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Rapport du HCE sur le collège : attention danger !

lundi 18 octobre 2010, par José Tovar

Le dernier rapport du Haut Conseil de l’Éducation qui vient de tomber est intitulé « Le Collège ». Organisé en trois parties (Une description de la situation actuelle - catastrophique - ; l’analyse des causes de cette situation ; et les propositions pour l’avenir), il se termine par une quinzaine de recommandations regroupées à partir de trois objectifs :
- Construire l’ « Ecole du socle commun » ;
- Refonder le statut et la formation des enseignants ;
- Rendre les établissements scolaires plus autonomes
.

Il reprend et complète les analyses et préconisations du rapport parlementaire dit « rapport Grosperrin », (du nom de son auteur, député UMP ) rendu public en avril 2010 et les conclusions du rapport de la Cour des Comptes du 12 mai dernier.

L’essentiel tient en peu de mots : il faut en finir avec les illusions nées de la réforme du collège initiée en 1959 avec la réforme Berthoin et la suppression en 1975 des filières dans le « collège unique » et imposer aux enseignants et même aux corps d’inspection (qui rechignent, semble-t-il), la mise en œuvre effective du « socle commun » comme programme de l’école obligatoire de l’entrée au CP jusqu’à la sortie en fin de la classe de 3ème.

Sur la description de la situation actuelle du collège

Après avoir salué de façon un peu formelle « les acquis incontestables de la démocratisation du second degré » qu’a permis cette réforme, le rapport pointe les principaux problèmes du collège d’aujourd’hui : stagnation, voire régression du niveau des élèves, inefficacité des multiples dispositifs mis en place depuis des décennies pour réduire la grande difficulté scolaire, creusement des inégalités imputables à l’origine sociale des élèves ; « malaise » des enseignants impuissants face à l’hétérogénéité des classes et multiplication des « problèmes de vie scolaire ». Il dénonce les disparités entre établissements et la ghettoïsation de certains d’entre eux, allant jusqu’à mettre en cause aussi bien la reconstitution déguisée de filières au sein même du système que les stratégies de contournement de la carte scolaire dont ont toujours bénéficié les « familles les mieux informées » pour aboutir à cette conclusion : le « collège unique » n’a, en réalité, d’unique que le nom. Le constat est sévère et recoupe pour l’essentiel celui que font, depuis de nombreuses années, tous ceux que préoccupe l’avenir des jeunes et du pays. De ce point de vue, donc, rien d’original si ce n’est la reconnaissance implicite de la supercherie consistant, de la part des multiples experts et analystes en tous genres, particulièrement dans les instances gouvernementales, à désigner le concept même de « collège unique » comme responsable de tous les maux du système éducatif. Mais l’essentiel est ailleurs.

Le rapport devient plus intéressant dans sa deuxième partie, lorsqu’il s’agit d’identifier les causes de cette situation. D’emblée est posée la question qui, dans les années 70/80 divisa l’ensemble de la communauté éducative, notamment le corps enseignant et son organisation syndicale représentative, la FEN. Le conflit mènera, on le sait, à la scission de cette dernière au début des années 90 et aboutira à la naissance de la FSU en 1993. Le HCE définit aujourd’hui les termes du débat de la manière suivante : au moment de la création des CES (le collège unique) en 1963, l’institution a fait le choix d’un collège conçu sur le modèle du lycée, c’est à dire préparant les élèves à prolonger leurs études au-delà du collège, en LEG ou en LET [1]. Or le collège est en échec. Il faut donc à nouveau se poser la question : Le collège est-il le prolongement de l’école primaire ou bien constitue-t-il une préparation au lycée général [2] ?

Notons tout d’abord que le HCE traduit immédiatement les termes du choix d’identité ainsi posé pour le collège par une opposition entre « une logique égalitaire, à savoir donner une culture commune à l’ensemble d’une classe d’âge », et « une logique sélective, consistant à dégager des élites d’excellence pour la seule voie générale ». Cette classification ne doit rien au hasard : elle a pour conséquence de faire passer les tenants de la première option pour des progressistes soucieux de la réussite des enfants du peuple, et les tenants de la seconde option pour d’affreux élitistes, soucieux de préserver les privilèges d’une minorité alors que les termes du débat tel qu’il était posé à l’époque par ceux qui défendaient la seconde option consistaient à défendre le choix d’une scolarisation « de qualité pour tous », c’est à dire s’appuyant sur des connaissances de haut niveau qui avaient jusque là fait leurs preuves au seul bénéfice des enfants de la bourgeoisie, contre une logique limitant l’accès au savoir des enfants des milieux populaires au bénéfice d’une formation plus pragmatique présupposant une orientation rapide vers le monde du travail. Deux orientations qu’illustre très bien la conception des enseignants habilités à enseigner selon l’option choisie : des professeurs issus du corps des instituteurs, les PEGC (gardant une certaine polyvalence disciplinaire et recrutés sur la base du baccalauréat) pour les premiers, et des professeurs certifiés ou agrégés, monovalents et recrutés au niveau minimum de la licence universitaire pour les seconds.

Du coup, la dénonciation de l’échec du collège dans la première partie du rapport prend tout son sens :

C’est le choix de la deuxième option – celle de l’élitisme - qui serait la cause principale de cet échec, et il est donc urgent d’en revenir à une conception plus raisonnable du système éducatif dans la continuité de l’école primaire, bien qu’elle soit elle même en difficulté, comme le montre le rapport REISS remis au ministre Chatel le 29 septembre dernier (une école « aux résultats très préoccupants… qui laisse partir 40% des élèves sans moyens pour réussir ») et comme le confirme le rapport du HCE : 25% des élèves sortant de CM2 ont des « acquis fragiles concernant la maîtrise du langage et des mathématiques », et sont « condamnés à une scolarité difficile au collège et à une poursuite d’études incertaine au delà » [3]. Il fallait trouver une solution à ce problème. C’était déjà l’objectif affiché de la loi Fillon, imposée malgré l’hostilité quasi unanime de l’ensemble des partenaires éducatifs en 2005, qui préconisait la transformation des programmes du collège et de l’école primaire sur la base du « socle commun de connaissances et de compétences » défini comme un bagage indispensable pour tous les jeunes, assurant leur insertion sociale et professionnelle [4], et affirmé comme une « obligation de résultat » pour l’école de la république. Or la mise en œuvre de la loi n’est toujours pas effective, regrettent les « sages » du HCE. Pour faire bonne mesure, le rapport relève, il est vrai, deux causes objectivement incontestables des difficultés dont souffre le collège : les déficiences de l’école primaire dont il hérite, et l’insuffisance de moyens : « Le collège ne parvient pas à résoudre les difficultés rencontrées par ses élèves… qui proviennent pour l’essentiel de lacunes antérieures qui n’ont pas trouvé de solution à l’école primaire » ; « Le collège n’a jamais constitué la priorité (budgétaire) en moyens » et « toutes les analyses soulignent le faible encadrement au collège ». D’où « l’importance de la mise en œuvre du socle à ce niveau. CQFD !

Dénoncer les retards dans la mise en œuvre de la loi, en identifier les causes, et surtout élaborer les mesures techniques permettant enfin d’atteindre l’objectif : telle est donc la fonction politique de ce rapport, qui fournit les outils de la réforme globale du système éducatif dont le projet Sarkozy de remodelage de la société - et dans ce cadre, de la formation de la force de travail des salariés de demain – avait besoin .
C’est pourquoi le rapport s’attache à dénoncer les principaux obstacles à cette mise en œuvre : « L’opposition de nombreux enseignants » et de « certains syndicats opposés à la réforme [5], ce qui s’explique notamment par l’attachement aux disciplines et donc du socle commun ». La solution est explicitement énoncée : « Le primaire et le collège ont logiquement vocation à constituer un ensemble : l’école du socle commun, d’une durée de neuf ans… unité de la scolarité obligatoire unifiée ». Parmi les conséquences de cette orientation, « un nouveau service et de nouvelles pratiques pour les enseignants », avec le retour à la polyvalence des professeurs de collège et la redéfinition de leur statut pour qu’il prenne en compte ses nouvelles missions, « pouvant conduire à allonger de quelques heures le temps global de leur présence dans l’établissement » [6]. L’impasse faite sur les autres personnels du collège participant au fonctionnement de l’équipe pédagogique (CE-CPE, Documentaliste, Aides Educateurs… ) est révélatrice, en outre, de l’esprit ayant présidé à l’établissement de ce rapport : justifier la « mise au pas » des personnels enseignants (personnels d’encadrement et d’inspection compris) réticents à la mise en œuvre de cette politique et promouvoir les modifications structurelles du système jugées nécessaires pour atteindre l’objectif politique assigné.

Pour conclure

Il s’agit bien, à travers la redéfinition du rôle du collège, d’une recomposition globale du système éducatif dont il est ici question :
- Une « école publique » de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans regroupant l’école élémentaire et le collège dont la fonction serait réduite à assurer à tous les jeunes une formation fondée sur le socle commun et se terminant par l’orientation d’une part significative d’entre eux vers des formations professionnelles ou directement vers la vie active en fonction des disponibilités du marché du travail [7] ;
- Des jeunes orientés vers des études plus ou moins longues grâce à des dispositifs divers leur permettant de bénéficier, dès le collège et ensuite, de compléments de formation afin d’atteindre le niveau de qualification souhaité [8]. Dans cette perspective, la réforme du lycée déjà engagée est ouvertement conçue, conformément aux dernières recommandations de la commission européenne, comme une deuxième étape – non obligatoire – du système devant conduire 50% des jeunes vers un diplôme de l’enseignement supérieur. Bref, comme le déclare Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à l’éducation, « Equiper les jeunes pour le marché du travail d’aujourd’hui ».
- Une redéfinition du statut des enseignants du second degré exerçant en collège allant dans le sens d’un retour à celui des ex-PEGC, aux obligations de service plus proches de celui des enseignants de l’école primaire, déconnecté donc, de celui des enseignants exerçant en lycée.

La mise en œuvre d’un tel projet consacrerait une régression pédagogique et culturelle de près d’un demi siècle, en totale contradiction avec les conclusions de toutes les enquêtes, nationales et internationales, les travaux des sociologues et chercheurs en sciences de l’éducation sur la pertinence et la nécessité tant au plan social qu’économique ou culturel d’un système éducatif s’assignant comme objectif un haut niveau de formation pour tous les jeunes. Le projet politique érigé en dogme incontournable visant à diminuer les dépenses de l’état et à favoriser la marchandisation du savoir et la libéralisation du système éducatif tel qu’il s’est construit en France tout au long du XXème siècle est à l’évidence à la source de ce rapport, qui n’honore pas l’institution l’ayant conçu. Reste qu’il vient conclure toute une série d’autres rapports officiels et de réformes déjà engagées, leur donnant une cohérence nouvelle et leur apportant la caution et l’autorité de la plus haute institution de l’Education Nationale. Attention : Danger !


[1LEG : Lycée d’enseignement Général ; LET : lycée d’Enseignement Technique

[2On sait que, dans la FEN des années 70/80, la tendance réformiste, dirigée par des militants socialistes voulut à toute force imposer un schéma dit d’« Ecole Fondamentale » qui relevait de la première option. L’évolution du rapport des forces internes dans le milieu enseignant et la force du mouvement social favorable à une élévation générale du niveau de scolarisation des jeunes bien au-delà du seul niveau de la fin du collège en décidèrent autrement et, malgré le maintien de la partition du second degré en deux entités distinctes (le collège et le lycée), ce fut la seconde option qui s’imposa.

[3Cette analyse faisait déjà l’objet du rapport annuel du HCE en 2007…

[4Le « socle commun » correspond en fait à une liste des « compétences de base » établie par la Commission européenne et qui doit servir d’axe central à la réforme des systèmes éducatifs des pays d’Europe afin de les adapter à la structure prévisible de l’emploi à échéance d’une quinzaine d’années dans le cadre de « l’économie de la connaissance » mise en perspective par l’ « agenda de Lisbonne » en l’an 2000

[5Le SNES et le SNALC sont nommément dénoncés dans cette catégorie, alors que « le SE-UNSA et le SGEN se sont toutefois prononcés en faveur du socle commun »

[6De ce point de vue, le rapport Grosperrin (déjà cité) est encore plus explicite, puisque, partant du principe que « les choix historiques sont réversibles », il préconise « une pratique de l’enseignement (en collège) inspirée du primaire »« une bivalence à réinventer », un temps de présence des enseignants dans l’établissement accru, et des recrutements « sur postes à profil à la discrétion des chefs d’établissement pour pourvoir les postes vacants ». Exit le statut des certifiés et agrégés de 1972 ! En fait, chacun avec des nuances et spécificités qui leur sont propres, ces deux rapports reprennent pour l’essentiel les recommandations du Rapport Pochard sur la redéfinition du métier d’enseignant remis au ministre Darcos en février 2008

[7Le Centre Européen pour le Développement de la Formation Professionnelle(cedefop), organisme dépendant de la commission européenne prévoit, pour les années à venir, « une augmentation de l’emploi hautement qualifié, mais également une croissance significative du nombre d’emplois … ne nécessitant que peu ou pas de qualifications formelles » (cité par Nico Hirtt dans l’article « En Europe, les compétences contre le savoir » in Le Monde Diplomatique, octobre 2010 )

[8Les dispositifs en question seront effectivement divers : cela pourrait aller des options supplémentaires réservées à certains élèves jugés capables de tirer bénéfice de ces enseignements, assurés en tout ou partie par des personnels relevant soit de l’état, soit des collectivités territoriales, voire de l’initiative propre de l’établissement dans le cadre de financements privés sponsorisés ( toutes choses rendues possibles par l’élargissement de l’autonomie administrative et pédagogique des établissements dans le cadre d’une désectorisation menée à son terme ), jusqu’àu choix d’établissements privés assurant, moyennant frais d’inscription adéquats, des compléments de formation permettant un tri sélectif des élèves et assurant l’accès aux grandes filières élitistes ( lycées prestigieux de centre ville ; grandes écoles, etc. )