Dans ces conditions, on peut se demander s’il est judicieux qu’une formation sur la laïcité soit dispensée par une personne tenue par sa loyauté à l’égard de son ministère [8] alors que le rôle de l’intellectuel est précisément de "dire la vérité au pouvoir" [9]. Or, le thème de la laïcité, dont l’inspectrice se charge de nous donner un aperçu, est précisément l’objet d’une controverse entre les partisans de la laïcité de 1905 et les tenants de la laïcité de 2003. C’est ce qu’il ressort, par exemple, de la passe d’armes récente entre le Premier ministre, Manuel Valls, et Jean-Louis Bianco, le président de l’Observatoire de la laïcité, fin 2015 - début 2016 [10] : le 18 janvier, au cours d’une conférence-débat des Amis du Conseil représentatif des institutions juives de France, à Paris, Manuel Valls rappelle à son directeur que "l’Observatoire de la laïcité, (…) [était] placé sous [sa] responsabilité (…) alors que Jean-Louis Bianco prétendait "représente[r] une institution indépendante, et souhaitait qu’il [fallût] s’habituer dans la République à ce qu’il y ait des institutions indépendantes."
Ce statut d’ "intellectuel de gouvernement", incarné par les membres de l’inspection académique, s’avère incompatible avec la position soutenue par Jean Baubérot qui recommande un "soutien critique" à l’EMC [11] : comme le regrette l’historien et fondateur de la sociologie de la laïcité, "des sujets qui fâchent sont soigneusement évités. Mais je n’attendais pas de miracle de commissions et comités dont on connait bien les limites. Et rien n’empêche les profs d’aborder ce qui, dans l’explicitation donnée, reste des angles morts ; On peut même parier que, en maints endroits, les élèves pousseront leurs enseignants à aller plus loin que prévu. Beau défi. C’est pourquoi, il faut absolument prévoir des retours : que des interpellations et sur l’institution scolaire et sur la société globale puissent obtenir de la visibilité sociale." Il n’empêche, il sera bien difficile, pour l’enseignant, de pointer le fait que les règlements intérieurs votés en conseil d’administration sont illégaux sur plusieurs points [12].
Deux laïcités compatibles entre elles ?
Certes, quelques gages d’indépendance nous sont donnés à deux reprises au moins pendant le déroulement de la deuxième journée consacrée à l’étude des discriminations [13], mais plusieurs impasses trahissent le légitimisme de l’intervenante dans son exposé sur la laïcité :
1) La Charte de la laïcité à l’École (2013) [14] n’est jamais interrogée. Sa critique semble exclue du champ du pensable ou du dicible. Baubérot en a pourtant proposé une lecture critique en 2013 [15]. Naturellement, nul n’en a fait état durant la période de formation.
2) L’opposition entre les deux laïcités n’est pas explicitée. Certes, la laïcité nous est montrée dans sa diversité à travers un document qui en recense quinze définitions sur deux pages, les textes permettant de confronter les points de vue de sociologues, de politiques, sans compter de courts extraits de manuels. Mais l’antagonisme entre la laïcité de 1905 et la "nouvelle laïcité" de 2003 est passé sous silence.
Dans la présentation qui nous en est donnée, comme sur le Portail des valeurs de la République dont voici un extrait [16], le schéma qui prévaut est continuiste :
[1] "En 2004, François Fillon attache son nom à la plus récente loi de laïcité scolaire. [2] Cette fois-ci, le réglage concerne le port de signes religieux par les élèves,
[3] spécialement le port de foulards dits islamiques [4] par des jeunes filles. [5] Le problème est posé à la République [6] depuis les années 1980. Il aura fallu deux décennies pour accoucher d’une loi qui reprend la double dimension de la laïcité que nous avons identifiée : [7] à la traditionnelle neutralité est associée [8] la ’lutte déterminée contre toutes les formes de discrimination’ qui actualise [9] la dimension d’émancipation humaniste." Reprenons quelques-unes de ces affirmations, tout à fait représentatives du discours qui nous est tenu pendant le stage :
[2] Le texte utilise le déictique temporel, "cette fois-ci" qui nous donne à voir une succession de deux laïcités compatibles entre elles alors que tout les oppose ou presque.
[1] Il mentionne le nom de François Fillon mais, comme ce fut le cas durant le stage, le changement de contexte politique n’est pas mentionné : nul ne précise que la loi libérale de 1905 est promue par des hommes de gauche alors que la laïcité répressive de 2003 est votée à l’initiative de la droite à laquelle se rallie une bonne partie de la gauche de gouvernement ; ni que la nouvelle laïcité, centrée sur l’identité de la France, permet à l’extrême-droite de se réapproprier la laïcité.
Les intervenants sollicitent des auteurs qu’ils ne situent pas politiquement. Nous ne savons donc pas qui sont les contributeurs de L’Abécédaire du Guide républicain (2004) auxquels nous sommes renvoyés ni qui est le philosophe Abdennour Bidar [17]
dont les vidéos nous sont recommandées. Foin donc de la démarche sociologique qui vise à objectiver la position des agents dans l’espace social pour en expliquer les prises de position selon le triptyque bourdieusien bien connu : dispositions → positions → prises de position.
[7] L’extrait n’évoque pas le changement de sens donné à "la traditionnelle neutralité" : alors que la laïcité de 1905 imposait la neutralité aux personnels de l’État, la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école l’impose aux usagers. L’approche nominaliste (qui permet de nommer de la même façon deux choses différentes) voudrait nous faire croire que la neutralité de 2004 est dans le prolongement de la neutralité de 1905 alors qu’elle en exprime tout le contresens. Baubérot parle de "laïcité falsifiée" [18] à propos de la nouvelle laïcité.
[5] L’un des participants au stage estime que "la loi de 2004 est une réponse au ’problème’ posé par le voile". L’inspectrice corrobore ce point de vue étonnant : "on est face à un véritable problème" tout en admettant "qu’on est dans un rapport de forces qui se construit", dernière phrase à laquelle chacun peut souscrire. Mais, l’approche constructiviste [19], sitôt évoquée, est sitôt oubliée dès qu’il s’agit de plaider en faveur de la loi de de 2004 alors que les sciences sociales rejettent l’idée de "problèmes" allant de soi et mettent l’accent sur leur invention par les groupes sociaux. En témoignent les titres d’ouvrages comme ceux de Thomas Deltombe : "L’Islam imaginaire" et "la construction médiatique de l’islamophobie en France" ; de Marwan Mohammed et Abdellali : "comment les élites françaises fabriquent le problème musulman" ; d’Houda Asal, la "fabrique" du "nouveau concept" d’islamophobie.
[6] Ce "problème" se serait posé depuis les années 1980. C’est précisément de cette époque que date la montée du Front national (sa victoire aux municipales de Dreux en 1983). C’est de cette époque que la gauche de gouvernement formule sa réponse au (double) péril de l’extrême-droite (et de l’immigration) : en 1984, le Premier ministre d’alors, Laurent Fabius, estime que "le phénomène Le Pen procède à de ’vraies questions’ auxquelles l’extrême droite apporte de fausses réponses" [20]. À partir de ce moment, l’immigration maghrébine devient un "problème" pour tout le monde, à droite comme "à gauche" [21].
[3] Ce "problème" concerne "spécialement le port de foulards dits islamiques" ; nul ne nous précise que cette loi est dure avec la religion musulmane et douce avec la religion chrétienne qu’elle considère comme un fondement de l’identité française. Ce que Baubérot appelle une "catholaïcité".
[8] Au contraire, le texte évoque "la ’lutte déterminée contre toutes les formes de discrimination’ ". Il ne s’alarme pas non plus d’une loi qui vise d’abord les [4] "jeunes filles" alors que les garçons échappent à son emprise.
[9] Enfin, la loi de 2004 comporterait une "dimension d’émancipation humaniste" alors qu’elle prône le rétablissement de l’autorité. D’ailleurs, pour François Baroin, son promoteur, "à un certain point, la laïcité et les droits de l’homme sont contradictoires" (sic).
L’EMC, une réponse au "choc des civilisations" et à la radicalisation des banlieues ?
1) L’introduction de l’EMC dans les programmes scolaires coïncide avec les attentats islamistes contre Charlie Hebdo, du 7 janvier 2015 et ceux commis dans plusieurs quartiers parisiens, le 13 novembre de la même année. Cette concordance a pu laisser à penser que ce "nouvel" enseignement était une réponse à ces attentats. Cette thèse est démentie par le ministère qui fait valoir que l’EMC est antérieure et remonte à la "loi d’orientation et de de refondation de l’École de la République" du 9 juillet 2013 [22], initiée par le ministre (PS) Vincent Peillon (2012-2014).
2) Pourtant, l’avènement de l’EMC doit être replacé dans son contexte historique plus large car il n’est pas sans lien avec l’islamophobie surgie du monde post-communiste et de l’après-Guerre froide : dès la Révolution iranienne de 1979, mais surtout depuis 1990, et encore davantage depuis 2001, l’ennemi des démocraties occidentales n’est plus le communiste soviétique mais l’arabo-musulman [23]. En maintenant la bipolarisation, mais en en changeant d’axe (l’affrontement méridional Nord-Sud se substitue au conflit longitudinal Est-Ouest), les militaires redonnent un sens global aux événements mondiaux, quitte à fabriquer un ennemi artificiel, ce qui leur permet de conserver les budgets et les postes nécessaires à leur existence.
Cette nouvelle perception du monde, qui voit le jour aux États-Unis avec la thèse du choc des civilisations, soutenue par Samuel Huntington [24], paraît "confirmée" par les attentats terroristes du 11 septembre 2001 [25] ; en France, elle se manifeste notamment par le passage de la laïcité historique (de 1905) à la nouvelle laïcité (de 2003), par l’organisation d’un "débat" sur l’identité nationale initié par Nicolas Sarkozy en 2007 [26]. Comme en 2001 aux États-Unis, les attentats terroristes de 2015, en France, "confirment" la lecture culturaliste du monde et justifient les raidissements du monde politique à l’égard du monde musulman comme le confirment : en Europe, la politique de fermeture des frontières pratiquée dans l’espace Schengen [27] ; en France, sous le mandat de François Hollande, l’instauration de l’état d’urgence et ses multiples prolongations ainsi que la tentative avortée, en 2016, de l’inscription de la déchéance de la nationalité dans la constitution.
3) L’EMC constitue une réponse à la radicalisation des jeunes de banlieue.
"Depuis les attentats, la ministre de l’Éducation le crie sur tous les toits : l’école se mobilise pour les valeurs de la République"Article cité Libération, 22/01/2015. : lors son discours du 22 janvier 2015, la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, affiche sa détermination : "L’École est et sera en première ligne, avec fermeté, discernement et pédagogie, pour répondre au défi républicain, parce que c’est son identité et sa mission profonde. École et République sont indissociables. Elles doivent le rester ".
Pour Vincent Geisser [28], ce discours "entend renouer avec le mythe de ’l’école sanctuaire’, à la fois pilier et vecteur de l’universalisme républicain". Il entend répondre au "développement du jihadisme radical dans les banlieues françaises, (…) perçu comme la conséquence directe d’une crise de valeurs, ou plutôt d’une incapacité des institutions éducatives à transmettre aux populations les plus vulnérables les vertus du modèle républicain", voire des carences d’ "une partie du corps enseignant jugée trop laxiste face au radicalisme religieux".
En conséquence, ce discours de la ministre s’accompagne d’un ensemble de mesures : la confirmation de l’instauration de l’EMC en remplacement de l’éducation civique, la révision des programmes scolaires en vue de renforcer le contenu de l’enseignement laïque du fait religieux, la mise à disposition de ressources pédagogiques pour les enseignants, la préparation d’un "un livret opérationnel de prévention et de lutte contre les phénomènes de radicalisation", la mise en place d’un plan de formation continue à la laïcité, un soin spécial accordé à l’éducation aux médias pour "apprendre aux élèves à lire et à décrypter l’information et l’image, à aiguiser leur esprit critique et à se forger une opinion, compétences essentielles pour exercer une citoyenneté éclairée et responsable en démocratie" ; des sanctions renforcées à l’égard des élèves et des professeurs qui contreviendraient aux principes et aux valeurs de la République : une attention portée aux candidats au concours d’enseignant, testés à l’examen sur leur capacité "à expliquer et à faire partager les valeurs de la République", etc.
Selon Vincent Geisser [29], "la réponse institutionnelle au ’terrorisme djihadiste’ se fonde sur l’idée reçue que sa pédagogie mortifère concurrencerait objectivement la pédagogie laïque et républicaine, avec un risque de contamination à de larges secteurs de la société française, et plus particulièrement – même si cela n’est jamais énoncé explicitement – aux populations dites ’arabo-musulmanes’, parce que censées entretenir une plus grande proximité sociale et culturelle avec les terroristes."
Sans entrer dans le détail, on sait que cette lecture religieuse du jihadisme est loin d’être admise par tous [30]. Pour Vincent Geisser, "les chercheurs en sciences sociales convergent au moins sur un certain nombre de tendances lourdes qui permettent de dépasser les interprétations culturalistes et essentialistes du terrorisme djihadiste, en le reliant analytiquement aux autres manifestations de violences extrêmes observées en ce début de XXIe siècle : processus d’individualisation et/ou de privatisation de la violence (elle n’est plus le fait d’organisations de masse ou de groupes structurés mais d’individus isolés [31], recours par les acteurs à la mise en scène médiatique et à la théâtralisation des opérations [32], porosité des frontières entre terrorisme et banditisme [33], déconnexion totale entre la fin poursuivie et les moyens [34], attaques de plus en plus fréquente des symboles de la société civile (presse, intellectuels, artistes, etc.) et plus exclusivement de ceux l’État [35], etc., autant d’évolutions significatives qui nous permettraient de sortir du débat stérile sur la nature’ religieuse’ du terrorisme islamique et de contribuer sans doute à mieux le cerner à la fois de ses particularités et ses similitudes avec les autres phénomènes de violences radicales."
L’explication exclusive du recours à la violence politique par la dimension religieuse conduit à plusieurs écueils dont le risque de stigmatisation des musulmans. Or, comme le souligne Olivier Roy, "la grande proportion de convertis parmi les radicaux (22 % de volontaires qui rejoignent Daech, selon la police française) montre bien que la radicalisation concerne une frange marginale de la jeunesse en générale et non le cœur de la population musulmane" [36].
Quel rôle pour l’enseignant chargé de l’EMC ?
1) L’EMC présente plusieurs caractéristiques : en principe transdisciplinaire, il est – comme nous l’avons déjà signalé – dévolu aux enseignants de lettres-histoire. En second lieu, il faut noter qu’il a pour particularité de s’écarter du principe de neutralité axiologique propre aux sciences. Même s’il ne doit pas s’énoncer verticalement, de l’enseignant à l’enseigné, sa nature "morale" veut qu’il s’énonce sur le mode prescriptif et injonctif, qui vise moins à faire dire qu’à faire souscrire [37]. Souscrire mais à quoi ? Aux valeurs de la République que sont l’égalité, la liberté, la fraternité [38], la laïcité. Mais à quelle laïcité ? Bien que le programme recommande, "une étude de cas à partir des conditions d’élaboration de la loi de 2004 et des débats au sein de la commission Stasi", il est à craindre que la loi s’étudie pour elle-même au lieu d’en étudier les débats contradictoires dans une histoire mise en perspective.
2) Des deux laïcités – de 1905 et de 2003 –, laquelle va-t-elle l’emporter ?
a) À l’échelle de la société, Serge Guimond et son équipe restent prudents [39] : "D’un côté, ces attentats ont porté le débat public autour de l’endoctrinement des jeunes et semblent orienter le débat des citoyens sur l’incompatibilité des valeurs de l’Islam avec celle des pays occidentaux dans la logique "du choc des civilisations" de Samuel Huntington. D’un autre côté, la marche républicaine du 11 janvier, qui a rassemblé 4 millions de personnes, tend à véhiculer un message de tolérance envers l’islam et d’unification face à la menace terroriste ("nous sommes tous Charlie"). Ce message, plus en phase avec la laïcité historique dans la mesure où il s’agit de défendre l’égalité de toutes les religions, a pu impacter positivement les attitudes vis-à-vis des minorités maghrébines." Pour Serge Guimond, c’est la laïcité de 1905 qui a permis de résister aux attentats de 2015, non celle de 2003 [40].
b) À l’école, l’affaire semble entendue à cause du rôle que joue l’institution dans la promotion de la "nouvelle laïcité" et de la place incontournable prise par la Charte de la laïcité à l’École" (les élèves en entendent parler dans différents cours par différents professeurs).
Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner quelques questions d’EMC proposées par des collègues (d’une autre académie) en vue de l’examen du baccalauréat professionnel. Ces questions sont accompagnées de la totalité des quinze articles de la Charte :
Q. 1. Identifier et expliciter les valeurs et les principes de la charte de la laïcité.
Q. 2. En utilisant vos connaissances et le document, donner une définition de la laïcité.
Q. 3. Pourquoi la laïcité à l’École permet-elle de "vivre ensemble" ?
S’il fallait ne retenir qu’une de ces questions, ce serait la dernière, d’ailleurs ambiguë : est-ce l’enseignement de la laïcité à l’école qui permet de "vivre ensemble" ? Est-ce la Charte de la laïcité qui permet aux élèves de mieux "vivre ensemble" ? Malgré les recommandations audacieuses de Jean Baubérot quant au soutien critique qu’il convient d’apporter à l’EMC, l’enseignant peut-il émettre des réserves sur la "nouvelle laïcité" ? Si l’on retient la deuxième hypothèse de lecture, peut-on imaginer qu’un élève réponde négativement à la question sans subir d’évaluation négative de la part de l’examinateur ?
À la dernière question, les élèves répondent souvent que l’École et / ou la Charte permettent de vivre ensemble parce qu’elles cantonnent la religion à l’espace privé et qu’elles interdisent l’expression religieuse, comprise comme un ferment de discorde entre eux. Ce genre de réponse est révélateur de plusieurs phénomènes :
1° Du point de vue des élèves,
i. la réponse fonctionnaliste qu’ils formulent ne fait qu’anticiper la réponse attendue par l’institution à l’appel d’une question rhétorique ;
ii. Ils tendent à étendre la loi de 2004 (sur l’interdiction des signes religieux à l’école) à tous les autres espaces publics.
iii. Ils étendent l’interdiction vestimentaire de la loi de 2004 à tout autre mode d’expression en dépit de l’article 8 de la Charte qui stipule : "La laïcité permet l’exercice de la liberté d’expression des élèves dans les limites du bon fonctionnement de l’École comme du respect des valeurs républicaines et du pluralisme des convictions."
iv. Ils font prévaloir la nouvelle laïcité sur la laïcité historique. Ils méconnaissent la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de son article 10 selon lequel "nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses", rejoignant le point de vue précité de François Baroin pour qui : "à un certain point, la laïcité et les droits de l’homme sont contradictoires".
2° Du point de vue des enseignants, ce genre de questionnement les convertit de fait en "entrepreneurs de morale" [41] voués à la promotion d’une norme – la nouvelle laïcité – contre une autre – la laïcité historique. Car, comment imaginer qu’un enseignant sanctionne favorablement l’élève qui répondrait que la loi de 2004 ne facilite pas le vivre ensemble ? Dans le cas d’espèce, l’enseignant n’est-il pas condamné qu’à "surveiller et punir" [42] ?
La nouvelle laïcité facilite-t-elle le "vivre ensemble" ?
1) La loi de 2004 favorise l’exclusion en opérant plusieurs ruptures :
1° Elle s’oppose à la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, la laïcité historique n’imposant de neutralité religieuse qu’au personnel scolaire et non pas aux élèves ;
2° Elle oppose les catholiques et les membres des autres confessions dont les signes d’appartenance religieuse font l’objet d’une appréciation différente en raison de la prise en compte de la taille des symboles ;
3° Elle oppose les écoles publiques et les écoles privées qui sont exclues de son champ d’application. Elle a d’ailleurs favorisé la création d’établissements confessionnels et contribué à renforcer les effectifs des écoles privées au détriment des écoles publiques. Les écoles privées sous contrat – reconnues par l’État – accueillent de plus en plus d’élèves :
2 millions, soit 17 % des effectifs, répartis dans :
8 500 écoles catholiques,
282 écoles juives (dont 148 sont en cours de contractualisation),
50 écoles musulmanes (dont 20 en cours de création) ;
4° Elle oppose les lycéens et les étudiants qui ne sont pas (encore) concernés par la nouvelle laïcité.
2) Pour Pierre Merle, "la laïcité est en quelque sorte négative" dans les établissements publics. La nouvelle laïcité. Elle substitue l’interdiction des identités religieuses au principe constitutionnel du respect de toutes les croyances. Elle favorise moins le vivre-ensemble que les regroupements communautaires et l’entre-soi religieux dans les établissements privés qui ne sont pas soumis à la définition négative de la laïcité de la loi de mars 2004. Cette loi a apporté une sorte d’avantage comparatif aux établissements privés qui bénéficient, contrairement aux établissements publics, d’une laïcité positive, ouverte à l’expression ’ostensible’ des identités religieuses." [43]
Hanifa Chérifi
Inspectrice de l’éducation nationale, membre du HCI, elle est l’auteure, en 2005, d’un rapport qui juge positivement la loi sur l’interdiction des signes religieux à l’école. Ce rapport constate, en effet, "une diminution des signes religieux recensés par l’Éducation nationale. Il y en avait 3000 en1994 et 1465 en 2003-2004. Il y avait donc déjà une diminution. Et en 2004-2005, son rapport en recense 639". Mais, pour Marwan Mohammed, c’est l’unique critère pour qualifier de ’positive’ cette loi. D’un point de vue sociologique, si l’on veut s’intéresser aux effets de la loi, il faudrait davantage d’indicateurs. Par exemple, on ne connaît pas le nombre de filles qui ont décidé de ne plus aller à l’école, choisi l’autoformation, préféré une école musulmane ou catholique ou encore celles qui ont choisi de suivre un cursus par le Cned… On ne connait pas non plus l’impact social ou psycho-logique sur les trajectoires des filles concernées. (…) Autre question sans réponse : la loi a-t-elle contribué à enlever définitivement ou à maintenir le hijab ? [44] "
3) L’équipe de psychosociologues réunis autour de Serge Guimond [45] estime que la "nouvelle laïcité" de 2003 remet en question le modèle républicain dans son rôle de garant de l’acceptation, du respect et de l’intégration pour ses citoyens car "elle est reliée à plus d’intolérance et ne facilite pas le vivre ensemble." [46] Pour Serge Guimond :
1° "L’école n’exerce pas d’influence directe sur la perception des élèves envers les immigrés, mais elle en a une sur l’adhésion à telle ou telle laïcité qui permet de prédire les attitudes d’ouverture et de rejet des autres groupes".
2° "Les liens entre les deux laïcités et ce que l’on appelle le vivre-ensemble sont diamétralement opposés : les corrélations sont positives entre ’la laïcité historique’ et le fait d’être ouvert à la diversité. À l’inverse, on voit des corrélations négatives entre l’adhésion à la ’nouvelle laïcité’ et l’acceptation de ces différences."
3° Il existe un lien marqué entre les préjugés envers les minorités maghrébines et de confession musulmane et la nouvelle laïcité. La nouvelle laïcité est "un moyen de dissimulation de certains préjugés envers les Maghrébins et les Musulmans de France".
4° "La laïcité historique favorise la cohésion nationale et l’intégration tandis que la nouvelle laïcité crée des clivages".
5° La laïcité historique est reliée à "un plus grand bien être psychologique (éprouver des sentiments positifs)", ce qui n’est pas le cas de la nouvelle laïcité.
Un manque de compétence ?
Comme nous l’avons déjà signalé, le fait que la formation soit dispensée par un membre de l’inspection académique nous paraît problématique. Pour la raison, déjà évoquée, que le statut de ces agents de l’État les place dans une situation d’alliés objectifs – de chiens de garde [47] – du pouvoir politique. Mais pour d’autres raisons encore :
1) Les membres de l’inspection n’ont, bien souvent, pas de "titres à parler" qui les autoriserait à s’exprimer sur les sujets qu’ils abordent alors que leur statut les y contraint. Comme l’a montré Bourdieu, le titre scolaire représente "un véritable titre de propriété symbolique qui donne droit à des profits de reconnaissance" [48]. Par l’effet de consécration institutionnelle qui lui donne sa force illocutoire, le langage autorisé a la certitude d’être non seulement entendu mais reconnu [49]. Du fait de la position sociale du locuteur, selon qu’elle lui donne l’accès ou non "à la langue de l’institution, à la parole officielle, orthodoxe, légitime", selon qu’elle lui donne l’accès ou non aux outils de la mise en scène linguistique (la chaire, le micro, la déclinaison des titres, la mise à distance spatiale), les paroles ne sont pas également crédibles et audibles. Par un effet d’allodoxia, la parole de l’inspectrice apparaît pour ce qu’elle n’est pas car prendre la parole à la place d’un intellectuel "spécifique", c’est commettre un "effet d’oracle" [50], par lequel l’intervenante usurpe une compétence intellectuelle qu’elle ne possède pas.
2) Plusieurs exemples (autre que ceux que nous cités sur la laïcité) peuvent illustrer les lacunes du dis-cours magistral qui nous est tenu pendant la moitié du temps passé en stage (l’autre moitié est consacrée à l’examen de documents à vocation pédagogique) :
a) Sur les discriminations.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le signaler, la discrimination est seulement abordée sous l’angle juridique à partir d’un document qui s’alimente à une source unique [51]. Certes, cette approche est-elle conforme au référentiel qui recommande l’analyse des "textes juridiques fondamentaux de lutte contre les discriminations (particulièrement la loi du 1er juillet 1972)". Mais à prendre en compte uniquement l’aspect juridique, purement descriptif de l’objet d’étude, on risque fort de passer à côté des enjeux qui le traversent. Ainsi, la lecture d’un ouvrage sur le droit et la bioéthique ne nous informe guère sur les enjeux de la bioéthique comme pourrait le faire un ouvrage de sociologie. À l’exception du livre de Stéphanie Hennette Vauchez, (Le Droit de la bioéthique, La Découverte, Repères, 2009), un ouvrage comme celui de Valérie Depadt-Sebag (Droit et bioéthique, Larcier, 2012) ne nous informe guère sur les enjeux de la bioéthique. Sur le sujet, les ouvrages sociologiques sont rares. On peut cependant citer le dossier présenté sous la direction d’Eric Fassin, La Bioéthique en débat : angles vifs et angles morts, 2012. http://www.raison-publique.fr/article528.html/. Il en irait de même d’un ouvrage juridique sur la laïcité [52]. Faire l’impasse sur les sciences sociales nuit à une bonne compréhension des sujets traités.
Des formes de discrimination ne sont pas évoquées. Ainsi la glottophobie n’apparaît-elle pas dans le "glossaire" de "DiscriminNON !" et les intervenants n’y font pas allusion alors que nous devrions y être particulièrement sensibilisés en tant qu’enseignants de lettres [53].
b) Sur l’éducation aux médias.
Un document schématique nous est remis [54] sur la distinction entre rumeur et information. Certes, l’inspectrice précise avec précaution que les supports qu’elle propose ne sont pas exempts de critiques mais celui-ci ne fait l’objet d’aucune objections comme s’il était digne de confiance. Il émane d’ailleurs du "Centre de liaison de l’Enseignement et des Medias d’information" (CLEMI), un organisme domicilié au ministère de l’Éducation nationale.
André Gunthert trouve ce document d’une "simplification abusive" [55]. Pour Jean-Bruno Renard [56], "Beaucoup de recherches sur les rumeurs montrent que les médias ont joué et jouent encore un rôle important dans la diffusion de nouvelles fausses ou douteuses". Le document oppose en effet les journalistes aux auteurs de "rumeurs" en prétendant que le journaliste ne produit pas de rumeurs parce l’information est…
… [1] "vérifiée",
[2] transmise pas "un journaliste"
[3] qui répond à une "charte éthique".
[2] La carte de presse sert "un mythe fortement ancré dans l’esprit du public et même des journalistes qu’il existe une structure fiable et garante de la qualité et de l’intégrité des journalistes" [57]. Si le journaliste est un professionnel, cette qualification ne suffit pas à le rendre infaillible car il est placé sous une double dépendance politique et économique qui lui impose des contraintes, qui elles-mêmes produisent des effets : la quête de l’audience, la concurrence médiatique, l’exigence de rapidité, la mise sous le boisseau des "journalistes embarqués" dans les conflits armés (depuis la Seconde guerre du Golfe) [58], la recherche du sensationnalisme, des croyances partagées conduisent à l’absence de vérification de l’information, à l’emballement médiatique [59].
[3] En ce qui concerne, le respect d’une déontologie journalistique, Xavier Molénat montre que la profession journalistique se dote de codes "qui n’ont de déontologique que le nom. La spécificité de la déontologie, au sens strict, ne tient pas au fait de traduire en devoirs professionnels des ’valeurs morales à vocation universelle’ (probité, honneur, désintéressement...), ce que l’on retrouve aussi dans l’éthique professionnelle. Elle tient au mode de sanction des manquements constatés, qui est le fait d’« instances reconnues au sein des groupements professionnels (...). ’La sanction de la règle déontologique est donc un acte de contrainte socialement organisé, c’est-à-dire déterminé de façon précise, et dirigé envers le contrevenant selon une certaine procédure, par une instance spécialisée à qui a été confié ce pouvoir’ [60]. Or ces instances n’existent pour ainsi dire jamais, en dehors de quelques professions libérales, historiquement organisées autour d’un ordre (médecins et spécialistes de la santé, avocats, architectes...) ayant un pouvoir de sanction pouvant aller jusqu’à la radiation" [61].
[1] Les rumeurs d’origine journalistique sont nombreuses et leur recensement serait fastidieux : depuis le faux charnier de Timisoara, en 1989, jusqu’à l’agression de Gennevilliers en avril 2016 [62]. Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter chaque jour la rubrique "vite-dit" du site de Daniel Schneidermann, arrêt sur images [63].
2) Compte tenu de la relative faiblesse des exposés théoriques, se pose la question du statut du destinataire de la formation : l’homologie structurale entre l’inspectrice et les enseignants de lycées professionnels, sous l’angle de leur vocation à tenir des discours généraux, laisse à penser que les enseignants professionnels ne peuvent prétendre qu’à des "instructeurs" généraux et non pas des chercheurs spécialisés. Aucune bibliographie ne nous est communiquée sur les sujets abordés : ni sur les discriminations [64], ni les médias, sur les rumeurs [65].
Sur les théories du complot : Les Théories du complot, Agone, 47, 2012 ; Les Théories du complot aujourd’hui, Diogène, 249-250, 2015.]]. Comme si les personnels visés n’avaient pas besoin "d’aller plus loin".
Quelle liberté de ton et quels bénéfices pour l’enseignant ?
Il est une dernière raison qui rend inopportune la présence active d’un membre de l’inspection à ces journées de formation.
1) L’enseignant est confronté à une conférencière qui est par ailleurs sa supérieure hiérarchique. La nature asymétrique des relations entre les participants peut tendre leurs échanges, compte tenu de ce que nous savons des sentiments mélangés qu’inspire l’inspection : "doute", "crainte", "sentiment d’infantilisation", "relation œdipienne" [66], etc. La situation de stage reproduit partiellement cette situation de dominant à dominé qui n’est pas saine : durant l’entretien qui suit l’inspection – comme dans la situation du stage –, le dialogue – quand il s’instaure – n’est pas sans générer de l’autocensure dans l’auditoire.
2) L’enseignant se retrouve dans la situation paradoxale de l’évalué, devenu l’évaluateur de l’évaluatrice. L’inversion momentanée des rôles, au moment du remplissage des grilles d’évaluation, relève du faux-semblant : qui pourrait prétendre juger négativement, même modérément, le contenu de la formation théorique prodiguée par l’inspectrice, la même dont il redoute l’évaluation ? Quelle peut bien être sa liberté de critique vis-à-vis d’elle ? Le remplissage de cette grille demeure d’ailleurs formel, chacun d’entre nous se contentant de répondre positivement aux items qui nous sont proposés.
3) Il resterait à évaluer la portée d’une telle formation. Sachant que ce stage est imposé, il est à craindre qu’il ne touche que les publics prédisposés. Pour en avoir discuté avec quelques collègues lors de la deuxième session, il apparaît que la laïcité n’était pas bien assimilée dans sa diversité contradictoire.
[1] Marie Piquemal, "Laïcité, ‘valeurs de la République’, mixité… les solutions de Vallaud-Belkacem", Libération, 22 janvier 2015.
http://www.liberation.fr/societe/2015/01/22/laicite-valeurs-de-la-republique-mixite-les-solutions-de-najat-vallaud-belkacem_1186223. J’ai assisté à ce stage les 7 décembre 2015 et 8 avril 2016 au lycée polyvalent Élisa Lemonnier, à Paris.
[3] Jean-Pierre Terrail, "Les Enjeux cachés de l’interdisciplinarité au collège", 2015 http://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article213
Alain Beitone, "Educations à… Ya basta !", 2014 http://skhole.fr/educations-a-ya-basta-par-alain-beitone
[4] Nathalie Mons, "Éducation civique à l’école : négligée et insuffisante. Elle est pourtant primordiale", L’Obs Le Plus, 16-01-2015.
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1307178-education-civique-a-l-ecole-negligee-et-insuffisante-elle-est-pourtant-primordiale.html
[5] C’est le terme utilisé par la chercheuse Carine Vassy que j’ai contactée dans le courant de l’année 2015 http://iris.ehess.fr/index.php?109
[6] L’inspectrice nous remet un document de 11 pages intitulé "Les Discriminations et le droit", emprunté au site "Discrimi-Non !", le portail de la lutte contre les discriminations de la région Rhônes-Alpes. http://discrimi-non.org/category/2-La-discrimination-et-le-droit
[7] Ernst Kantorowicz, Les Deux corps du roi. Essais sur la théologie politique au Moyen Âge, Gallimard, 1989, 1957.
[8] Xavier Albanel, Le Travail d’évaluation. L’inspection dans l’enseignement secondaire, Octares, 2009, p. 7-13.
[9] Gérard Noiriel, Les Fils maudits de la République. L’avenir des intellectuels en France, Fayard, 2005, p. 53.
[10] Durant cette controverse, Jean-Louis Bianco, est accusé de faire le jeu des extrémismes après la publication d’un texte signé, entre autres, par une bonne partie des responsables politiques de l’islam de France, notamment une association "proche" des Frères musulmans : le Premier ministre, Manuel Valls, s’en indigne devant les Amis du CRIF ; trois membres de l’Observatoire, favorables à la nouvelle laïcité, suspendent leur participation. Une pétition est lancée pour demander la démission de Bianco.
[11] Jean Baubérot, "L’Enseignement moral et civique", Médiapart, 31 août 2015.
http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-bauberot/310815-enseignement-moral-et-civique
[12] Les droits et obligations des lycéens figurent dans le premier thème du cours d’EMC de seconde, "La Personne et l’état de droit". Sur cet aspect, on peut lire : Pierre Merle, L’Élève humilié. L’école, un espace de non-droit ?, PUF, 2008.
[13] Parmi les documents qui nous sont distribués, nous trouvons :
1° un communiqué de la LDH du 19 mars 2014 qui évoque la politique discriminatoire du gouvernement français à l’égard des Roms ;
http://ldh-toulon.net/les-Roms-bulgares-ou-roumains.html
2° un diptyque sexiste utilisé par le ministère de l’Éducation nationale pour le recrutement de ses personnels enseignants en 2011.
http://www.lesinrocks.com/2011/06/17/actualite/education-nationale-parce-que-tu-ne-vaux-rien-1113850/
[15] Jean Baubérot, "Charte de la laïcité : vive l’école laïque", Médiapart, 9 sept. 2013.
https://blogs.mediapart.fr/jean-bauberot/blog/090913/charte-de-la-laicite-vive-l-ecole-laique
[16] Portail ouvert le 21 mars 2016. https://www.reseau-canope.fr/les-valeurs-de-la-republique/laicite.html.
Les passages sont soulignés par nous.
[17] Abdennour Bidar : ce philosophe, membre de la revue Esprit, a rédigé un rapport intitulé Pour une pédagogie de la laïcité à l’école, La Documentation française, 2012. http://archives.hci.gouv.fr/IMG/pdf/Pedagogie_de_la_laicite-web.pdf
Dans leur ouvrage sur l’islamophobie, (p. 117), Abdelllai Hajjat et Marwan Mohammed qualifient Bidar de "repenti", une figure empruntée à Noam Chomsky et Edward Herman dans La Fabrique du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, Agone, 2008. La notion correspond à "ces musulmans modérés qui alimentent le sens commun sur l’islam". Vincent Geisser consacre aussi un passage aux "musulmans islamophobes ?" in, La Nouvelle islamophobie, La Découverte, 2003, pp. 95-112. Alain Gresh, "Bidar, ces musulmans que nous aimons tant", Nouvelles d’orient, Le Monde diplomatique, 25 mars 2012.
http://blog.mondediplo.net/2012-03-25-Bidar-ces-musulmans-que-nous-aimons-tant
[18] Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, La Découverte, 2012.
[19] Peter Berger, Thomas Luckmann, La Construction sociale de la réalité, Méridiens Klincksieck, 1986. Rémi Lenoir, "Objet sociologique et problème social", in P. Champagne et al, Initiation à la pratique sociologique, Dunod, 1999.
[20] Antenne 2, le 5 septembre 1984.
[21] Sur la droitisation de la gauche de gouvernement, on peut lire : Laurent Bonelli, "Histoire d’un label politique", Le Monde diplomatique, novembre 2011. http://www.monde-diplomatique.fr/2011/11/BONELLI/46902
[22] Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013. JORF n°0157 du 9 juillet 2013.
https://www.legifrance.gouv.fr
[23] Bertrand Badie, Nouveaux mondes. Carnets d’après Guerre froide, CNRS, 2012 ; B. Badie, Quand l’histoire commence, CNRS, 2013.
[24] Samuel Huntington, "The Clash of civilizations", Foreign Affairs, 1993. Pour la réfutation de cette théorie, Raphaël Liogier, La Guerre des civilisations n’aura pas lieu. Coexistence et violence au XXIème siècle, CNRS, 2016.
[25] Didier Bigo, Laurent Bonelli, Thomas Deltombe, Au nom du 11 septembre. Les démocraties à l’épreuve de l’antiterrorisme, La Découverte, 2008.
[26] Gérard Noiriel, À quoi sert l’identité nationale ?, Agone, 2007.
[27] Des 26 pays qui appartiennent à l’espace Schengen, 10 ont rétabli des contrôles aux frontières entre l’automne 2015 et le printemps 2016.
[28] Vincent Geisser, "Éduquer à la laïcité, rééduquer au ‘bon islam’ ? Limites des réponses culturalistes et misérabilistes au terrorisme", Migrations Société, CIEMI, vol. 27, no 157, 2015.
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2015/02/16/eduquer-a-la-laicite-reeduquer-au-bon-islam/
[29] Vincent Geisser, article cité.
[30] Pour une présentation rapide de l’éventail des positions explicatives du jihadisme, on peut lire l’article de Cecile Dumas, "Olivier Roy et Gilles Kepel, querelle française sur le jihadisme", Libération, 14 avril 2016.
[31] Michel Wieviorka, Sociétés et Terrorisme, Fayard, 1989. (Note de V. Geisser).
[32] Antoine Megie, "La ‘scène terroriste’ : réflexions théoriques autour de ‘l’ancien’ et du ‘nouveau’ terrorisme ", Canadian Journal of Political Science/Revue canadienne de science politique, Cambridge University Press (CUP), 2010, vol 43 (04), p.983-1003. (Note de V. Geisser).
[33] Isabelle Sommier, "Violence politique et violence criminelle : la porosité des frontières", in Xavier Crettiez (dir.), Le silence des armes ? L’Europe à l’épreuve des séparatismes violents, La Documentation française, 1999, p. 33-50. (Note de V. Geisser).
[34] Xavier Crettiez, Isabelle Sommier, "Les attentats du 11 septembre : continuité et rupture des logiques du terrorisme", Annuaire français des relations internationales, 2002, op.cit., p. 67. (Note de V. Geisser).
[35] Ibid, p. 63. (Note de V. Geisser).
[36] Olivier Roy, "La Peur d’une communauté qui n’existe pas", Le Monde, 9 novembre 2015.
[37] Bernard Lacroix, "Contrebande et contrefaçons", Critiques sociales, 8-9, 1996, p. 7.
[38] La devise est inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et au fronton des bâtiments publics depuis le 14 juillet 1880.
[39] Armelle Nugier, Marlène Oppin, Medhi Cohu, Rodolphe Kamkiejski, Élodie Roebroeck, Serge Guimond, " ’Nouvelle Laïcité’ en France et Pression normative envers les minorités musulmanes", International Review of social psychology, 29, 1, 2016.
http://www.rips-irsp.com/articles/10.5334/irsp.11/
[40] Serge Guimond, "La "Nouvelle laïcité" est reliée à plus d’intolérance", Laïcité & Religions, 8, 2016.
[41] Howard Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance , Métailié, 1985.
[42] Michel Foucault, Naissance de la prison. Surveiller et punir, Gallimard, 1975.
[43] Pierre Merle, "Faut-il refonder la laïcité scolaire ?", La Vie des idées, 17 février 2015.
http://www.laviedesidees.fr/Faut-il-refonder-la-laicite-scolaire.html/
[44] Marwan Mohammed, "Interdiction du voile à l’université : ’L’idée, c’est que les musulmans posent problème peu importe où ils se trouvent’ ”, Les Inrocks, 8 juillet 2013.
[45] Serge Guimond et al., article cité.
[46] Serge Guimond, article cité sauf le point numéro 3 qui se trouve en conclusion de l’article collectif.
[47] Paul Nizan, Les Chiens de garde, 1932 ; Serge Halimi, Les Nouveaux chiens de garde, Liber, 1997 ; William Blanc, Aurore Chéry, Christophe Naudin, Les Historiens de garde. De Lorant Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national, Inculte, 2013.
[48] Pierre Bourdieu, "Espace social et pouvoir symbolique", 1986, in Choses dites, Minuit, 1987, p. 161.
[49] Pierre Bourdieu, "Le Langage autorisé : les conditions sociales de l’efficacité du discours rituel, in Ce que parler veut dire, Fayard, 1982, pp. 107 et 109.
[50] Pierre Bourdieu, "La Délégation et le fétichisme politique", 1983, in Choses dites, Minuit, 1987, pp. 193-194.
[51] Le site "Discrimi-Non !", déjà cité. http://discrimi-non.org/category/2-La-discrimination-et-le-droit
[52] À l’exception faite de l’ouvrage de Stéphanie Hennettte Vauchez et Vincent Valentin, L’Affaire Baby Loup ou la nouvelle laïcité, LGDJ, 2014 dont le titre annonce d’ailleurs qu’il aborde un certain régime de la laïcité.
[53] Philippe Blanchet, Discriminations : combattre la glottophobie, Textuel, 2016.
[55] Réponse d’André Gunthert du 10 avril 2016. http://imagesociale.fr/
[56] Réponse de Jean-Bruno Renard du 18 mai 2016.
[57] Xavier Molénat, "Les Journalistes ont-ils une déontologie ?", Sciences humaines, 1er mars 2006.
[58] Dès 1991, Marc Ferro parle d’ "information en uniforme", titre de son livre paru chez Ramsay en 1991.
[59] Patrick Champagne, La Double dépendance. Sur le journalisme, Liber, 2016.
[60] Danièle Siroux, "Déontologie", in M. Canto-Sperber (dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, PUF, 2001. Note de Molénat.
[61] Xavier Molénat, art. cit.
[62] Alors que la presse estime qu’une jeune fille a été agressée à cause de sa jupe courte, le tribunal correctionnel de Nanterre conclut dans un sens différent. On peut également lire Christine Bard, Ce que soulève la jupe", Autrement, 2010.
http://www.leparisien.fr/hauts-de-seine-92/affaire-de-la-jupe-a-gennevilliers-descends-et-on-va-se-regler-18-05-2016-5805659.php
[63] Le site d’@si est payant mais cette rubrique est gratuite. http://www.arretsurimages.net/vite-dit.php
[64] Didier Fassin et Éric Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale, La Découverte, 2006 ; Olivier Masclet, Sociologie de la diversité et des discriminations, Armand Colin, 128, 2012 ; Christophe Dargère, Stéphane Héas (dir.), La chute des masques, PUGrenoble, coll. "Handicap Vieillissement Société", 2015.
[65] Pour une présentation concise de la notion de rumeur, on peut se reporter à Pierre Lagrange, "Les Rumeurs", Culture visuelle, 2011.
http://culturevisuelle.org/pulpsciences/archives/36. On peut lire aussi : Jean-Bruno Renard, Rumeurs et légendes urbaines, PUF, "Que sais-je ?", 1999 ; Pascal Froissart, La Rumeur. Histoire et fantasmes, Belin, 2010 http://pascalfroissart.online.fr
[66] Xavier Albanel, opus cit., p. 113-146.