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Quel français au lycée : la question de l’examen

vendredi 10 mars 2017, par Thierry Cecille, Agnès Joste

[Réagissant aux questions concernant ce que devrait être l’enseignement du français dans le secondaire, préparatoires au séminaire GRDS du 17 mars à Paris, plusieurs enseignants ont fait part de leurs réflexions : Virginie Blanchet et Véronique Marchais (pour le collège) ; Thierry Cecille et Agnès Joste (pour le lycée) ; Magali Espinasse (pour le collège et le lycée). On lira ci-dessous une contribution de Thierry Cecile et Agnès Joste défendant le principe du baccalauréat et s’interrogeant sur son contenu.]

Un point liminaire : quel rapport le baccalauréat a-t-il avec la démocratisation ?

Il est important, dans la perspective de la démocratisation, de défendre l’examen final. L’expérience en mesure chaque année la vertu, et montre qu’il constitue un rempart contre les ségrégations scolaires et géographiques. Il protège à la fois les élèves et la qualité de l’enseignement qui leur est dispensé.

Égalitaire, dans la mesure où les épreuves sont anonymes, nationales et élaborées en fonction de programmes nationaux par des professeurs en exercice, le baccalauréat protège les élèves défavorisés de jugements négatifs liés à leur niveau supposé en raison de la localisation de leurs établissements d’origine. En proposant à tous le même horizon d’exigence et la même valeur certificative, le bac-nation protège du bac-maison.

Il régule, par ses contenus, l’amont de bien des filières. Le recrutement sur dossiers par exemple, constamment utilisé contre le maintien du baccalauréat, n’est possible que parce que l’examen existe : le baccalauréat est la clef de voûte de l’enseignement au lycée, il en détermine la nature et le contenu. Les dossiers ne sont fiables que parce que les notes qu’ils présentent valident l’acquisition et la compréhension de programmes réglés sur cette certification finale.

Il protège également le bon déroulement de l’année de l’examen, sans parasiter les progressions par des contrôles continus qui envahiraient l’année scolaire et risqueraient de standardiser les pratiques. Il préserve ainsi la valeur intellectuelle de la formation, qui en français particulièrement demande souvent un temps long d’acquisition et de maturation. L’examen évalue les élèves seulement en fin de parcours, donc au meilleur de leurs acquis.

Enfin il évite de rendre les enseignants juges et parties dans un contrôle continu, en préservant leur liberté pédagogique et leur relation de confiance avec leurs élèves, capitales dans les établissements défavorisés où les élèves n’ont que l’école pour réussir.

Enquêtes et recherche confirment ces réflexions empiriques. Un rapport très complet du Sénat (« À quoi sert le baccalauréat ? », 2008 [1]) analyse le rôle du baccalauréat et réaffirme la valeur républicaine de l’évaluation anonyme. Un récent rapport du CNESCO (Conseil national d’évaluation du système scolaire) souligne la vertu égalitaire de l’examen, et définit les conditions de préservation de cette équité : des épreuves nombreuses et complexes, au rebours de tous les propos hâtifs et désinformés des médias : « Les recherches sur les effets des examens nationaux, conduites depuis 15 ans dans les pays de l’OCDE, montrent que leur présence permet à la fois une élévation générale du niveau scolaire des élèves et une réduction des inégalités à l’école. Cependant, pour atteindre ces effets vertueux, ces épreuves doivent remplir un ensemble de conditions pédagogiques : porter sur un champ de contenus d’enseignement large, proposer des épreuves permettant d’évaluer des compétences complexes… À l’inverse, dans le cas d’examens nationaux trop pointus utilisant des modalités d’évaluation trop simples (QCM, par exemple), des effets négatifs peuvent apparaître. » [2]

Les exercices du « baccalauréat de français » sont-ils pertinents ?

Actuellement, l’examen comporte une épreuve écrite de quatre heures en deux parties, une question pour les bacs généraux ou deux pour les bacs technologiques appliquées à un ensemble de trois à quatre textes fournis en « corpus », puis un « travail d’écriture », devoir portant sur un sujet parmi trois proposés : commentaire, dissertation, et « écriture d’invention » (rédaction d’imitation, pastiche ou écrit de communication -lettre, discours, article – lié à une situation donnée) ; une épreuve orale en deux temps égaux : lecture analytique d’un texte du programme à partir d’une question inopinée de l’examinateur invitant à considérer le texte sous un angle particulier, puis entretien avec l’examinateur (BO spécial du 6/10/2011 [3]).

Il n’est pas question de revenir sur l’existence de deux épreuves, puisque le nombre des évaluations finales contribue à l’égalité, et que l’oral répartit les chances du candidat. Mais on pourrait les simplifier, d’une part pour alléger l’année de Première – car la préparation des différents exercices (de l’écrit et de l’oral) de l’examen occupe presque tout le temps scolaire, directement ou indirectement -, d’autre part pour permettre aux candidats de se concentrer le jour de l’écrit sur la compréhension des textes et sur la qualité de leur « travail d’écriture », le jour de l’oral sur les connaissances à mettre en valeur et non sur une question déstabilisante.

Les épreuves actuelles, définies par une prolifération de textes officiels se corrigeant les uns les autres (BO de 2001, 2003, 2006 et 2011), font montre en effet d’une complication et d’une boursouflure inutiles qui nuisent à une certification exacte et équitable. Rappelons que la question sur « corpus » et la question d’oral ont été introduites en 2001, la première sans augmentation aucune de la durée de l’épreuve écrite, la seconde pour casser le psittacisme supposé des candidats, c’est à dire pour dénigrer le sérieux d’une préparation « scolaire » (illustrant ainsi l’idéologie élitiste du « don » supérieur au « travail »).

Il ne faut pas comprendre autrement la croissance des inégalités : les réformes récentes l’ont sécrétée à l’envi. Il faut bien voir en effet que le « bac de français » version XXIème siècle, conçu hors-sol sur une vision illusoire d’élèves lecteurs de haut vol, aboutit dans les faits à une embuscade : textes inconnus dégainés lors de l’épreuve écrite et minant la certification principale, question inopinée surgie trente minutes avant la passation orale et perturbant l’élève de bonne foi qui a fait l’effort de comprendre et retenir l’analyse élaborée en classe avec le professeur. Les plus fragiles y perdent leurs moyens.

Propositions

- Il faudrait supprimer à l’écrit la question sur le « corpus » de trois à quatre textes littéraires, le plus souvent longs et difficiles d’accès et d’analyse (ce sont des textes qui nécessiteraient d’être expliqués en cours, or l’élève est seul à l’examen devant des extraits décontextualisés), dont la lecture et le traitement selon la question posée prennent trop de temps aux candidats ; s’il s’agit d’une question de synthèse, il est impossible de la traiter sérieusement tout en préservant suffisamment de temps pour la seconde partie de l’épreuve, qui de fait est alors bâclée involontairement ; si la question est simplifiée, elle se trouve de façon dérisoire réduite à des prélèvements d’indices peu probants, qui relèvent de la simple paraphrase, continuellement combattue par ailleurs - par exemple : « Quelles sont les qualités des écrivains célébrés dans les textes du corpus ? » , sujet des séries ES et S en 2016).

Les textes officiels eux-mêmes envisagent d’ailleurs que le corpus puisse ne pas être soumis à question (« Une ou deux questions portant sur le corpus et appelant des réponses rédigées peuvent être proposées aux candidats. », « lorsque de telles questions sont proposées »...). Suivons-les dans cette tentation.

Le corpus quant à lui peut être maintenu dans son principe, seulement s’il fait l’objet d’une épreuve autonome de quatre heures, comme on le verra ci-dessous.

- Il faudrait également supprimer à l’oral la question qui doit guider la lecture analytique, posée au candidat trente minutes avant sa prestation, et l’obligeant à recomposer ses connaissances en fonction d’un plan nouveau (tous les professeurs ne le feraient pas en moins de vingt minutes – car il faut aussi dans le laps de la demi-heure, préparer la lecture à haute voix et si possible réfléchir un tant soit peu au contenu de l’entretien à venir, portant sur la même partie de programme que la lecture analytique).

Il suffirait que dans l’année et au cours de la préparation de l’oral, on montre aux élèves que l’orientation à donner à la présentation du texte revient au fond à répondre à la seule question qui vaille : « Quel est l’intérêt de ce texte ? », - question à laquelle certains professeurs- examinateurs décident d’ailleurs de se limiter pour ne pas handicaper l’élève ! - l’invitant à mettre en œuvre une explication littérale, linguistique, historique et littéraire, fondée sur le travail fait en classe et sur ses connaissances. L’examinateur peut, de son côté, discuter de ces intérêts prioritaires avec le candidat, qui pourra montrer son autonomie intellectuelle dans un dialogue ouvert, lors de l’entretien qui suit.

On lira avec profit le « Plaidoyer pour l’abolition de la question [4] », convaincant et définitif. Et à ceux qui craindraient le « psittacisme », Bourdieu révèle l’orientation cachée qui les meut : « Il faudrait aussi s’interroger sur les fonctions que remplit pour les professeurs et les membres de la classe cultivée l’horreur sacrée du bachotage, opposé à la « culture générale ». Le bachotage n’est pas le mal absolu lorsqu’il consiste seulement à s’avouer que l’on prépare des élèves au bachot et de les déterminer par là à s’avouer qu’ils se préparent au bachot. La dévalorisation des techniques n’est que l’envers de l’exaltation de la prouesse intellectuelle qui est en affinité structurale avec les valeurs des groupes privilégiés au point de vue culturel » (L’École conservatrice, 1966).
Cette objection du « psittacisme » tombe d’ailleurs d’elle-même puisqu’il s’agit ici d’une épreuve orale, dont la seconde partie, l’entretien, fait obligatoirement émerger une réflexion personnelle du candidat, invité par l’examinateur à un dialogue argumenté.

De plus, la suppression de cette question allégera la préparation de l’examen et préservera le temps scolaire ; en effet, la préparation en classe d’un éventail de questions possibles sur un texte absorbe beaucoup de temps et d’énergie.
Enfin, la disparition de la question peut permettre aux candidats d’être davantage interrogés sur les œuvres contemporaines qu’ils auront étudiées ; bien que les examinateurs reçoivent les listes de textes des candidats quelques jours avant l’épreuve, ils se rabattent souvent, pour poser une question pertinente et parce qu’ils n’ont plus le temps de lire une parution très récente, sur les œuvres classiques. La réforme, qui voulait lutter contre « une littérature restreinte », a abouti dans les faits à restreindre davantage encore le champ des possibles.

Les exercices du baccalauréat correspondent-ils à une bonne formation des élèves ?

Les textes officiels en vigueur définissent les finalités de l’enseignement des lettres au lycée ; on ne peut qu’y souscrire et souhaiter, dans un système idéal, qu’elles deviennent enfin effectives : « l’acquisition d’une culture, la formation personnelle et la formation du citoyen » par « la constitution et l’enrichissement d’une culture littéraire ouverte sur d’autres champs du savoir et sur la société ; la construction progressive de repères permettant une mise en perspective historique des œuvres littéraires ; le développement d’une conscience esthétique permettant d’apprécier les œuvres, d’analyser l’émotion qu’elles procurent et d’en rendre compte à l’écrit comme à l’oral ; l’étude continuée de la langue, comme instrument privilégié de la pensée, moyen d’exprimer ses sentiments et ses idées, lieu d’exercice de sa créativité et de son imagination ; la formation du jugement et de l’esprit critique. ». (BO du 30/09/2010).
Remettons les priorités en ordre, dans l’optique d’une formation idéale. Si l’examen s’y conforme, il entraînera en amont l’enseignement correspondant, qui se règle toujours en retour sur les exigences finales.

Il faut tout d’abord mettre au premier plan du « bac de français » la vérification de la connaissance et de la pratique diversifiée de la langue, écrite et orale, pour l’exactitude des analyses textuelles, la correction du langage, et l’expression d’une pensée complexe, précise et articulée. La nécessité de ces acquis a déjà été évoquée, la réaffirmer dans l’optique du baccalauréat est indispensable car la certification doit la prendre en compte, donc appliquer avec rigueur, et non avec une approximation « bienveillante » qui entretient le maintien des inégalités, le quota de quatre points (ou 20%) des notes finales écrite et orale, pour garantir une maîtrise suffisante de la langue.

On sait en outre que des officines de remise à niveau en langue (par exemple le « projet Voltaire ») et divers "coaches" en communication, expression et surtout orthographe s’emparent des défaillances du système pour pallier les lacunes des élèves aux frais de l’Éducation nationale en s’imposant dans des établissements, ce qui constitue un gâchis public humain et financier inacceptable. De nombreux employeurs exigent aujourd’hui cette « certification Voltaire », là où il faudrait une certification scolaire ; c’est à l’école de former et certifier gratuitement en son sein les capacités langagières de tous les élèves, surtout les plus démunis, et de ne pas les abandonner aux marchands. La lutte contre les inégalités en dépend. Il ne faut d’ailleurs pas croire que ces officines soient innovantes : leurs méthodes sont de la plus pure tradition, règles de grammaire à apprendre par cœur et entraînement intensif.

Enfin, ce n’est pas être « élitiste » que d’être soucieux d’enseigner une expression exacte et structurée : l’élitisme, au contraire, est très précisément le refus d’enseigner au sein de l’école ce que quelques-uns recevront de leur famille ou tiennent déjà de leur milieu. Enseigner la langue élaborée et la grammaire, c’est les offrir à tous ; elles émancipent tous les esprits par le développement et la culture de qualités intellectuelles communes à tous.

De plus la langue n’est pas qu’expression, elle est aussi une formation civique, en permettant l’accès à la compréhension de la complexité, comme le soulignait Bourdieu : « la langue n’est pas un simple instrument, plus ou moins efficace, plus ou moins adéquat de la pensée, mais elle fournit — outre un vocabulaire plus ou moins riche — une syntaxe, c’est-à-dire un système de catégories plus ou moins complexes, en sorte que l’aptitude au déchiffrement et à la manipulation de structures complexes, logiques aussi bien qu’esthétiques, semble directement fonction de la complexité de la structure de la langue. » (op.cit.)

La pratique de l’oral, en vue de l’épreuve de baccalauréat, nécessite-t-elle un entraînement spécifique ?

La certification orale vise le même objectif linguistique. La capacité à s’exprimer oralement dans des interventions construites, préparées ou spontanées, doit donc être développée en amont à l’école primaire et au collège. Elle met en jeu non seulement la maîtrise de la langue mais aussi la mobilisation des connaissances, l’argumentation, le rapport à autrui.

Proposition

Au lycée, il faudrait, comme déjà dit pour la Seconde, accorder à toutes les classes de Première un horaire de 5 heures (au lieu de 4 actuellement en tronc commun des séries générales – auquel s’ajoutent en série L 2 heures de « littérature » -, et 3 en séries technologiques), et consacrer cette heure, obligatoirement en demi-groupes, aux exercices de langue. Pour l’oral, diverses activités sont possibles : prise de parole pendant le cours ; débat informé et argumenté ; exposé portant sur un texte, une œuvre ou une question ; compte rendu de lecture de textes non littéraires (presse, essais, critiques) comportant un résumé, une analyse ou une synthèse suivie d’une appréciation critique motivée ; présentation d’œuvres littéraires en relation avec le programme, etc. La lecture expressive et la diction, notamment de textes poétiques ou de tirades théâtrales versifiées, peuvent y être travaillées. Les élèves y prennent souvent grand plaisir. Ces dernières pratiques préparent activement à l’épreuve orale, qui inclut toujours une lecture à haute voix du texte à commenter.

Les deux exercices écrits de commentaire et de dissertation vérifient-ils avec pertinence les autres objectifs majeurs de formation du lycéen, l’acquisition d’une culture littéraire et le développement d’un jugement critique autonome ?

Les deux exercices actuels de dissertation et de commentaire, dont les contenus sont bien appuyés sur le programme, vérifient la culture littéraire acquise en Première, et antérieurement en Seconde. Les propositions d’amélioration des programmes exposés plus haut peuvent faciliter cette acquisition.

Dans la perspective d’une démocratisation, ces deux exercices pourraient à l’avenir être conservés, essentiellement parce que l’un et l’autre relèvent de savoirs et de méthodes qui peuvent s’acquérir en classe et être enseignés explicitement au sein de l’école. A ce titre, ils contribuent à l’égalité scolaire, à condition que l’on laisse aux élèves le temps d’apprendre et pratiquer : l’augmentation de l’horaire, réclamée ici pour les deux classes de Seconde et Première, est indispensable au succès des élèves moins favorisés.

Ces deux exercices ont également la vertu de certifier ensemble deux éléments cardinaux des études de français : la formation littéraire et la formation du jugement, l’une se nourrissant de l’autre. La culture littéraire, la lecture de nombreuses œuvres et les enjeux qu’elles exposent, exercent le discernement et forment le jugement critique ; inversement, le jugement y trouve un contenu auquel s’appliquer le jour de l’examen. La matière ainsi fournie par l’école à l’élève préserve une égalité de situation, et elle le protège de l’argumentation vide ou spécieuse.

Enfin, ces deux types de composition française sont les seuls lieux de l’enseignement actuel qui (en dehors de la philosophie abordée l’année suivante) demandent une réflexion construite et complète de démonstration patiente et étayée d’un point de vue (dans le cadre du commentaire) ou l’examen de points de vue contradictoires (dans le cadre de la dissertation qui interroge les opinions et pratique la résolution dialectique). Cet entraînement méthodique à la pensée et à la mise en doute de l’opinion par des faits et des arguments est irremplaçable - on ne peut oublier que la dissertation a été introduite en 1880 pour former des citoyens libres penseurs, contre la déférence et la paresse intellectuelle induites par les exercices d’imitation alors en cours, qui minaient l’esprit civique et l’initiative individuelle.

Un obstacle de taille affecte cependant actuellement le commentaire. Depuis 1969 et jusqu’en 2001, le commentaire était appelé « composé », et très précisément défini en tant qu’épreuve d’examen fondée sur un plan : « Présenter avec ordre un bilan de lecture organisé de façon à donner force au jugement personnel qu’il prépare et justifie », « Est exclue une présentation qui (...) ferait se succéder au fil du texte, sans lien entre elles et sans perspective, des remarques ponctuelles et discontinues. Un commentaire ne saurait consister en une poussière de remarques » (BO de 1993) ; quelques exemples de plans possibles étaient suggérés.

Depuis 2001, le qualificatif « composé » a disparu, et la définition se limite à deux lignes : « le candidat compose un devoir qui présente de manière organisée ce qu’il a retenu de sa lecture et justifie son interprétation et ses jugements personnels. » Les exigences réflexives se sont donc émoussées, les consignes d’indulgence à l’examen ont suivi. Parallèlement, ce commentaire, tel qu’il est proposé dans les filières générales (sans libellé depuis 1994), est devenu en vingt ans une épreuve quasi inaccessible pour la majorité des élèves, tant les horaires du primaire et du collège se sont effondrés – le déficit induit est de deux années d’enseignement du français [5]. S’ils peuvent encore, en y passant du temps dans l’année, en classe ou chez eux, obtenir des résultats honnêtes sur des textes contextualisés, les élèves ne parviennent pas à élaborer, en temps limité, une analyse à la fois précise et argumentée d’un texte qu’ils découvrent, dont souvent ils ne connaissent ni l’auteur ni l’œuvre dont il est extrait.

Pour l’instant le réalisme ainsi que le respect des élèves et de la valeur formatrice de l’exercice peuvent suggérer des aménagements (voir ci-dessous). Plus tard, une perspective de démocratisation réintroduira le commentaire composé, dès que les élèves auront été mieux instruits en amont, et rendus à eux-mêmes.

Propositions

- Concernant l’épreuve écrite, il faudrait sans doute aucun supprimer l’écriture d’invention. Celle-ci, dès l’origine, a éveillé la suspicion de la majorité des professeurs, et l’expérience n’a fait que justifier ces préventions. Les sujets donnés, d’une très grande diversité, vont de l’exercice de brevet des collèges (un pastiche de récit) à l’infaisable (demander à un élève de se prendre pour un romancier présentant son projet de roman, pour un metteur en scène de théâtre écrivant une lettre d’intention...), empêchant une préparation correcte durant l’année (de nombreux professeurs y renoncent et laissent ainsi les élèves totalement seuls face à l’épreuve) et exigent la plupart du temps (le terme se trouve dans la dénomination même de l’exercice) des « qualités d’écriture » qui sont évidemment très fortement liées à l’aisance langagière dont disposent (nous l’avons évoqué plus haut) seulement les candidats socialement les plus privilégiés. C’est sans aucun doute l’épreuve la plus inégale et la moins formatrice de toutes. Enfin – et les moyennes nationales, à chaque session, le démontrent - elle constitue souvent un piège pour les élèves les plus faibles qui, ne soupçonnant pas les exigences que les correcteurs établissent pour tenter de donner tout de même à cet exercice quelque valeur et quelque légitimité, la croient bien plus facile qu’elle ne l’est en réalité. Ajoutons que cet exercice n’a aucune relation avec les exigences de l’enseignement supérieur et n’a donc pas de place légitime au sein du baccalauréat.

- Cette « écriture d’invention » pourrait être remplacée par un exercice qui s’appuierait sur l’étude d’un ou plusieurs texte(s) argumentatif(s) (un corpus donc) et pourrait être constitué de trois volets : une première partie comportant une ou plusieurs questions de compréhension (par exemple lexicale), puis un exercice de résumé ou de comparaison ( des thèses en présence, de la forme et des procédés de l’argumentation...) et une dernière partie qui demanderait à l’élève la composition d’une argumentation personnelle sur le thème abordé par les textes proposés. Ce serait là une sorte de reprise de l’exercice ancien de la « discussion ». Cette épreuve certifierait suffisamment les capacités langagières et réflexives, et permettrait de remettre à sa juste place l’étude des textes d’idées – par exemple journalistiques - portant sur des thèmes qui concernent notre présent, ce qui pourrait alors éveiller l’intérêt des élèves qui éprouvent de réelles difficultés à entretenir avec la littérature une relation qui fasse sens pour eux – compte tenu que la nature exclusivement littéraire de l’épreuve orale préserve cette relation, mieux assurée pour les élèves fragiles quand elle a été abordée et élaborée en classe avec l’aide du professeur.

- L’exercice de la dissertation nous paraît quant à lui tout à fait accessible (et ce plus encore si les candidats disposent, de nouveau, de quatre heures, le corpus dans sa forme actuelle ayant été éliminé). Les élèves apprécient cet exercice de pensée créative et en comprennent aisément la méthode, claire depuis les origines : G. Rudler en 1909 la présente comme « un théorème » ; les élèves « comprirent vite ce langage (…). Je conclus de là que nous aurions tort de nous montrer sceptiques sur l’intelligence de nos élèves. Nous pouvons attendre et obtenir beaucoup d’eux, pourvu que nous leur apportions une méthode. ». Le contenu à réfléchir est fourni par le programme, ce qui limite les inégalités.

- S’agissant du commentaire composé, il serait peut-être envisageable de renoncer pour l’instant à cette épreuve, puisque les capacités qu’elle exige et certifie sont précisément celles de la lecture analytique à l’oral. L’année de Première en serait d’autant allégée.

Si l’on désirait conserver le commentaire, on pourrait envisager deux formules de maintien. Il serait sans doute plus raisonnable, dans les séries ES et S, de s’en tenir au commentaire dirigé, tel qu’il est proposé dans les filières technologiques : deux ou trois questions seraient alors données, comme axes d’étude, aux élèves qui devraient y répondre par des analyses précises réunies en une argumentation correctement construite. Une variante pour la série littéraire actuellement dotée d’un horaire supérieur (4 heures de tronc commun et 2 heures de « littérature ») serait de rétablir le libellé disparu en 1994 qui, un jour d’épreuve, pouvait apporter un puissant soutien. Avec cette épreuve spécifique de commentaire composé maintenu, la série L pourrait gagner un profil plus affirmé et recouvrer quelques lettres de noblesse actuellement bien ternies – pour l’instant elle ne se caractérise que par un programme d’« objets d’étude » plus important et des sujets spécifiques à l’examen, sans que les épreuves préparées et subies soient de natures différentes.

Mais dans les deux cas d’aménagements, la rédaction de questions ou libellés pose le délicat problème de leur pertinence et de leur compréhension par les candidats, et exclut la liberté d’appréciation de ces derniers. Il faudrait donc appliquer à cette rédaction un discernement certain.

La question des connaissances

Les exercices de l’examen de français (lecture analytique, commentaire et dissertation) combinent comme en philosophie deux niveaux d’apprentissage : un premier niveau cognitif, de connaissances littéraires, rhétoriques, historiques et méthodologiques indispensables aux exercices, un second niveau créatif, de conception d’une pensée personnelle (contrairement aux autres matières, qui demandent seulement, de façon explicite, le premier niveau : la manipulation et la mise en œuvre de connaissances).

Comment évaluer les connaissances de premier degré, indépendamment de ces exercices de pensée élaborée ?

On ne peut pas, raisonnablement, ajouter exercice ou question aux épreuves écrites ci-dessus, alors que nos propositions visent l’allègement du travail de Première lié au baccalauréat, la suppression du corpus dans deux sujets sur trois, et la préservation d’un espace réel de quatre heures pour la dissertation ou le commentaire.

Proposition

On pourrait en revanche introduire à l’oral, en première partie de l’entretien et contrairement au texte officiel actuel qui enjoint à l’examinateur de ne pas revenir sur le texte étudié, un faisceau de questions brèves bien intégrées, liées à l’écriture de ce texte (lexicale, stylistique ou rhétorique par exemple) et aux connaissances littéraires relatives à l’œuvre dont il est issu ou au groupement dans lequel il figure, qui permettraient au candidat de valoriser son travail personnel d’acquisition de savoirs.

Le baccalauréat pèse-t-il trop sur l’enseignement du français au lycée ?

Les réflexions et propositions qui précèdent ont répondu indirectement à cette question. Il faut en effet alléger et unifier les deux années de lycée, trop chargées en exercices trop divers liés au baccalauréat, et donner du temps aux élèves, pour augmenter leurs lectures par exemple. Bien souvent, c’est moins le niveau qui leur manque que le temps nécessaire à son acquisition ; pressés de toutes parts, ils n’ont plus le loisir d’approfondir, alors que bien souvent la matière leur plaît. La suppression du corpus pour deux sujets, la concentration sur le seul corpus argumentatif pour le troisième sujet, la suppression de la question d’oral, l’aménagement du commentaire, sont autant d’allègements. La possibilité d’améliorer la qualité de l’écrit et de préparer l’oral plus à loisir, par l’attribution d’une cinquième heure de tronc commun dédoublée en Seconde et Première, serait aussi un soulagement, pour des élèves qui sont beaucoup plus préoccupés par leur travail qu’on ne le dit habituellement.

Accorde-t-on trop de temps à la lecture littéraire fine que réclame l’examen ?

Examen ou pas, la lecture littéraire fine est au cœur de l’enseignement du français, c’est sa raison d’être, et le but des propositions qui précèdent est précisément de dégager assez de temps pour que cette lecture puisse être approfondie, et pour que les élèves puissent y fonder leurs capacités de lecture, d’interprétation, d’écriture, leur sensibilité à la polysémie et à l’inconnu qui surgit du texte littéraire. L’épreuve d’examen permet de mettre en forme ces capacités, en même temps qu’elle protège cet enseignement de la littérature.

Faut-il renoncer aux épreuves anticipées de fin de Première, pour étaler sur trois ans l’enseignement de lycée ?

Les épreuves anticipées en fin de Première ont l’avantage de donner au français une place importante dans les préoccupations des élèves, ce qui améliore la préparation. De plus, l’année de Terminale serait trop chargée s’il fallait y inclure le français en sus des autres épreuves (sauf bien sûr en filière littéraire qui bénéficie d’un enseignement et d’une épreuve de « lettres »). Enfin il est important qu’avant l’année de philosophie, les élèves aient appris l’écriture longue d’un texte argumenté et pratiqué la réflexion dialectique. Mais ce maintien du statut anticipé passe par la nécessité de l’attribution d’un horaire de 5 heures en tronc commun, quelle que soit la série des candidats, la filière L continuant bien entendu de bénéficier de son horaire supplémentaire de 2 heures de « littérature ».

Les élèves des séries technologiques doivent-ils recevoir un enseignement spécifique, différent de celui des élèves de séries générales ? Doivent-ils, comme actuellement, avoir un horaire de français moindre ? Les épreuves de l’examen leur correspondent-elles ?

Il n’y a aucune raison de donner un programme différent et un horaire moindre aux séries technologiques. L’année de Seconde est commune à tous les élèves, auxquels il faudrait attribuer 5 heures de cours, nous le répétons.
En Première, les programmes actuels de ces séries sont semblables dans leur esprit à ceux des séries générales, les épreuves sont proches sauf pour le commentaire qui est guidé ; il faudrait donc leur donner le même horaire de 5 heures en tronc commun que les séries générales, d’autant plus que parfois les élèves des séries technologiques ont été mal orientés et sont des littéraires cachés ou contrariés. L’organisation actuelle qui leur accorde seulement 3 heures de français est absurde [6], car on donne à des élèves considérés comme plus faibles un horaire insuffisant pour traiter le programme et l’apprentissage des exercices d’examen, et moindre qu’à des élèves dont le niveau est jugé meilleur...

Enfin, le rapport du Sénat sur le baccalauréat insiste sur la nécessité d’un enseignement et d’un examen de type général pour augmenter les chances de succès ultérieur, et proteste contre l’utilisation des séries technologiques comme « voies de délestage ». Il faut donc offrir aux élèves de ces séries le même enseignement de français qu’aux autres lycéens.


Addendum / Les auteurs d’une partie des contributions adressées au GRDS à propos de l’enseignement du français ont cosigné la précision suivante :

"Nos tentatives de réponse à ces questions sur l’enseignement du français dans une école démocratique, qui n’en épuisent pas tout le contenu possible, ont été élaborées, début 2017, en tenant compte de l’organisation actuelle du système scolaire. Elles prennent appui sur l’existant, y compris la notation et la certification finale auxquelles elles font parfois allusion. En l’état actuel des choses et en l’absence d’un système idéal, la notation ainsi que le maintien d’un examen final noté nous paraissent être le rempart, certes défensif mais réel, contre l’imposition autoritaire, par l’institution, d’un enseignement par compétences. Le recours aux compétences mettrait à mal l’enseignement du français, son objectif humaniste et émancipateur, tout autant que le pouvoir de suggestion, de réflexion et de libération attaché à la langue et à la littérature."

Virginie Blanchet, Rachel Boutonnet, Thierry Cecille, Agnès Joste, Véronique Marchais


[5Voir « Comparaison des horaires en primaire et en collège, 1975-2015 », http://www.sauv.net/horcomp.php

[6Rappelons que de 1947 à 1992, les horaires de Première de toutes les séries y compris techniques étaient identiques (4 heures avec épreuve en fin de Première, dans un « premier bac » puis en EAF), sauf en série littéraire dotée de 5 heures à partir de 1965. En 1980 l’horaire de Seconde est également unifié à 5 heures toutes séries confondues. La réforme de 1992 cassera l’équité horaire de Première en maintenant celle de Seconde.